Le Nigeria bloque l’exportation de noix de karité brute : une belle passe décisive à l’industrie locale

Crédit image : Gettyimages


Les points clés :

  • Le président Tinubu interdit pour six mois l’exportation de noix de karité brute afin de favoriser la transformation locale.

  • Cette mesure ambitieuse vise à générer jusqu’à 300 millions USD par an et à multiplier par dix les revenus de la filière d’ici 2027.

  • Elle s’inscrit dans le cadre du Plan « Zéro pétrole » et cherche à transformer le Nigeria en un acteur majeur du marché mondial du beurre et de l’huile de karité.


Le président nigérian Bola Ahmed Tinubu a imposé une suspension immédiate, pour une durée de six mois, de l’exportation de noix de karité brute. Cette décision, annoncée par le vice-président Kashim Shettima lors d’une réunion multipartite à Abuja, n’a rien d’un geste anti-commerce, mais constitue au contraire une stratégie « pro-industrialisation » pour redynamiser une filière clé : le karité. Elle trouve sa cohérence dans une réalité édifiante : le Nigeria produit environ 40 % de l’offre mondiale de karité, mais ne capte aujourd’hui qu’à peine 1 % d’un marché estimé à 6,5 milliards USD.

L’ambition gouvernementale est nette : orienter le pays vers la transformation de karité, en fabriquant du beurre, des huiles et dérivés, plutôt que d’expédier la matière première brute. L’objectif affiché est substantiel : générer près de 300 millions USD par an à court terme et accroître ce montant dix fois d’ici 2027. Le vice-président Shettima insiste sur les effets attendus : création d’emplois, transformation rurale, autonomisation des femmes, renforcement de l’industrialisation et ouverture vers de nouveaux marchés. Un accord préférentiel est en cours de négociation avec le Brésil et devrait aboutir dans les trois mois.

Selon le ministre de l’Agriculture, Abubakar Kyari, malgré une production de 350 000 tonnes par an à travers 30 États, les usines locales ne tournent qu’entre 35 % et 50 % de leur capacité, pour un potentiel de 160 000 tonnes. Un autre défi majeur réside dans le commerce informel transfrontalier : plus de 90 000 tonnes sont exportées hors circuit chaque année, amputant gravement la valeur ajoutée nationale.

Le Nigeria suit ainsi les traces de ses voisins ouest-africains tels que le Ghana, le Burkina Faso, le Mali ou le Togo, qui ont déjà instauré des restrictions pour protéger les industries locales. Cette mesure s’inscrit également dans la feuille de route du gouvernement dénommée « Plan Zéro Pétrole », qui vise à diversifier les exportations du pays en mettant en avant les produits à haute valeur ajoutée non pétrolière comme le karité. Le marché mondial du karité devrait atteindre 9 milliards USD d’ici 2030, ce qui renforce l’opportunité stratégique pour Abuja.

Pourquoi est-ce important ?

Cette décision symbolise un tournant essentiel pour l’économie nigériane et de la sous-région ouest-africaine. En sortant de la dépendance aux matières végétales brutes, le Nigeria cherche à capturer la valeur ajoutée de sa filière karité, à stimuler l’emploi rural et à promouvoir l’entrepreneuriat local, notamment féminin, dans une filière largement féminisée.

Sur le plan économique, cela permettra de conserver une plus grande part des revenus tirés du secteur chez les producteurs, les transformateurs et les communautés riveraines, tout en réduisant l’érosion de devises liée aux exportations informelles.

Sur le plan politique et stratégique, cette initiative s’aligne sur les objectifs du « Plan Zéro Pétrole » et marque une volonté affirmée de réindustrialiser le pays. Elle renforce aussi la résilience nationale face aux chocs extérieurs en diversifiant les sources d’exportation.

Régionalement, en rejoignant ses homologues ouest-africains dans cette stratégie, le Nigeria contribue à structurer une dynamique de transformation industrielle transfrontalière. Une meilleure coordination pourrait émerger pour renforcer les capacités de transformation dans toute la sous-région et augmenter la compétitivité africaine sur le marché mondial des produits dérivés du karité.

En somme, cette interdiction temporaire n’est pas un frein à l’économie, mais un tremplin vers une filière plus robuste, plus juste et plus stratégique à long terme.

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