Nigeria : Dangote et la NNPC scellent un nouveau pacte pétrolier de 2 ans
Les points clés :
Dangote Refinery et la NNPC signent un accord de fourniture de brut de deux ans, assurant la continuité d’approvisionnement.
Sur 82 millions de barils alloués entre 2024 et 2025, 60 % l’ont été en naira dans le cadre du programme « crude-for-naira ».
Cet accord renforce la stratégie d’autosuffisance énergétique nigériane, mais s’inscrit dans un contexte de tensions syndicales et monétaires.
L’annonce est tombée fin septembre 2025 : Dangote Refinery, fleuron privé de l’industrie pétrolière nigériane, signera un nouvel accord de fourniture de brut avec la NNPC Limited pour une durée de deux ans. Cet engagement pérennise la relation entre l’État nigérian et le géant industriel, dans un cadre qui mêle enjeux de souveraineté, de stabilité monétaire et de croissance économique. En période de volatilité sur les marchés internationaux de l’énergie, l’assurance d’un flux de brut est un atout appréciable, mais les conditions et les défis derrière ce pacte méritent un examen approfondi.
Le nouvel accord dans le détail : volumes, modalités et contexte
Le contrat signé en août 2025 prévoit que la NNPC fournisse à la raffinerie de Lekki (capacité nominale de 650 000 barils/jour) un approvisionnement en brut stable pour les deux années à venir. Le deal s’inscrit dans l’initiative « crude-for-naira », un mécanisme dans lequel une partie du brut est libellée en naira pour faciliter la circulation interne du carburant et limiter la pression sur les devises étrangères.
Selon BusinessDay, entre octobre 2024 et septembre 2025, 82 millions de barils ont déjà été alloués à la raffinerie dans le cadre de précédents accords. Parmi ces volumes, 60 % (≈ 49,3 millions de barils) ont été fournis sous forme de cargaisons naira, conformément à la stratégie monétaire. Andy Odeh, porte-parole de la NNPC, explique que le contrat inclut des clauses de réconciliation périodique entre les volumes livrés en naira et leur valeur en produits raffinés. Le nouvel accord est donc structuré pour durer jusqu’en 2027, garantissant une continuité de fonctionnement face aux incertitudes.
Les modalités de fourniture pour les mois d’août à octobre incluent des cargaisons naira : trois cargaisons en août, puis cinq chacune pour septembre et octobre. Ces allocations visent à répondre simultanément aux contraintes internes du marché et aux demandes externes. Toutefois, aucune précision n’a été annoncée officiellement pour les mois au-delà d’octobre, ce qui laisse planer une part d’incertitude.
Renforcer l’indépendance énergétique
Le Nigeria, malgré ses importantes réserves de pétrole, dépend encore fortement des importations de produits raffinés. La raffinerie Dangote, avec sa capacité nominale de 650 000 barils par jour, est conçue pour inverser cette tendance. En sécurisant un flux de brut sur deux ans, le pays vise à limiter les interruptions, à stabiliser l’offre domestique, et à mieux contrôler le marché intérieur. Le nouveau contrat est donc une pierre angulaire de la stratégie de souveraineté pétrolière.
Soutenir l’initiative « crude-for-naira » malgré les turbulences
Le mécanisme crude-for-naira, mis en place pour réduire la dépendance en devises étrangères, est mis à l’épreuve chaque fois que les allocations de brut ne suffisent pas ou sont irrégulières. En 2025, la raffinerie avait temporairement suspendu ses ventes en naira, affirmant avoir écoulé ses allocations de brut naira. Cette suspension a provoqué une onde de choc sur le marché. Le nouvel accord, en reconduisant la fourniture de brut libellé en naira, montre une volonté politique de stabiliser le système et de restaurer la confiance dans ce mécanisme. 
