Dette, déficit et dépenses : un premier trimestre sous pression budgétaire au Sénégal
Les finances publiques du Sénégal sous tension (Crédit image : Le Soleil)
Les points clés :
Le Sénégal a collecté 1 027,8 milliards FCFA au 1ᵉʳ trimestre 2025, en hausse de 9,7 % sur un an.
Les charges de la dette ont bondi de 24 %, atteignant 225 milliards FCFA, grignotant près de 5 points du PIB.
Le gouvernement fait face à un déficit croissant, accentué par la suspension du programme du FMI due à des erreurs comptables.
Au cours du premier trimestre de 2025, l’État sénégalais a mobilisé 1 027,82 milliards FCFA, soit 21,44 % de l'objectif annuel fixé à 4 794,6 milliards FCFA . Cette performance, en progression de 9,7 % par rapport à 2024, s’explique principalement par la collecte de recettes fiscales, lesquelles représentent 960,26 milliards FCFA, en hausse de 11,6 % . Les recettes non fiscales ne sont pas en reste avec une croissance de 24,4 % (59,56 milliards FCFA). Ces chiffres illustrent une solidité relative de la mobilisation nationale dans un contexte de retrait significatif des aides extérieures (-71 % des dons, à environ 8 milliards FCFA) .
Malgré ce succès côté recettes, le Sénégal peine à maîtriser ses dépenses. Les données officielles indiquent 1 419,45 milliards FCFA de dépenses au 1ᵉʳ trimestre 2025, dépassant nettement les recettes . Les charges de personnel représentent 357,07 milliards FCFA (24 % des crédits LFI), reflétant un effectif stable de 186 205 agents (+1,4 %) .
Explosion des charges de la dette
Le poste budgétaire le plus préoccupant reste le service de la dette. Les charges financières ont atteint 225,24 milliards FCFA, soit une hausse de 23,98 % par rapport au 1ᵉʳ trimestre 2024 . Reuters rapporte un bond de 44,5 % au T4 2024, suivi d’une progression de 23,98 % au T1 2025, marquant un poids très lourd sur les finances publiques . Deux tiers de cette dette sont en faveur des banques, le reste finance des arriérés, notamment envers des fournisseurs et l’énergie .
Ce niveau de service de la dette, équivalant à presque un quart des dépenses budgétaires du trimestre, suscite l’alarme. Le FMI a d'ailleurs élevé un « appel à des réformes urgentes » après la révélation de sous-estimations antérieures, plaçant la dette à 99,7 % du PIB fin 2023 contre 74 % annoncés par l’administration précédente .
Crise de confiance et désengagement du FMI
Les lacunes dans les rapports financiers ont déclenché la suspension du programme de soutien de 1,8 milliard USD du FMI, qui conditionne toute reprise au nettoyage des comptes . L’Équipe du FMI conclut un audit en mars 2025 révélant un déficit élargi de 5,6 points de PIB et une dette révisée à près de 100 %.
Face à cette impasse, le Premier ministre Sonko mise sur une relance des réformes fiscales pour combler un manque à gagner estimé à 250 milliards FCFA par an . Ces efforts visent à rétablir la confiance, redynamiser les recettes et préparer un nouvel accord avec le FMI, attendu vers juin-juillet .
Vers un ajustement budgétaire concerté
Malgré des recettes internes robustes, le Sénégal fait face à une dynamique de dépenses incontrôlées. Les retards dans l'exécution des investissements sont flagrants : seuls 11,5 % des crédits internes ont été engagés, contre 15,9 % des fonds extérieurs . Ce déficit d’exécution freine le développement des infrastructures critiques.
Le gouvernement affiche son intention de limiter les exonérations fiscales et de rationaliser les subventions, notamment énergétiques, comme le recommande le FMI . Il mise également sur les marchés régionaux (UEMOA) et sur l’émission d’obligations, dont un eurobond de 405 milliards FCFA en avril, pour diversifier les financements .
Impact régional ouest-africain
La trajectoire sénégalaise a des répercussions au-delà des frontières. Sa crise de confiance et l’absence de programme FMI invisibilisent les marchés régionaux, réduisant la liquidité pour d’autres États de l’UEMOA. Si Dakar ne parvient pas à maîtriser sa dette, la contagion pourrait freiner l’accès au financement régional et international pour ses voisins.
En parallèle, les réformes fiscales en cours inspirent les autres pays ouest-africains confrontés à des pressions similaires. Le modèle d’autonomie budgétaire par la mobilisation locale, la limitation des arriérés et l’optimisation de la dette constitue un exemple de résilience. Néanmoins, l’imprévisibilité des marchés, l’endettement et les substitutions extérieures soulignent l’urgence d’une démarche coordonnée au sein de la zone UEMOA.
Pourquoi est-ce important ?
La situation du Sénégal illustre le défi central des économies ouest-africaines : préserver la souveraineté financière dans un environnement de dettes croissantes et de soutien extérieur incertain. La rigueur budgétaire, la discipline fiscale et la diversification des sources de financement apparaissent comme les piliers indispensables d’un développement soutenable. Pour la sous-région, Dakar pourrait incarner un modèle si ses réformes réussissent. À l’inverse, un dérapage budgétaire imposerait à l’UEMOA un recalibrage des mécanismes de solidarité financière, dans un contexte où la confiance des investisseurs et institutions multilatérales est devenue un atout stratégique.