Zones économiques spéciales et corridors logistiques en Afrique de l’Ouest : opportunités ou pièges fiscaux ?

(Crédit image : Trafigura)


Les trois points clés :

  • Les zones économiques spéciales et les corridors logistiques apparaissent comme des moteurs de compétitivité pour l’Afrique de l’Ouest, mais leur impact réel reste contrasté.

  • Les exonérations fiscales attirent les investisseurs mais limitent les recettes publiques et créent une concurrence entre États.

  • Le défi central réside dans l’intégration de ces projets dans des stratégies nationales de développement durable et inclusif.


L’économie ouest-africaine se trouve à un tournant avec l’essor des zones économiques spéciales et le développement de corridors logistiques, présentés comme des instruments de transformation et de compétitivité. Ces dispositifs visent à attirer des investissements, stimuler les exportations, générer des emplois et renforcer l’intégration régionale. Mais derrière cette promesse se cachent des fragilités structurelles et des contradictions qui interrogent leur viabilité à long terme.

Les zones économiques spéciales offrent des avantages fiscaux très attractifs, allant des exonérations d’impôt sur les sociétés aux dispenses de TVA, en passant par la réduction des droits de douane et la mise à disposition d’infrastructures spécifiques. Du Togo au Nigeria, en passant par la Côte d’Ivoire et le Ghana, elles séduisent des entreprises de secteurs variés, qu’il s’agisse de l’agro-industrie, de la transformation minière ou du montage électronique. Ces dispositifs favorisent la création d’emplois formels et le transfert de technologies, mais soulèvent des interrogations quant à leur durabilité.

Cette course aux exonérations crée une spirale où chaque État multiplie les incitations fiscales pour rester attractif. Résultat, malgré l’installation d’unités industrielles, les recettes publiques progressent peu et une partie des investisseurs se contente de profiter des avantages temporaires avant de délocaliser leurs activités une fois les mesures fiscales arrivées à terme. L’UEMOA en subit les effets, avec une concurrence accrue entre ses pays membres au détriment d’une stratégie commune.

Parallèlement, le développement des corridors logistiques reliant les ports de Lomé, Abidjan et Dakar à l’hinterland apparaît comme un levier stratégique. L’amélioration des routes, l’extension portuaire, le renforcement des liaisons ferroviaires et la création de corridors multimodaux fluidifient les échanges, réduisent les coûts de transport et facilitent l’accès aux marchés régionaux et internationaux. Ces infrastructures renforcent les chaînes de valeur mais leur portée reste inégale, car elles bénéficient surtout aux zones déjà connectées et aux grandes entreprises, laissant à l’écart certaines régions enclavées et les petites structures locales.

Un autre défi réside dans la gouvernance. Dans plusieurs cas, la gestion des partenariats public-privé manque de transparence, le financement repose largement sur l’endettement et l’évaluation des retombées économiques demeure insuffisante. De plus, le lien entre zones économiques spéciales, corridors logistiques et tissu productif national reste fragile, renforçant parfois l’effet d’enclaves tournées vers l’exportation sans réelle connexion avec les PME ou les producteurs locaux.

Face à ces limites, certains pays expérimentent des approches hybrides. En Côte d’Ivoire et au Ghana notamment, de nouvelles zones intègrent des exigences environnementales, sociales et de gouvernance afin de concilier attractivité économique et responsabilité locale. L’idée est de transformer les exonérations en leviers de croissance inclusive et durable, en associant formation professionnelle, développement de filières locales et respect des normes écologiques.

En définitive, les zones économiques spéciales et les corridors logistiques représentent une opportunité stratégique pour l’Afrique de l’Ouest, mais leur efficacité dépendra de leur intégration dans des stratégies nationales cohérentes. Seule une approche équilibrée, fondée sur la gouvernance, la transparence et l’inclusion, permettra d’éviter qu’ils ne deviennent des outils de rente fiscale et de disparités territoriales.

Pourquoi c’est important ?

Les ZES et les corridors logistiques sont au cœur des ambitions de transformation économique en Afrique de l’Ouest. Ils peuvent accélérer l’industrialisation, renforcer les échanges et créer des emplois, mais s’ils ne sont pas bien régulés, ils risquent de fragiliser les finances publiques et d’accentuer les inégalités territoriales. Leur succès repose sur la capacité des États à dépasser la simple logique d’exonérations fiscales pour bâtir un cadre de développement durable et inclusif, capable de tirer pleinement profit de ces instruments de compétitivité.

Précédent
Précédent

Dépendance alimentaire et résilience agricole : où se dirige t-on en Afrique de l’Ouest ?

Suivant
Suivant

Le Grand Barrage de la Renaissance en Éthiopie : 5 000 MW d’espoir énergétique en Afrique et tensions autour du Nil