1 Milliard $ pour l’Afrique : les Émirats misent l’IA sur l’avenir du continent
Les points clés :
Les Émirats arabes unis lancent un programme de 1 milliard de dollars pour déployer l’IA en Afrique dans des secteurs stratégiques comme l’éducation, la santé et l’agriculture.
Le continent représente aujourd’hui moins de 3 % du marché mondial de l’IA, mais son potentiel est énorme, avec une croissance prévue à 16,5 Md $ d’ici 2030.
Cette initiative émane du sommet du G20 à Johannesburg (novembre 2025), où les Émirats, bien que non-membres, inscrivent l’IA au cœur de leur diplomatie de développement.
Le 22 novembre 2025, au cœur du sommet du G20 de Johannesburg, les Émirats arabes unis ont dévoilé une initiative ambitieuse : un investissement de 1 milliard de dollars, baptisé « AI for Development », destiné à renforcer les infrastructures d’intelligence artificielle (IA) en Afrique et à promouvoir des applications de cette technologie dans des domaines essentiels au développement.
Ce plan, porté par l’Abu Dhabi Exports Office (ADEX) en collaboration avec l’agence d’aide étrangère des Émirats, marque une intensification notable de l’engagement technologique de l’émirat en direction du continent. Selon le Ministre d’État Saeed bin Mubarak Al Hajeri, cette initiative doit donner accès à une puissance de calcul IA, à l’expertise technique et à des partenariats internationaux, tout en contribuant à l’amélioration des services publics et à la productivité.
Les secteurs ciblés sont stratégiques : éducation, agriculture, santé, identité numérique et adaptation au changement climatique. L’objectif est clair : faire de l’IA un levier pratique de développement, pas seulement une innovation de laboratoire, mais une technologie “à l’échelle”, utile aux priorités nationales africaines.
Pourquoi maintenant ? Le contexte d’une diplomatie technologique
Le choix du moment n’est pas anodin : les Émirats annoncent leur plan lors du G20 de Johannesburg, la première édition du sommet à se tenir sur le sol africain. Ce geste symbolique renforce la portée géopolitique de l’initiative : bien que non-membres du G20, les Émirats sont invités à jouer un rôle actif dans la coopération mondiale, et cette annonce s’inscrit dans leur stratégie d’influence et d’investissement durable sur le continent.
L’engagement des Émirats en Afrique n’est pas nouveau : selon les responsables, le pays est désormais le quatrième plus grand investisseur sur le continent, avec des investissements dans les énergies renouvelables, la logistique ou les minerais stratégiques. Cette initiative IA se présente comme la prochaine étape d’un partenariat de long terme, liant technologies avancées et développement durable.
La réalité du marché africain de l’IA : un potentiel énorme… mais des disparités
Un des fondements de cette initiative est la constatation d’un fort retard : l’Afrique représente aujourd’hui moins de 3 % du marché mondial de l’IA, selon les Émirats eux-mêmes. Cela s’explique par des obstacles structurels : manque d’infrastructures numériques, accès inégal à Internet, capacités énergétiques limitées, et absence de cadres réglementaires robustes sur l’IA dans de nombreux pays.
Pourtant, les perspectives sont très prometteuses. D’après un rapport publié par Mastercard en août 2025, le marché africain de l’IA devrait passer de 4,51 milliards de dollars en 2025 à 16,53 milliards d’ici 2030, soit une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 27,4 %. Ce rapport met aussi en lumière le potentiel de création d’emplois : selon Mastercard, l’IA pourrait générer 230 millions d’emplois d’ici 2030 en Afrique subsaharienne, à condition que les talents soient formés et que les infrastructures accompagnent cette montée en puissance.
Mais cette trajectoire ne sera pas uniforme. Certains pays comme l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Rwanda, Maurice, le Kenya ou le Nigeria ont déjà adopté des stratégies et des cadres politiques pour encadrer l’IA de façon éthique et structurée. En revanche, d’autres restent largement à la traîne, freinés par des défis plus profonds liés à l’énergie ou à la connectivité.
