Burkina Faso : Ibrahim Traoré pousse la nationalisation des mines d’or, un tournant risqué ?


Les points clés :

  • Le nouveau code minier de 2024 permet à l’État burkinabè d’avoir 15 % de participation gratuite dans les mines, et d’acheter au moins 30 % de parts supplémentaires dans les mines d’or.

  • Le gouvernement a demandé à acquérir 35 % supplémentaires dans la mine de Kiaka, ce qui porterait son contrôle à 50 %, suscitant l’inquiétude des investisseurs.

  • Ouagadougou a déjà repris les mines de Boungou et Wahgnion, mais insiste que la participation accrue reste une option, non une obligation imposée pour toutes les mines.


Depuis le coup d’État de 2022, le Burkina Faso, sous la direction d’Ibrahim Traoré, affiche une stratégie claire : retrouver la maîtrise de ses ressources minières. L’or, principal produit d’exportation, est au cœur de cette ambition. En 2024, une réforme du code minier a posé des jalons nouveaux, participation gratuite élargie de l’État, possibilités de rachat, responsabilité accrue, et même nationalisation partielle dans certains cas.

Le cas de la mine de Kiaka, exploitée par West African Resources (WAF), est devenu un test politique et économique déterminant. Le gouvernement voudrait porter sa participation à 50 % en combinant la part gratuite et la part achetée, ce qui aurait des conséquences lourdes pour le mode de gouvernance, les équilibres financiers, et la confiance des investisseurs étrangers. Dans ce contexte, nationalisation partielle, co-gestion, et priorités du développement national se mêlent avec les craintes de retraits de capitaux et de ralentissement des investissements.

Le cadre légal : ce que permet le Code minier de 2024

Le code minier adopté en juillet 2024 à Ouagadougou a introduit des changements significatifs dans les relations entre l’État et les concessionnaires. Une des dispositions majeures (Article 66) porte la participation gratuite de l’État dans les projets miniers de 10 % à 15 %. Cette participation gratuite, ou “free carried interest”, ne doit pas impliquer de contribution de l’État aux coûts initiaux ou d’exploitation.

Le code prévoit par ailleurs la possibilité pour l'État, ou des investisseurs nationaux mandatés, d’acquérir une part achetée complémentaire (paid interest) d’au moins 30 %, selon les modalités commerciales négociées. Cette acquisition ne serait pas automatique, mais facultative selon les cas.

Le cas Kiaka : exemple phare de la mise en œuvre

La mine de Kiaka, exploitée par la société australienne West African Resources, est entrée en production en juin 2025. Elle est annoncée pour produire en moyenne 234 000 onces d’or par an pendant vingt ans.

Avec le nouveau code, la part gratuite de l’État dans Kiaka, comme dans les mines Sanbrado et Toega, est passée de 10 % à 15 %. WAF a communiqué qu’elle avait aligné ses participations pour être conforme à la nouvelle loi.

En fin août 2025, le gouvernement a fait une offre pour acheter 35 % supplémentaires dans Kiaka. Si elle aboutit, la combinaison de la participation gratuite et de la part achetée porterait la part de l’État à 50 %. WAF a précisé que cette sollicitation est facultative, qu’elle s’inscrit dans le cadre légal, et que les négociations étaient en cours.

Cette perspective a conduit à la suspension de la cotation des actions de WAF sur l’Australian Stock Exchange (ASX) jusqu’à ce que des informations officielles soient publiées.

Les arguments gouvernementaux et les inquiétudes des investisseurs

Le gouvernement argue que ces mesures sont légitimes pour mieux capter la valeur ajoutée de l’exploitation aurifère au Burkina Faso, renforcer les recettes publiques, et donner un meilleur contrôle sur les ressources nationales. Le président Traoré a souligné la “nécessité de maîtriser notre or nous-mêmes” et de “co-exploit­er ou contrôler progressivement” les mines déjà existantes.

Le rachat des mines Boungou et Wahgnion, initialement privatisées ou exploitées par des compagnies étrangères, concrétise déjà cette dynamique. Ces opérations, bien que légales, ont été scrutées de près.

Du côté des investisseurs, les inquiétudes concernent l’arbitrage de propriété, la sécurité juridique, le traitement des droits contractuels antérieurement accordés, la possibilité de recouvrer les coûts d’investissement, et la prévisibilité. La suspension des actions sur le ASX pour WAF révèle que ces incertitudes ne sont pas seulement théoriques, mais ont des effets immédiats sur les marchés.

Les bénéfices anticipés et les défis à surmonter

Parmi les bénéfices attendus figure une hausse des recettes fiscales, des royalties, et autres redevances, ce qui peut aider un pays confronté à des besoins importants de financement (sécurité, infrastructures, services publics). La maîtrise partielle de la production peut permettre à l’État de peser sur les normes environnementales, sur l’emploi local, sur les chaînes de valeur (transformation, transport, export).

Cependant, les défis sont nombreux. Le financement de la part achetée (les 30-35 %) devra être assuré, parfois à un coût élevé, ce qui peut entraîner une charge financière significative pour l’État. Ensuite, la gestion opérationnelle, les compétences techniques, la transparence, et le respect des engagements de performance de la part des exploitants privés demeurent des points sensibles.

La volatilité des prix de l’or, les coûts de production, la sécurité dans certaines régions du Burkina Faso, les risques liés à la gouvernance, la confiance des investisseurs sont autant de facteurs qui pourraient freiner ou compromettre les ambitions.

Pourquoi est-ce important ?

Parce que la politique adoptée par le Burkina Faso s’inscrit dans une tendance régionale de “resource nationalism” : des pays ouest-africains veulent que l’exploitation de leurs ressources naturelles ne profite pas seulement aux multinationales mais aussi à l’État et aux populations locales. Dans une région où l’or est l’un des principaux piliers d’exportation, de devises, de revenus fiscaux et d’emplois, ces décisions ont un effet domino.

Pour l’économie burkinabè, obtenir un contrôle plus fort sur les mines peut renforcer les recettes publiques, améliorer la balance des paiements, et réduire la dépendance aux importations. Cela peut aussi faciliter le développement des infrastructures locales, du transport, de la transformation locale de l’or, de la création d’emplois chez les mineurs mais aussi en aval.

Dans un contexte ouest-africain où les effets des coups d’État, de l’insécurité, des fluctuations des prix des matières premières, de la volatilité monétaire sont très sensibles, cette politique est un pari sur la souveraineté économique. Cependant, si elle mène à des retraits d’investisseurs, à des retards dans les projets, à des contentieux ou des coûts de financement élevés, les effets pourraient être contre-productifs. Les autres pays de la région (Mali, Niger, Côte d’Ivoire, Ghana) observent et parfois adaptent leurs codes miniers aussi. L’exemple burkinabè peut encourager ou dissuader selon l’exécution.

En fin de compte, la réussite de cette politique dépendra de la capacité de l’État à gérer ses participations (financements, gouvernance, transparence), à préserver un environnement attractif pour les investisseurs (sécurité juridique, stabilité), et à équilibrer les attentes sociales avec les réalités économiques.

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