Ghana : l’or africain a un prix
Le Ghana perdrait environ 2 milliards USD par an (Crédit image : RFI)
Les points clés :
Le Ghana a produit 4,8 millions d’onces d’or en 2024, consolidant sa place de premier producteur africain.
Les exportations aurifères ont atteint 11,6 milliards USD en 2024, représentant 57 % des recettes d’exportation du pays.
Mais derrière les chiffres, les conflits entre les communautés et les multinationales, ainsi que la pollution (mercure, arsenic) liée à l’orpaillage illégal (« galamsey »), exposent un malaise persistant.
Le Ghana a vu ses performances minières se renforcer ces dernières années. La production d’or avait déjà grimpé en 2024 de façon spectaculaire, portée à environ 4,8 millions d’onces, un nouveau record. L’anticipation pour 2025 est d’une nouvelle hausse, à environ 5,1 millions d’onces (+6,25 %) selon la Chambre des Mines. Ce redressement est alimenté à la fois par les mécanismes industriels (exploitation moderne) et par l’expansion de l'exploitation artisanale ou à petite échelle.
Les exportations reflètent cette dynamique : en 2024, le Ghana a généré 11,6 milliards USD d’exportations d’or, soit une croissance de ~52,6 % par rapport à 2023. L’or représente désormais 57 % des exportations totales ghanéennes.
Sur le plan fiscal, les sociétés minières ont augmenté leur contribution : en 2024, la Chambre des Mines indique une hausse de 51 % des impôts à 17,7 milliards de cedis et des redevances à 4,9 milliards de cedis (soit +76,7 %). Ces compagnies fournissent près de 24,3 % des impôts directs collectés dans le pays, plaçant l’or comme pilier fiscal dans l’économie ghanéenne.
Pour certaines communautés, cependant, la lumière de l’or est voilée par la conflictualité. Le 9 septembre, un élu local a été tué sur le site de la mine Asanko (propriété de Galiano Gold), au cours d’un affrontement entre jeunes habitants et forces sécuritaires. Selon des témoignages, les habitants reprochaient à la compagnie de manquer d’investissement dans les infrastructures communautaires.
À Obuasi, la grande mine de AngloGold Ashanti, les tensions sont historiques. En janvier 2025, des heurts ont causé sept morts après une opération de sécurisation contre des orpailleurs clandestins. Depuis 2016, les intrusions de mineurs illégaux ont déjà contraint l’entreprise à suspendre ses activités.
En amont, la coexistence difficile remonte aux mines comme Ahafo, opérée par Newmont, où dès les premières années des protestations, des compensations insuffisantes, des déplacements et des incidents environnementaux (fuite de cyanure en 2009) ont entaché la relation.
Ce dilemme, d’un côté une exploitation à haute valeur, de l’autre une hostilité locale croissante, se cristallise dans ce que l’on appelle le « permis social d’opérer » : ce n’est pas tant le permis légal qui est en cause, mais la légitimité accordée par la communauté. Même une compagnie respectant toutes les normes officielles peut faire face à des blocages si elle ne s’engage pas localement.
Des observateurs comme Joshua Mortoti affirment que les normes ESG classiques ne suffisent plus, et qu’il faut associer davantage les communautés aux bénéfices, notamment via l’emploi local ou la participation au capital. (Texte fourni) Le Dr Ahamadou Maïga note que les fonds miniers pour le développement local (FMDL), censés financer les territoires affectés, souffrent de gouvernance défaillante, de projets mal ciblés ou de manque de responsabilisation.
Pollution, santé et environnement : le revers caché de l’or
Un rapport récent de Pure Earth et de l’Autorité ghanéenne de protection de l’environnement a mis en lumière des niveaux de mercure extrêmement élevés dans six régions minières. Certaines zones présentent des concentrations très supérieures aux seuils de sécurité. Ces contaminations résultent largement des pratiques artisanales qui utilisent le mercure dans l'extraction de l’or.
Selon ce rapport, des échantillons de sol autour de sites miniers avaient des teneurs en mercure souvent supérieures à 10 ppm (seuil OMS), avec des pointes spectaculaires. Les risques sanitaires (néphrotoxicité, maladies rénales, troubles neurologiques) sont alarmants pour les populations riveraines exposées par inhalation, ingestion ou contact cutané.
L’ampleur du phénomène est aggravée par la lenteur de la surveillance et l’imbrication entre mines illégales et légales. Le phénomène du galamsey a contaminé les cours d’eau, détruit des terres agricoles et perturbé les écosystèmes : plus de 60 % des cours d’eau du Ghana sont considérés comme pollués selon des observateurs.
En outre, la perte de terres arables, l’érosion, le retrait de la végétation et la contamination des bassins hydriques menacent l’agriculture (notamment le cacao), ce qui touche directement les revenus des communautés rurales.
