Economie : la Côte d’Ivoire convertit ses ressources halieutiques en machine de croissance et d’emplois


Les points clés :

  • Le secteur des ressources halieutiques ivoirien a généré près de 700 000 emplois, positionnant la pêche et l’aquaculture comme un levier majeur d’intégration économique et sociale.

  • Malgré une production halieutique qui progresse (de ~55 864 t en 2011 à ~94 553 t en 2024), la Côte d’Ivoire couvre moins de 15 % de sa demande nationale, créant un déficit structurel élevé.

  • Pour répondre à ce gap, des programmes publics tels que le Programme stratégique de transformation de l’aquaculture (PSTACI) visent à porter la production à 150 000 t/an d’ici à 2030.


Longtemps relégué au second plan, le secteur des ressources halieutiques ivoirien s’impose désormais comme un pilier stratégique de la transformation structurelle de l’économie nationale. Derrière l’image traditionnelle du pêcheur artisanal et de la petite ferme piscicole se cache une dynamique profonde, capable de relier emploi, sécurité alimentaire, valeur ajoutée locale et réduction du déficit commercial.

Selon une note gouvernementale publiée fin décembre 2025, le secteur a généré environ 680 000 emplois entre 2011 et 2024, dont 100 000 postes directs et 580 000 indirects, soulignant son rôle social autant qu’économique. Cette performance se déploie dans un contexte démographique dynamique et face à une dépendance historique aux importations alimentaires, qui pèse sur les réserves de devises et sur la balance commerciale.

Le chiffre de près de 700 000 emplois englobe non seulement les pêcheurs et pisciculteurs, mais aussi les acteurs des chaînes de transformation, de logistique, de commercialisation, de maintenance d’équipements et des services associés. Cette chaîne de valeur dense et intégrée révèle une économie halieutique bien plus complexe qu’on ne l’imaginait, agissant comme un moteur de développement territorial.

Une production en progression… mais encore loin des besoins

Sur le plan productif, la croissance est nette. La production nationale de produits halieutiques est passée d’environ 55 864 tonnes en 2011 à près de 94 553 tonnes en 2024, une progression importante portée par les efforts de modernisation et de structuration de la filière. Néanmoins, cette hausse reste largement insuffisante face à une demande intérieure far plus élevée. Selon les données officielles, la demande nationale en poisson était estimée à 730 000 tonnes en 2023, tandis que la production locale ne couvrait que moins de 15 % des besoins.

Cette inadéquation explique pourquoi la Côte d’Ivoire reste un importateur net de produits halieutiques, avec des volumes massifs de poisson importé pour satisfaire les besoins de consommation et un impact significatif sur les réserves de devises. Des données récentes indiquent que le pays a importé près de 730 000 tonnes de poissons en 2024, pour un coût estimé à plus de 518 milliards de F CFA (près de 910 millions USD), soulignant l’ampleur du déficit structurant et la pression macroéconomique qui en découle.

Une filière en pleine transformation institutionnelle

Face à ces défis, les autorités ivoiriennes ont engagé une série de réformes et de programmes destinés à changer d’échelle. L’une des initiatives clés est la création de l’Association nationale des aquaculteurs de Côte d’Ivoire (ANAQUACI), qui vise à mieux organiser la filière et à structurer un secteur jusqu’ici fragmenté.

Parallèlement, le Programme stratégique de transformation de l’aquaculture en Côte d’Ivoire (PSTACI) a été conçu pour accélérer la production locale et attirer les investissements publics et privés, avec pour objectif de porter la production à 150 000 tonnes par an d’ici 2030. Selon Modibo Samaké, coordonnateur du PSTACI, l’ambition est non seulement d’augmenter les volumes produits, mais aussi de professionnaliser les acteurs du secteur et de créer des champions nationaux de l’aquaculture, capables de répondre aux normes régionales et internationales.

La diffusion de 25 millions d’alevins améliorés, la modernisation des infrastructures de production et des centres d’alevinage, ainsi que la formation technique des producteurs illustrent les actions concrètes déjà entreprises pour nourrir cette ambition. En lien avec ces efforts, des partenariats internationaux, comme le programme FISH4ACP de la FAO, visent à renforcer la durabilité des pratiques et à améliorer la productivité des espèces locales telles que le tilapia, avec des objectifs visant une production bien plus élevée d’ici 2030.

Économie, commerce extérieur et dépendance aux importations

Le rôle du secteur halieutique dépasse la sphère sociale pour s’imposer comme un acteur stratégique de la politique économique ivoirienne. En effet, la forte demande intérieure en poisson une source majeure de protéines animales pour les Ivoiriens place le poisson au centre des préoccupations de sécurité alimentaire et de diversification des sources d’importations alimentaires.

La dépendance structurelle aux importations a conduit le gouvernement à envisager des mesures protectionnistes, y compris l’idée d’une taxe sur les importations de poissons, afin de protéger la production locale et offrir un espace plus compétitif aux acteurs nationaux. À terme, l’objectif affiché est de contribuer à un effort de substitution des importations et ainsi réduire la pression sur la balance des paiements du pays.

Approche régionale et enjeux environnementaux

Au sein du contexte ouest-africain, la Côte d’Ivoire partage des défis similaires à ceux de ses voisins. Les ressources halieutiques de la région sont soumises à une pression croissante due à la surpêche, aux activités industrielles et au changement climatique, ce qui rend impératif un cadre de gestion durable des stocks et une coopération régionale renforcée. Les pêches artisanales, qui représentent une majorité de la production, restent vulnérables, tout comme les petits exploitants qui dépendent de ces ressources pour leurs moyens d’existence.

Le renforcement des capacités de gouvernance et de surveillance, ainsi que l’appui à l’innovation technique notamment en pisciculture sont des éléments essentiels pour assurer non seulement la croissance du secteur mais aussi sa durabilité environnementale.

Pourquoi est-ce important ?

L’évolution du secteur des ressources halieutiques en Côte d’Ivoire met en lumière un changement profond de paradigme : d’une activité largement traditionnelle et sous-valorisée, ce secteur devient un pilier de croissance inclusive, de création d’emplois et de sécurité alimentaire. Ce n’est plus simplement une question de pêche ou d’aquaculture ; c’est un moteur économique à part entière, qui porte des ambitions de transformation industrielle légère, d’innovation organisationnelle et de renforcement des capacités humaines.

Pour l’économie ouest-africaine, le cas ivoirien illustre comment un secteur secondaire peut se positionner comme un levier stratégique pour répondre à la fois à la demande intérieure croissante et aux défis liés aux importations. Dans une région confrontée à une forte urbanisation, à une pression démographique élevée et à d’importants besoins en protéines animales, la réussite d’un modèle halieutique durable peut inspirer des politiques régionales coordonnées, favorisant l’intégration des chaînes de valeur et la sécurité alimentaire.

Au niveau national, l’impact économique se mesure non seulement par les milliers d’emplois générés, mais aussi par les effets directs sur les revenus des ménages, la diversification productive et l’attraction des investissements privés et publics. Dans un contexte mondial où les chaînes d’approvisionnement sont fragiles et où la dépendance aux importations expose les économies aux fluctuations externes, la valorisation des ressources locales devient une priorité stratégique pour bâtir une croissance durable, résiliente et inclusive en Afrique de l’Ouest.

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