Assurer la crédibilité opérationnelle et attirer les investissements
Pour Dangote, un engagement de deux ans garantit une visibilité opérationnelle plus forte. Cela rassure les distributeurs, les investisseurs et les partenaires financiers. C’est un signal fort de stabilité dans un secteur souvent sujet aux interruptions imprévues. Par ailleurs, en affirmant la continuité du partenariat public-privé avec la NNPC, le Nigeria renforce la crédibilité de son environnement de l’énergie, ce qui peut favoriser de nouveaux investissements dans la chaîne valeur pétrolière et des secteurs connexes.
Conflits sociaux et menaces de grève
Le contexte social est volatile : la raffinerie a récemment procédé à des licenciements massifs, autour de 800 employés, provoquant la colère des syndicats. Le PENGASSAN, principal syndicat du secteur, a même ordonné la suspension des approvisionnements en gaz et en pétrole vers la raffinerie en représailles. Selon la presse, cette crise pourrait déboucher sur une grève nationale, paralysant non seulement Dangote mais aussi toute la filière pétrolière du pays. Les tensions entre la direction et les travailleurs soulignent l’enjeu de la justice sociale, de la gouvernance interne et de la stabilité des opérations.
Dépendance aux allocations de brut et équilibre du modèle
Même avec un accord de deux ans, la raffinerie dépend largement des allocations de brut de la NNPC. Si les volumes alloués se révèlent insuffisants ou irréguliers, l’usine pourrait être forcée à adapter ses ventes, voire suspendre certaines opérations. Le précédent épisode de suspension des ventes en naira en septembre 2025 en est un rappel. Le mécanisme de réconciliation des charges et revenus en naira impose une discipline financière rigoureuse, et si les fluctuations du taux de change ou les coûts d’importation d’intrants pèsent trop lourd, l’équilibre peut basculer.
Pression sur le naira et réserve de changes
Le pacte s’inscrit dans une logique de réduction de la demande en devises pour l’importation de produits raffinés. Mais si la raffinerie devait recourir à des achats internationaux de brut, cela remettrait sous stress la réserve de change. Le Nigeria est déjà exposé aux tensions sur le naira, à l’inflation et aux déséquilibres macroéconomiques. Tout dérèglement dans le secteur pétrolier peut amplifier ces pressions.
Capacité réelle, maintenance et pannes techniques
Même si la raffinerie est conçue pour 650 000 barils/jour, elle doit faire face à des périodes d’entretien ou de dysfonctionnements. En août 2025, l’unité de craquage avait été mise à l’arrêt pour réparations. Les interruptions techniques sont des failles potentielles dans la continuité de production. De plus, Dangote envisage d’augmenter sa capacité à 700 000 bpd d’ici la fin de l’année, ce qui introduit de nouveaux défis d’exploitation. Si ces expansions ne sont pas bien gérées, elles pourraient fragiliser la fiabilité de l’approvisionnement.
Pourquoi est-ce important ?
Ce renouvellement contractuel entre Dangote et la NNPC est davantage qu’un simple accord énergétique : il scelle les ambitions du Nigeria de s’affranchir de ses dépendances historiques. En sécurisant un flux de brut sur deux ans, le pays cherche à stabiliser son marché intérieur, à alléger sa pression en dollars et à asseoir une politique de souveraineté énergétique.
En Afrique de l’Ouest, où les échanges pétroliers, les flux monétaires et les politiques énergétiques sont intimement reliés, la réussite de ce pacte est scrutée de près. Le Nigeria, en tant que puissance régionale, joue un rôle de balancier : ses choix irriguent les marchés voisins, influencent les prix à la pompe, affectent les corridors logistiques et les flux d’investissement dans le secteur de l’énergie.
Mais la geste n’est pas sans risques : conflits sociaux, dépendance aux allocations du brut, fragilité technique et instabilité monétaire pèsent sur le pari. Si ce contrat tient ses promesses, il sera un levier puissant pour renforcer l’intégration énergétique ouest-africaine et inspirer des modèles de partenariat public-privé solides. Si, au contraire, il vacille, il pourrait raviver l’insécurité d’approvisionnement, fragiliser la confiance des marchés et retarder l’appropriation par l’Afrique de sa destinée énergétique.