Paiement instantané en Afrique : un bond historique de 1980 milliards USD en 2024 mais l’inclusivité reste l’enjeu majeur


Les points clés :

  • Les systèmes de paiement instantané en Afrique ont traité 64 milliards de transactions pour une valeur record de 1,98 trillion USD en 2024.

  • Le continent compte désormais 36 systèmes opérationnels (33 nationaux, 3 régionaux), avec cinq nouveaux lancés entre juillet 2024 et juin 2025.

  • Sept pays disposent de plusieurs SPI, mais seul le Nigeria, via son système NIBSS, a atteint un niveau d’« inclusivité mature ».


L’Afrique assiste à une révolution discrète, mais puissante : celle des systèmes de paiement instantané (SPI). Selon le rapport SIIPS 2025, publié le 13 novembre par AfricaNenda en partenariat avec la Banque mondiale et la Commission économique pour l’Afrique (CEA), ces infrastructures digitales ont atteint en 2024 des sommets jamais vus. Le continent a enregistré 64 milliards de transactions instantanées, d’une valeur cumulée de 1,98 trillion USD, selon AfricaNenda. Cette croissance exponentielle reflète l’adoption massive des paiements numériques à l’échelle continentale.

Le rapport souligne une progression annuelle moyenne de 35 % en volume et 26 % en valeur entre 2020 et 2024, des chiffres qui témoignent de l’accélération fulgurante de l’écosystème financier digital en Afrique. Cette montée en puissance ne se limite pas aux transactions : elle dessine une nouvelle cartographie économique, où les paiements traditionnels cèdent progressivement du terrain au numérique.

Au 30 juin 2025, l’Afrique comptait 36 SPI opérationnels dans 31 pays (contre 31 en juin 2024) : 33 systèmes nationaux et 3 systèmes régionaux, le système panafricain PAPSS, GIMACPAY (CEMAC) et TCIB (SADC). Le déploiement se poursuit : entre juillet 2024 et juin 2025, cinq nouveaux systèmes 24/7/365 ont été lancés, notamment en Algérie (Switch Mobile), Eswatini (Fast Payment Module), Libye (LYPay), Sierra Leone (Salone Switch) et Somalie (SIPS).

Au niveau des types de systèmes, le rapport identifie 16 SPI inter-domaines, capables de faire dialoguer les comptes bancaires et les portefeuilles mobile money. Il y a, en plus, 10 SPI mobile money et 6 SPI purement bancaires. Cette architecture hybride contribue à élargir l’accès, en reliant fintechs, banques et opérateurs mobiles.

Sur le plan de l’usage, les SPI bancaires ont connu une croissance particulièrement forte : 28 % en volume et 50 % en valeur entre 2023 et 2024. Mais, paradoxe : la valeur moyenne par transaction baisse. Pour les SPI bancaires, elle est passée de 251 USD à 154 USD, pour les systèmes inter-domaines de 225 USD à 95 USD, et pour les SPI mobile money, elle reste modeste, à 11 USD par transaction.

Les canaux d’usage sont révélateurs de l’écosystème technologique africain : 33 systèmes utilisent des applications mobiles, reflétant une pénétration forte des smartphones. Le protocole USSD (sur téléphones simples) est utilisé par 25 systèmes. Viennent ensuite le web bancaire (22 SPI), le QR code (20 SPI), les agents humains (16 SPI), tandis que les terminaux POS, distributeurs ou la NFC restent très minoritaires.

Concernant les cas d’usage, 35 SPI autorisent les paiements de personne à personne (P2P), 27 sont compatibles « personne vers entreprise » (P2B), 15 permettent des paiements « personne vers gouvernement » (P2G), 16 gèrent des transactions inter-entreprises (B2B), mais seuls 11 gèrent les paiements « gouvernement vers personne » (G2P) et 11 systèmes supportent des paiements transfrontaliers.

Un constat majeur : un seul système sur le continent a atteint un niveau d’« inclusivité mature » : celui du Nigeria, le NIBSS Instant Payment. Ce statut signifie qu’il couvre tous les cas d’usage, dispose de mécanismes efficaces de recours pour les utilisateurs, et maintient des coûts très bas. Dix autres systèmes, comme GIMACPAY (CEMAC), EthSwitch (Éthiopie), Ghana Mobile Money Interoperability, Instant Payment Network (Égypte) et d’autres, sont identifiés comme « en progression vers cette maturité ».

Malgré l’enthousiasme, des défis majeurs persistent. L’inclusivité reste inégale : de nombreux systèmes ne couvrent pas encore tous les types de transactions utiles à la population (notamment les paiements G2P et cross-border), et l’interopérabilité reste limitée dans certains cas. Selon le rapport, pour maximiser les bénéfices, il faut renforcer l’intégration des paiements dans les infrastructures publiques numériques (DPI), améliorer l’identité numérique et harmoniser la régulation transfrontalière.

Pourquoi est-ce important ?

L’essor des systèmes de paiement instantané en Afrique n’est pas simplement une question technologique : il marque un tournant économique profond. D’abord, en traitant près de 2 000 milliards USD en 2024, ces systèmes montrent que le continent est en train de bâtir une infrastructure financière numérique robuste, capable de soutenir des volumes massifs de transactions : cela contribue à la fluidité des échanges, réduit la dépendance au liquide, et favorise l’inclusion économique.

Ensuite, l’impact social peut être spectaculaire. En permettant des paiements P2P, P2B, P2G, ces systèmes peuvent toucher des populations marginalisées, notamment dans les zones rurales, chez les non bancarisés. L’adoption d’outils comme le USSD permet à des personnes sans smartphone d’accéder aux services financiers instantanés. Cette largesse d’accès aide à combler la fracture financière, favorise l’autonomisation, et peut renforcer la résilience des ménages pauvres.

Par ailleurs, ces infrastructures sont des leviers pour l’intégration régionale. Les systèmes comme PAPSS, GIMACPAY ou TCIB facilitent les paiements transfrontaliers dans leur espace, ce qui peut dynamiser le commerce intrarégional. Dans une perspective de marché continental (rêve de l’intégration africaine), ces SPI sont des briques numériques stratégiques.

Enfin, le développement des SPI soutenu par AfricaNenda, la CEA et la Banque mondiale montre que les institutions africaines et internationales placent la finance numérique inclusive au cœur de l’agenda de développement. Cela peut favoriser l’investissement, stimuler la croissance, et ouvrir la voie à des innovations sociales (paiement des impôts, transferts sociaux, paiement des salaires) plus efficaces.

En somme, la croissance spectaculaire des paiements instantanés en Afrique constitue une opportunité transformationnelle : renforcer l’inclusion, moderniser l’économie, et poser les bases d’un écosystème financier du XXIᵉ siècle, local et panafricain. Reste à combler les lacunes d’inclusivité pour que tous les Africains, y compris les plus vulnérables, bénéficient de cette révolution.

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