L’Afrique se dote d’un pilier institutionnel inédit : naissance du Conseil Africain de l’IA


Les points clés :

  • Smart Africa crée le tout premier Conseil Africain de l’Intelligence Artificielle, institution stratégique portée par 42 États africains.

  • Le Conseil vise à orienter les politiques IA du continent autour de six domaines : infrastructures, données, marché, talents, investissements et gouvernance.

  • Avec ce nouvel organe, l’Afrique affirme sa volonté de piloter l’IA selon ses propres valeurs, de renforcer sa souveraineté numérique et de développer une économie digitale inclusive.


Le 18 novembre 2025, à Kigali, l’Alliance Smart Africa a franchi un cap historique. Sous la présidence du chef d’État rwandais Paul Kagamé, le Conseil d’administration de Smart Africa a officiellement instauré le Conseil Africain de l’Intelligence Artificielle, une structure inédite, conçue pour jouer un rôle central dans le développement et la gouvernance de l’IA sur le continent.

Smart Africa, qui réunit 42 États africains et plus de cinquante partenaires institutionnels et privés, place ainsi la révolution de l’IA au cœur de sa vision d’un marché numérique unique pour l’Afrique. L’objectif, clairement formulé par Lacina Koné, Directeur général de Smart Africa, est ambitieux : faire de l’Afrique non plus une simple consommatrice de technologies, mais un véritable créateur de valeurs numériques.

Un instrument stratégique pour une transformation maîtrisée

Derrière la création de ce Conseil, Smart Africa et ses partenaires entendent offrir à l’Afrique un outil institutionnel capable de peser sur la scène mondiale de l’IA. Le mandat du Conseil Africain de l’IA est double : formuler des recommandations à la fois stratégiques et opérationnelles, et guider les États dans la mise en place d’un écosystème IA « responsable, inclusif et accessible à tous ».

La composition du Conseil reflète cette ambition. Il rassemble quinze personnalités clés : sept ministres des TIC issus de pays comme l’Algérie, le Tchad, le Kenya, le Nigeria, le Rwanda, le Togo (avec la ministre Cina Lawson), et le Zimbabwe. À leurs côtés figurent huit membres indépendants, issus de l’industrie, du monde académique et de la société civile : Paulin Basinga (Fondation Gates), Karim Beguir (InstaDeep), Yasser Shaker (Orange), Chenai Chair (Masakhane), Akua Gyekye (Microsoft), Vukosi Marivate (université de Pretoria), Walid Naffati (Tunisie Haut Débit) et Alex Okosi (Google Afrique subsaharienne).

Cette diversité assure que le Conseil couvre les six thématiques jugées stratégiques pour l’IA en Afrique : les infrastructures, les jeux de données, le développement des talents, les usages de marché, l’investissement et la gouvernance.

Un long processus de préparation

La genèse du Conseil Africain de l’IA ne date pas de ce jour. En avril 2025, lors de la 20ᵉ réunion du Comité de pilotage de Smart Africa à Kigali, les partenaires avaient déjà approuvé le principe de création de ce Conseil. Cette réunion a mobilisé des ministres des TIC, des représentants de l’Union africaine (notamment le commissaire à l’Énergie et aux Infrastructures) et l’UIT (Union internationale des télécommunications).

L’idée a été élaborée de manière concertée : dès février 2025, Smart Africa avait réuni des experts techniques, issus du secteur public, du monde académique et de l’industrie, pour affiner le mandat du Conseil. Un appel public à candidatures, lancé en août 2025, a recueilli plus de 400 dossiers provenant de 57 nationalités, signe d’un fort engouement et d’une forte légitimité.

Une vision continentale alignée avec les ambitions de l’Union africaine

Le Conseil Africain de l’IA ne naît pas dans le vide : il s’inscrit dans un cadre plus large, celui de la Déclaration Africaine sur l’IA, adoptée à Kigali le 4 avril 2025 lors du Sommet mondial de l’IA. Cette déclaration lie explicitement l’initiative à la Stratégie continentale de l’Union africaine sur l’IA, au schéma directeur Smart Africa (“AI for Africa Blueprint”) et à d’autres cadres tels que la politique des données de l’UA.

