Ghana : l’irrigation solaire comme levier de productivité agricole, un pari audacieux vers 1 million d’hectares d’ici 2030
L’enjeu est de taille pour le Ghana (Crédit image : Giz/Joerg Boethling)
Les points clés :
Le Ghana lance dix nouveaux forages solaires dans le nord et une centrale solaire de 1 MW pour soutenir l’irrigation, dans le cadre du programme « Feed Ghana ».
Le gouvernement vise à couvrir 400 000 hectares sous irrigation solaire d’ici 2028, puis 1 million d’hectares d’ici 2030, avec 3 500 pompes solaires prévues dans l’intervalle.
Actuellement, seulement environ 3 % des terres cultivées (près de 7,4 millions d’hectares) disposent d’un système d’irrigation, montrant l’ampleur du chemin à parcourir.
Au Ghana, l’agriculture reste fortement dépendante des précipitations, ce qui la rend vulnérable aux aléas climatiques, sécheresses, pluies irrégulières, périodes de pluviométrie incertaine. Face à ces défis, le gouvernement mise sur l’énergie solaire comme solution durable pour renforcer la stabilité de la production alimentaire. L’initiative est double : installer de nouveaux forages solaires dans le nord, et déployer des infrastructures pour l’irrigation alimentée au solaire dans d’autres régions, dont l’installation d’une centrale solaire de 1 MW à Dawhenya.
Ces projets s’inscrivent dans le cadre de la stratégie « Feed Ghana », qui vise non seulement à accroître la productivité agricole, mais aussi à autonomiser les communautés rurales, à améliorer la sécurité alimentaire, à réduire la dépendance aux générateurs diesel coûteux, et à favoriser l’emploi, notamment pour les femmes.
L’enjeu est de taille : passer d’un modèle presque exclusivement pluvial à un système diversifié et résilient, capable de produire toute l’année. C’est dans ce contexte que s’insère l’objectif gouvernemental ambitieux de 400 000 hectares irrigués au solaire d’ici 2028, puis 1 million d’ici 2030, des chiffres qui, s’ils sont atteints, pourraient transformer profondément la ruralité ghanéenne.
Statistiques actuelles et potentiel inexploité
Selon un article d’Ecofin Agency du 30 septembre 2025, le Ghana a déjà mis en service dix forages solaires dans le nord, avec l’appui du gouvernement du Canada, dans le cadre de « Feed Ghana ». Quinze autres forages doivent être lancés entre décembre 2025 et février 2026. L’article mentionne aussi la centrale solaire de 1 MW financée à 5 millions de dollars par la Corée du Sud à Dawhenya.
Le même article indique que le gouvernement vise 400 000 hectares sous irrigation solaire d’ici 2028, avec un nombre de pompes solaires prévues de l’ordre de 3 500. D’ici 2030, l’objectif est élargi : 1 million d’hectares.
La FAO signale qu’en 2022, le Ghana disposait d’environ 7,4 millions d’hectares de terres cultivées, mais seulement ~3 % de celles-ci sont équipées pour l’irrigation.
Le potentiel irriguable total est estimé entre 360 000 et 1,9 million d’hectares, selon plusieurs sources dont le World Bank, FAO, et des études de petites irrigation (petite irrigation économique) dans le pays.
Projet spécifiques : forages et centrales solaires
Les dix forages solaires déjà activés dans le nord ont pour but de fournir de l’eau propre, fiable et continue pour l’irrigation, de soutenir la production maraichère toute l’année, et d’améliorer le revenu des femmes agricultrices. Quinze forages supplémentaires sont planifiés. Le coût total n’a pas encore été rendu public.
La centrale de 1 MW à Dawhenya, financée à hauteur de 5 millions de dollars par la Corée du Sud, doit alimenter le système d’irrigation local, notamment pour le riz, et réduire la dépendance aux générateurs diesel.
Enjeux de viabilité, coûts et retour sur investissement
Une étude du Feed the Future Innovation Lab for Small-Scale Irrigation (ILSSI) montre que l’expansion de l’irrigation à petite échelle (small-scale irrigation, SSI) peut générer près de 285 millions de dollars par an pour les agriculteurs bénéficiant d’un tel système. Cette estimation se base sur un potentiel de 211 000 hectares économiquement et biophysiquement adaptés à l’irrigation de petite taille, et un nombre important de petits producteurs concernés, environ 690 000 agriculteurs peuvent tirer profit.
L’étude compare également les coûts entre pompes solaires et pompes diesel. Les coûts initiaux des installations solaires sont élevés, mais ils deviennent compétitifs avec le temps, surtout si le prix du diesel monte ou si les coûts de maintenance des systèmes solaires sont bien gérés.
