Afrique numérique : l’eldorado promis, mais les capitaux absents
Malgré ces obstacles, des opportunités existent (Crédit image : Unplash/SamsungMemory)
Les points clés :
Les investissements directs étrangers dans le numérique en Afrique progressent, mais restent marginalisés face aux besoins.
L’Afrique a reçu 97 milliards USD d’IDE en 2024, mais seulement 12 % dans le numérique hors mégaprojets.
L’absence d’institutions fortes et de centres de données maintient le continent à l’écart du boom technologique mondial.
Alors que l’Afrique réaffirme son ambition de devenir un acteur numérique mondial avec des politiques nationales et régionales structurantes, le contraste entre cette volonté et la réalité des flux de capitaux reste frappant. D’un côté, l’économie numérique africaine attire l’attention des investisseurs ; de l’autre, elle peine à transformer cet intérêt en investissements durables à grande échelle.
Selon le World Investment Report 2025 de la CNUCED, l’Afrique a connu une forte hausse de ses IDE en 2024, atteignant un niveau record de 97 milliards USD, soit 6 % des flux mondiaux. Cependant, cette progression de 75 % est largement due à un projet urbanistique en Égypte. Hors ce mégaprojet, l’Afrique n’a capté que 62 milliards USD, soit seulement 12 % de croissance réelle dans les autres secteurs.
Le rapport souligne que le seul domaine en croissance nette est celui de l’économie numérique, dont les investissements dans les secteurs liés aux technologies, aux services numériques et aux semi‑conducteurs ont doublé en valeur. Pourtant, la concentration reste extrême : 80 % des nouveaux projets numériques mondiaux se concentrent dans dix pays seulement, laissant l’Afrique largement marginalisée.
Cette dynamique tronquée ressort également dans les données de UNCTAD : en 2024, l’Afrique subsaharienne n’a capté que 5 % des 14 milliards de dollars nécessaires annuellement pour combler son déficit de connectivité. Ses annonces de projets numériques sont ridiculement faibles : 18 projets seulement contre 206 en Asie du Sud pour la même année.
Les centres de données, indispensables à l’essor du cloud, du e-commerce, des fintechs et de l’intelligence artificielle, restent extrêmement rares. Entre 2020 et 2024, quelques acteurs tels que Cloudflare, Vodafone, Digital Realty Trust et Raxio Group ont investi un total de 2,07 milliards USD dans ces infrastructures, mais globalement l’Afrique représente moins de 1 % de la capacité mondiale.
Dans ce contexte, même des investissements structurants par des institutions de développement, comme le prêt de 100 millions USD à Raxio Group par l’IFC pour construire des centres en Côte d’Ivoire, Ethiopie, Angola ou RD Congo, apparaissent comme des exceptions notables, soulignant l’enjeu de la mobilisation privée.
La CNUCED alerte sur l’insuffisance des décisions politiques cohérentes : en 2024, 86 % des pays africains avaient une stratégie numérique nationale, mais seuls 20 % invoquaient explicitement leur agence de promotion d'investissement (API) dans ce cadre, ce qui limite la capacité à attirer des IDE efficaces dans le numérique.
Face à ces défis, l’Union africaine et la ZLECAf promeuvent des outils tels que le protocole sur le commerce numérique ou l’alliance Smart Africa pour structurer des partenariats public‑privé et favoriser l’interconnexion. Mais ces initiatives peinent encore à produire des leviers financiers tangibles.
L’absence d’un environnement réglementaire stable, de garanties financières ou de capacités institutionnelles nuit à l’attractivité du secteur numérique. Selon la CNUCED, moins de la moitié des investissements dans les infrastructures de télécoms impliquent des sponsors étrangers. Le capital-investissement technologique, quant à lui, représente à peine 3 % des flux mondiaux pour l’Afrique entre 2020 et 2024.
Malgré ces obstacles, des opportunités existent : l’application du digital pourrait transformer le continent. L’augmentation annuelle de l’économie numérique entre 10 et 12 %, indique la CNUCED, reste comparée à une croissance mondiale stagnante, mais sous‑exploitée dans le cas africain.
Pourquoi est-ce important ?
Cet écart entre promesses et résultats nourrit l’incertitude quant à l’avenir numérique du continent. Tant que les capitaux étrangers ne convergent pas vers des projets numériques durables, l’Afrique continuera de dépendre des importations technologiques plutôt que de produire localement. Le manque de centres de données limite non seulement la souveraineté numérique des États, mais ralentit aussi le développement d’un tissu technologique autonome.
Les efforts conjoints des États ouest-africains, de la ZLECAf, et des institutions comme la Banque mondiale ou l’IFC montrent une prise de conscience croissante. Mais la transition réelle dépendra de la capacité des pays à construire des cadres réglementaires solides, à aligner stratégies numériques et agences d’IDE, et à mobiliser des capitaux pour des projets numériques à impact. Sans cette coordination, la jeunesse africaine restera connectée… mais déconnectée des opportunités réelles.