Le Conseil est donc pensé comme un pont entre les visions nationales, régionales et continentales, un organe qui permettrait d’harmoniser les politiques, de promouvoir des bonnes pratiques, et de garantir que l’IA profite à tous les Africains, selon une approche éthique et souveraine.

Enjeux économiques : souveraineté, investissement, talent

L’intelligence artificielle est dorénavant perçue comme un levier majeur de la croissance économique africaine. Le Conseil Africain de l’IA vise à stimuler l’innovation locale, à attirer des investissements, à développer des talents et à bâtir une infrastructure numérique résiliente. En créant ce cadre institutionnel, l’Afrique affirme une volonté de souveraineté numérique : produire sa propre IA, former ses talents, et ne plus dépendre exclusivement d’acteurs extérieurs.

Avec des membres issus de géants tels que Microsoft, Google, InstaDeep, Smart Africa se dote d’un ancrage concret dans l’innovation technologique, tout en gardant un équilibre entre gouvernements et secteur privé. Cela devrait aussi encourager les entreprises à investir dans des projets locaux, sachant qu’il existe désormais un cadre stratégique pour orienter et accompagner ces initiatives.

Sur le plan du développement des talents, le Conseil pourrait jouer un rôle clé dans l’élaboration de programmes de formation, le renforcement des compétences en data science, en IA éthique, en gouvernance des données. Cela répond à un besoin criant : de nombreux pays africains souffrent encore d’un déficit de compétences spécialisées. Comme le signalait Le Monde dans un article de février 2025, l’Afrique fait face à des lacunes en infrastructures, data centers et compétences IA.

Risques, défis et pistes de vigilance

Si la création du Conseil est un pas décisif, elle ne garantit pas automatiquement la traduction de ses recommandations en actions concrètes. L’un des risques majeurs est celui du décalage entre ambition institutionnelle et réalité opérationnelle : élaborer des politiques, c’est une chose ; les mettre en œuvre, mobiliser des ressources, pilotage et coordination entre 42 États, cela en est une autre.

L’équilibre entre les intérêts de l’État, les besoins du secteur privé et les droits de la société civile devra être finement négocié. Les disparités en infrastructure (connectivité, data centers, énergie) entre pays africains peuvent freiner l’adoption d’une IA avancée dans certains contextes. Comme observé dans les débats autour du financement et de l’éthique de l’IA, un Conseil ne suffit pas si les États ne se dotent pas des moyens d’action : gouvernance des données, régulation, financement de la recherche.

Un autre défi est la durabilité. Une institution comme le Conseil Africain de l’IA doit avoir non seulement des ambitions, mais aussi des ressources pérennes, un plan stratégique, et des indicateurs de succès clairement définis.

Pourquoi est-ce important ?

La mise en place du Conseil Africain de l’Intelligence Artificielle par Smart Africa marque une rupture stratégique qui peut transformer le paysage économique et numérique de l’Afrique. En se dotant de cette institution, le continent affirme qu’il entend être un acteur de premier plan dans la course mondiale à l’IA, non pas comme suiveur, mais comme innovateur et régulateur. Cela renforce la souveraineté numérique africaine : capacité à décider des orientations technologiques, à protéger les données, et à former ses propres talents.

Sur le plan économique, ce Conseil peut catalyser des investissements massifs. Les investisseurs – publics ou privés – pourraient être davantage confiants s’ils savent qu’il existe une institution forte pour guider les politiques IA. Les programmes de formation et de développement des compétences IA peuvent générer un vivier d’experts africains, capable de travailler dans des entreprises locales ou globales, et d’alimenter des start-ups d’IA conçues pour les réalités africaines.

En termes d’intégration régionale, le Conseil peut jouer un rôle structurant : en harmonisant les politiques et normes, il facilite la circulation des talents, des données et des innovations entre pays. Cela peut renforcer le marché numérique africain et créer des synergies entre États, piliers d’une croissance inclusive.

Enfin, ce projet s’inscrit dans une logique de développement durable : l’IA peut aider à résoudre des défis cruciaux pour les économies ouest-africaines et africaines en général : agriculture plus productive, santé, éducation, inclusion financière. En orientant les stratégies IA vers des usages qui répondent aux besoins locaux, le Conseil peut contribuer à un développement plus équitable et résilient.

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