Obstacles, risques et conditions de réussite
Le défi technique ne se limite pas à poser des panneaux solaires ou à forer des puits. Plusieurs risques pèsent sur la réussite :
Le financement est partiellement couvert (Canada, Corée du Sud, appuis internationaux), mais beaucoup reste à mobiliser. Sans budget transparent et durable, les promesses risquent de rester sur le papier.
La maintenance, l’entretien, la gestion des pompes solaires (nettoyage, pièces, durée de vie) doit être assurée. Dans les zones rurales, le suivi logistique et technique est souvent lacunaire.
L’accès au crédit pour les petits agriculteurs est limité, ce qui complique l’investissement initial. Les études ILSSI montrent que les coûts initiaux représentent une part importante des dépenses totales. Sans mécanismes innovants de financement ou subventions, beaucoup ne pourront pas bénéficier du programme.
La distribution géographique, la qualité des infrastructures, le soutien institutionnel sont disparates selon les régions. Le Nord, le Nord-Est et les zones rurales éloignées notamment nécessitent des investissements en infrastructures complémentaires (routes, réseaux d’eau, accès au marché).
La question de l’énergie fiable (même pour les pompes solaires, la connectivité, le transport des matériels, l’accès aux pièces) reste critique. Le solaire est souvent intermittent, moins efficace pendant les périodes nuageuses ou les poussières importantes, ce qui nécessite un bon design des systèmes.
Impacts attendus, défis et pistes
Le passage d’un modèle pluvial vers un modèle plus hybride (solaire + irrigué) peut avoir un effet multiplicateur sur la productivité agricole. En assurant l’accès à l’eau toute l’année, les agriculteurs peuvent diversifier leurs cultures, récolter plusieurs cycles, réduire les pertes en saison sèche, répondre à la demande locale, et même exportable. Cela améliore les revenus, la sécurité alimentaire, et stabilise les prix des produits vivriers.
L’initiative de forages solaires dans le nord est particulièrement significative car cette région est souvent la plus vulnérable aux sécheresses, et aussi celle où l’accès aux infrastructures est plus faible. Ce type de projet peut aider à réduire les migrations internes, soutenir les femmes agricultrices, et réduire les inégalités régionales.
Le remplacement progressif des générateurs diesel par des forages ou pompes solaires entraîne des économies sur les coûts d’énergie, une réduction des émissions de CO₂, et une meilleure stabilité des coûts de production. La centrale de Dawhenya, financée par la Corée du Sud, illustre cette transition énergétique concrète.
Cependant, le coût initial reste élevé. Le défi est de créer des modèles de financement mixtes (public, bailleurs internationaux, privé) qui diminuent la barrière à l’entrée pour les petits exploitants. Les études comparatives indiquent que le solaire devient compétitif à certains prix de diesel élevés, mais dès que le coût du diesel baisse, ce différentiel peut se réduire.
La gouvernance, la transparence, la formation des agriculteurs, l’entretien des installations, la disponibilité des pièces détachées, et l’intégration de ces systèmes dans les filières agricoles (accès aux marchés, stockage, transformation) seront des facteurs déterminants de succès.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que pour le Ghana, mais aussi pour toute l’Afrique de l’Ouest, l’irrigation solaire représente une opportunité de rompre avec l’instabilité structurelle liée à l’agriculture pluviale, aux aléas climatiques et à la dépendance des importations alimentaires.
L’Afrique de l’Ouest regorge de régions semi-arides ou de saisons sèches longues, où l’irrigation pourrait transformer radicalement la productivité agricole, la résilience des communautés, et la sécurité alimentaire. Si le Ghana réussit à atteindre ses objectifs (400 000 à 1 million d’hectares irrigués au solaire), cela pourrait servir de démonstrateur pour des pays comme le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Sénégal ou le Bénin, où le besoin est également crucial.
Les efforts régionaux pour mobiliser des financements verts, pour structurer des modules de petites et moyennes infrastructures agricoles, pour adapter les politiques publiques aux réalités climatiques, sont déjà visibles. Le Ghana, avec son plan « Feed Ghana », n’est pas seul mais montre une trajectoire possible de transition durable.
Enfin, la souveraineté alimentaire dépend non seulement de la quantité produite mais de la stabilité, de la constance, de la capacité à répondre aux besoins toute l’année. L’irrigation solaire est un des meilleurs moyens pour l’Afrique de ne plus subir les caprices du climat mais de se projeter avec autonomie, durabilité et responsabilité.