Afrique : 88 milliards USD s’évaporent chaque année dans les flux financiers illicites, la corruption ou le blanchiment


Les points clés :

  • Les flux financiers illicites (FFI) privent l’Afrique de 88 milliards USD chaque année, soit 3,7 % du PIB continental.

  • La croissance rageuse de ces flux depuis 2015 s’explique par l’évasion fiscale, la corruption, les fausses facturations, et la manipulation des prix des matières premières.

  • L’Union africaine et des institutions comme l’ATAF développent des réponses adaptées, mais la coordination reste déficiente et la lutte peine à s’inscrire dans le long terme.


Un rapport alarmant de l’Union africaine (UA) révèle que le continent perd 88 milliards de dollars par an à travers les flux financiers illicites (FFI), soit environ 3,7 % du PIB africain. Cette fuite de capital s’est aggravée de 76 % depuis 2015, témoignant d’une tendance désastreuse en matière de gestion des finances publiques.

Les mécanismes à l’origine de ces pertes sont multiples. Il s’agit souvent d’évasion fiscale par transfert transfrontalier de capitaux, mais aussi de pratiques criminelles comme le blanchiment d’argent. Les auteurs du rapport mettent en lumière les fausses facturations et la manipulation des prix des matières premières, deux techniques sophistiquées utilisées pour masquer des sommes colossales.

Ces fuites ont un coût concret pour les populations africaines. Selon UNCTAD, les pays les plus impactés consacrent jusqu’à 25 % de moins en dépenses de santé et 58 % de moins en éducation. Ce manque à gagner fragilise d’autant plus les budgets nationaux, déjà sous pression face aux besoins en financement du développement durable.

Plusieurs institutions africaines tentent de riposter. L’African Tax Administration Forum (ATAF) a déjà aidé ses États membres à récupérer plus de 1,8 milliard USD en recettes fiscales grâce à un arsenal de mesures nouvelles en matière de fiscalité, incluant un modèle d’accord pour éviter la double imposition. De même, après le rapport de l’UA, des groupes de travail sont à pied d’œuvre pour élaborer une plateforme d’échange d’informations entre États, renforcer la coopération juridique et harmoniser les cadres réglementaires continentaux.

Le manque de coordination institutionnelle reste cependant un frein majeur. L’application des normes internationales souvent inadaptées aux réalités africaines, le cloisonnement des services (douanes, fisc, unités financières), et la faiblesse des outils de traçage freinent les progrès. Pour les experts, la réponse doit être à la fois continentale et adaptée : renforcer les capacités, mutualiser les données, et aligner les standards internationaux sur le contexte africain.

Pourquoi est-ce important ?

Ces 88 milliards USD égarés chaque année représentent autant de financement qui pourraient irriguer les routes, écoles, hôpitaux, infrastructures énergétiques ou industrielles. Dans un continent où le financement des Objectifs de Développement Durable affiche un déficit annuel proche de 200 milliards USD, freiner les FFI serait déjà un levier majeur de développement.

Au-delà de l’impact macroéconomique, ces flux alimentent la corruption, fragilisent les États, et affaiblissent la confiance des citoyens. Les récentes opérations de récupération d’actifs, comme le rapatriement de 311 millions USD détournés par Abacha par la Nigeria, montrent qu’il est possible de reconquérir des ressources substantielles.

La lutte contre les FFI est aussi une question de souveraineté économique. Elle incite les États à concevoir leurs propres normes fiscales, à renforcer les administrations nationales, et à conditionner les partenariats sur la transparence. Favorable à une gouvernance plus inclusive, cette transformation s’inscrit pleinement dans la trajectoire de l’Agenda 2063 de l’Union africaine.

En somme, à l’heure où le monde discute de la relance post-pandémie, où les crises climatiques exacerbent les besoins, et où les populations revendiquent plus d’égalité, combattre les flux financiers illicites n’est pas seulement une option : c’est une urgence, stratégique pour la résilience, la justice et le futur du continent.

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