Ce que les Émirats apportent : au-delà de l’argent, l’expertise et la puissance de calcul
L’initiative « AI for Development » ne se limite pas au financement : elle offre un ensemble complet de leviers : computing, partenariats et compétences. Selon l’Agence de Développement des Émirats, cette enveloppe permet non seulement de déployer des machines et des infrastructures, mais aussi d’offrir un “savoir-faire IA” via des partenariats mondiaux.
Les Émirats veulent ainsi jouer un rôle de catalyseur technologique : en soutenant des gouvernements africains dans le déploiement de projets IA concrets, l’initiative vise à “surmonter des défis de développement” avec des solutions numériques pratiques, et non pas expérimentales.
Dans ce cadre, l’ADEX (Abu Dhabi Exports Office) et l’agence d’aide étrangère émiratie travaillent de concert pour sélectionner des projets à fort impact. La gouvernance entre en jeu : il ne s’agit pas simplement de donner des subventions, mais bien de construire des programmes pérennes, alignés sur les priorités de développement des États africains.
Les risques, ambiguïtés et leviers de vigilance
Une telle initiative ne va pas sans poser des questions. D’abord, l’investissement stratégique des Émirats peut être perçu comme une forme de soft power technologique. Si cette aide est bénéfique, elle pourrait également renforcer l’influence de l’émirat dans des secteurs clés de l’économie numérique africaine.
Ensuite, il y a la question de la mise en œuvre effective. Le financement de 1 milliard de dollars est ambitieux, mais son effet dépendra du choix des projets, de leur gouvernance et de leur exécution. Tous les pays africains ne disposent pas du même niveau de maturité pour absorber des projets IA de cette envergure.
La formation des talents est un autre défi majeur : le rapport Mastercard souligne une pénurie de professionnels qualifiés dans le domaine de l’IA. Sans investissements dans l’éducation et la montée en compétences, les infrastructures seules ne suffiront pas.
Il existe aussi des risques liés à l’éthique et à la gouvernance de l’IA. Le déploiement massif d’outils d’intelligence artificielle doit s’accompagner de cadres réglementaires solides, de garanties en matière de protection des données et d’un souci d’inclusion.
Enfin, la durabilité énergétique peut poser problème : l’IA à grande échelle nécessite une puissance de calcul importante, donc des data centers, de l’électricité… et cela peut être un frein dans des pays où l’accès à l’énergie est précaire.
Pourquoi est-ce important ?
L’initiative des Émirats marque une rupture stratégique dans la coopération Sud-Sud. En injectant 1 milliard de dollars dans l’IA en Afrique, les Émirats ne font pas que financer : ils investissent dans la construction d’un avenir numérique sur le continent. Cela peut contribuer à combler un fossé technologique, en donnant aux pays africains les moyens de développer des infrastructures IA, d’accéder à des compétences et de renforcer leur productivité.
Pour l’Afrique, c’est une opportunité de catalyser le développement dans des secteurs cruciaux : éducation, santé, agriculture. Si l’IA est bien déployée, elle peut révolutionner les services publics, améliorer la prise de décision et accroître l’efficacité des systèmes. L’adoption de l’IA peut également stimuler l’entrepreneuriat local, en créant des startups technologiques et en générant des emplois à haute valeur ajoutée.
À l’échelle économique ouest-africaine (et africaine plus largement), cette initiative pourrait favoriser une souveraineté numérique plus forte. En développant ses propres capacités IA, le continent réduit sa dépendance aux technologies importées et positionne ses pays comme des acteurs à part entière dans la nouvelle économie numérique.
Enfin, sur le plan géopolitique, l’initiative démontre que les États du Golfe comme les Émirats peuvent jouer un rôle central dans le développement technologique de l’Afrique. Ce partenariat pourrait servir de modèle : d’autres nations technologiquement avancées pourraient emboîter le pas, contribuant à une coopération plus équilibrée et moins asymétrique.
En somme, cet investissement de 1 milliard de dollars n’est pas seulement une aide : c’est un pari sur la transformation de l’Afrique via l’intelligence artificielle, un levier potentiellement décisif pour la résilience, l’innovation et la croissance du continent.