Dépendance alimentaire et résilience agricole : où se dirige t-on en Afrique de l’Ouest ?
Les points clés :
L’Afrique de l’Ouest dispose d’immenses potentialités agricoles mais dépend de plus en plus des importations alimentaires.
Les initiatives régionales et nationales tentent de renforcer la résilience agricole, mais les résultats restent encore limités face aux défis structurels.
La souveraineté alimentaire de la région passe par une stratégie durable intégrant agro-industrie, financements adaptés et coopération régionale renforcée.
L’Afrique de l’Ouest, autrefois considérée comme le grenier agricole du continent, fait aujourd’hui face à un paradoxe inquiétant. En dépit de vastes ressources agraires, la région s’appuie de plus en plus sur les importations pour nourrir sa population. Cette dépendance, amplifiée par les conflits, les aléas climatiques et les perturbations logistiques mondiales, fragilise à la fois la sécurité alimentaire et l’autonomie économique. La question centrale est désormais de savoir si la région peut inverser la tendance et bâtir une véritable résilience agricole.
Depuis la fin des années 2000, la facture alimentaire s’est envolée. La Banque africaine de développement estime qu’elle passera de 43 milliards de dollars en 2019 à plus de 110 milliards en 2025. Le contraste est frappant puisque la région concentre près de 60 % des terres arables non cultivées du monde tout en continuant d’importer massivement du riz, du blé ou du maïs. La guerre en Ukraine et l’inflation mondiale ont accentué cette vulnérabilité, provoquant une flambée des prix alimentaires de 30 à 60 % entre 2022 et 2024.
Pour répondre à cette fragilité, la CEDEAO a lancé le Programme de résilience des systèmes alimentaires, doté de 570 millions de dollars avec l’appui de la Banque mondiale. Déployé dans sept pays, il vise à accroître la productivité, sécuriser les chaînes d’approvisionnement et mettre en place des systèmes d’alerte rapide contre les crises alimentaires. Parallèlement, plusieurs initiatives nationales misent sur l’agriculture intelligente face au climat. Au Sénégal, un projet de 200 millions de dollars lancé en 2024 cible plus de 600 000 bénéficiaires, avec un accent particulier sur les femmes rurales et les jeunes agriculteurs.
Sur le terrain, des signaux positifs émergent. La redécouverte de pratiques agricoles traditionnelles et d’approches agroécologiques, comme la technique du zaï au Burkina Faso ou l’agroforesterie intégrée en Guinée et au Bénin, favorise des productions plus résilientes aux chocs climatiques. L’irrigation locale, la promotion des semences indigènes et la multiplication des circuits courts renforcent cette dynamique de transition. Ces méthodes contribuent à la durabilité des récoltes tout en protégeant les écosystèmes.
Mais les défis structurels demeurent massifs. L’agriculture représente en moyenne 29 % du PIB et emploie 60 % de la population active, mais elle reste largement de subsistance, faiblement mécanisée et dépendante des précipitations. Le financement agricole, la sécurisation foncière, l’accès au crédit et la reconnaissance du rôle des femmes restent des leviers encore insuffisamment activés. Les pertes post-récoltes atteignent parfois 30 % des productions faute d’infrastructures de stockage et de transport adaptées.
À l’échelle régionale, l’intégration demeure une nécessité. La CEDEAO ambitionne d’harmoniser les politiques agricoles, mais les obstacles persistent, qu’il s’agisse des barrières non tarifaires, des contrôles informels aux frontières ou des disparités réglementaires. Pourtant, un commerce intra-régional mieux organisé pourrait atténuer la dépendance vis-à-vis des marchés extérieurs et stabiliser les prix en période de crise mondiale.
L’avenir de la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest dépend donc d’une vision de long terme. Il ne s’agit pas seulement de multiplier les initiatives d’urgence, mais de construire une souveraineté alimentaire durable, soutenue par une agro-industrie compétitive et des politiques inclusives. Le renforcement du rôle des petits producteurs, la mobilisation du secteur privé et l’appui de la recherche agricole sont indispensables pour transformer le potentiel en réalité.
Pourquoi c’est important ?
L’Afrique de l’Ouest est à la croisée des chemins. Soit elle poursuit une trajectoire de dépendance alimentaire croissante qui fragilise ses économies, soit elle engage une véritable transformation agricole pour bâtir une souveraineté alimentaire durable. La réussite de cette transition conditionnera non seulement la sécurité alimentaire de millions de citoyens mais aussi la stabilité économique et politique de la région dans un monde de plus en plus marqué par des chocs climatiques et géopolitiques.