D’après The Guardian, le Ghana perdrait environ 2 milliards USD par an en recettes fiscales du fait du galamsey (production non déclarée, évasion fiscale, inefficacité d’inspection). Ce coût invisible s’ajoute aux coûts environnementaux et sociaux.
Des manifestations citoyennes se sont multipliées. En octobre 2024, des centaines de Ghanéens ont défilé à Accra contre le galamsey, exigeant une action gouvernementale forte.
Paradoxalement, pendant cette crise, la contribution économique de l’or reste massive, et souvent perçue comme injustement répartie.
Réformes récentes : GoldBod, traçabilité, contrôle de l’exportation
Conscient des failles du système, le Ghana a mis en place plusieurs réformes en 2025. Le plus ambitieux est la création du Ghana Gold Board (GoldBod), institué en mars 2025, avec pour mission de centraliser l’achat, l’exportation, l’évaluation (assay), et la traçabilité de l’or produit par les petits exploitants. Le GoldBod dispose d’un fonds tournant de 279 millions USD pour ses opérations.
Depuis le 1ᵉʳ mai 2025, les étrangers ne peuvent plus acheter ou commercialiser l’or produit artisanalement, seules les transactions via GoldBod sont autorisées pour les mines artisanales et petites mines. Cette mesure vise à restructurer les circuits, réduire le commerce clandestin et renforcer les recettes officielles.
Au premier semestre 2025, le Ghana a mis en place une task force nationale anti-contrebande de l’or, combinant unités militaires et policières, et offrant jusqu’à 10 % de la valeur de l’or saisi aux informateurs. Cette mobilisation a entraîné des saisies et une reprise partielle de contrôle sur les flux illicites.
La création de GoldBod a déjà été suivie de records d’exportations officielles : 55,7 tonnes d’or exportées au cours des cinq premiers mois de 2025, pour une valeur de 5 milliards USD. Par ailleurs, le marché extérieur a été recadré : seules les compagnies titulaires de licence peuvent exporter, et le GoldBod cherche la certification LBMA (London Bullion Market Association), condition pour valoriser l’or sur les marchés internationaux.
Ces mesures s’inscrivent dans une stratégie plus large d’augmentation de la valeur locale, de stabilisation de la devise, et de récupération des recettes perdues.
Risques, limites et conditions de succès
Les réformes, aussi ambitieuses soient-elles, font face à des obstacles redoutables. Le principal est la résistance du statu quo : des allégations de « capture démocratique » suggèrent que des élites politiques ou économiques bénéficient du galamsey ou des circuits parallèles, compliquant les efforts de régulation.
L’efficacité de la régulation dépend de la capacité à contrôler les mines illégales dans tout le pays, y compris les zones reculées. La lenteur judiciaire, le manque de moyens techniques, la corruption locale et l’évasion des équipements saisis créent des failles persistantes.
La transition du système vers plus de traçabilité et de transparence impose des coûts logistiques, techniques et humains. Le maillage territorial des agents, la formation, les infrastructures d’analyse (laboratoires, assays) sont des investissements lourds.
Un autre défi majeur est le développement local : si les communautés ne voient pas des retours tangibles (emplois, infrastructures, services de base), la colère sociale persistera. Le problème structurel des FMDL (fonds miniers pour les collectivités locales) demeure : mauvaise gouvernance, projets mal ciblés, faible reddition des comptes.
Enfin, la dynamique internationale peut peser : le prix de l’or fluctue, la demande et l’accès aux marchés mondiaux varient, la concurrence des autres producteurs africains (Mali, Burkina, Côte d’Ivoire) est forte. Si l’or s’essouffle ou si les marchés se referment, les tensions internes seront exacerbées.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que le cas du Ghana incarne un paradoxe : un pays qui excelle dans la production aurifère, mais où le « brillant » de l’or ne brille pas pour tous. Le Ghana montre combien la simple extraction à grande échelle ne garantit pas une contribution sociale équilibrée ni une durabilité environnementale.
Pour l’Afrique de l’Ouest, ce cheminement est un enseignement : les richesses naturelles peuvent être un moteur de développement, mais seulement si la gouvernance, l’équité territoriale, l’environnement et la cohésion sociale sont intégrés dès le départ. Les réformes ghanéennes, GoldBod, traçabilité, task force anti-contraband, sont des signaux prometteurs, mais leur réussite dépendra de l’opérationnalité, de la volonté politique, et de la capacité à inclure véritablement les communautés.
Pour les autres pays producteurs (Côte d’Ivoire, Burkina, Mali…), le Ghana est aujourd’hui un laboratoire : qui réussit à équilibrer productivité, légitimité sociale et durabilité pourrait attirer plus d’investissements responsables. Celui qui échoue risque un cocktail explosif de conflits, de désinvestissements et de rejet local.
En fin de compte, l’enjeu est de faire de l’or non pas seulement une rente, mais un catalyseur de développement partagé, sûr, inclusif et respectueux, un pari difficile, mais indispensable si les nations africaines veulent transformer leurs ressources naturelles en un véritable capital pour leurs peuples.