Réformes fiscales en Afrique de l’Ouest : entre avancées, défis et perspectives
Les points clés :
Les pays d’Afrique de l’Ouest mènent depuis plusieurs années des réformes fiscales destinées à élargir l’assiette, améliorer la collecte et réduire la dépendance à l’aide extérieure.
Les résultats progressent de façon contrastée selon les pays, avec des avancées notables en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Bénin, mais des défis persistants au Nigeria et dans d’autres économies à faible pression fiscale.
La digitalisation, la rationalisation des exonérations et la coopération régionale constituent les leviers majeurs pour bâtir un système fiscal plus transparent, inclusif et durable.
Dans un contexte de forte dépendance à l’assistance extérieure et face à des besoins croissants de financement du développement, les pays d’Afrique de l’Ouest se sont engagés dans des réformes fiscales d’envergure. Objectif affiché : élargir la base fiscale, améliorer la collecte, renforcer la transparence et moderniser les administrations. Si des progrès notables sont enregistrés, les contraintes structurelles et conjoncturelles continuent de freiner la trajectoire, imposant une vigilance politique et technique constante.
Pourquoi réformer ? Une pression croissante pour accroître les recettes
Le taux moyen de pression fiscale dans la région reste modeste, autour de 14 % du PIB, bien en deçà de la norme des 20 % recommandée par la Commission de l’UEMOA pour financer durablement les investissements publics. Dans certains pays comme le Bénin et le Niger, ce taux chute même sous la barre des 11 %. Plusieurs facteurs expliquent cette faiblesse : le poids considérable de l’économie informelle qui représente parfois jusqu’à 80 % de l’activité, des mécanismes de recouvrement encore inefficaces, des exonérations fiscales généralisées et peu ciblées, ainsi qu’un faible niveau de conformité volontaire des contribuables.
Une dynamique portée par les organisations régionales
Les institutions régionales, notamment l’UEMOA et la CEDEAO, ont fait de la fiscalité un pilier de leur agenda d’intégration économique. Depuis 2020, des programmes tels que le soutien à la transition fiscale, appuyé par l’OCDE et l’Union africaine, visent à renforcer la coopération, lutter contre l’érosion des bases fiscales et accroître la transparence. En 2023, la CEDEAO a franchi une étape importante avec l’adoption de directives sur la fixation des prix de transfert, sur la transparence des bénéficiaires effectifs pour limiter l’usage abusif des sociétés-écrans, et sur l’assistance administrative mutuelle destinée à faciliter l’échange d’informations entre administrations fiscales.
Des trajectoires contrastées selon les pays
En Côte d’Ivoire, une réforme ambitieuse a introduit la facturation électronique, réduit les exonérations et renforcé la fiscalité locale. Le FMI estime que la pression fiscale passera de 13,5 % du PIB en 2023 à près de 14,4 % en 2025. Au Sénégal, un plan de redressement fiscal a été lancé en 2024 à la suite d’une crise liée à la dette cachée, avec l’appui de 115 millions de dollars de la Banque mondiale pour moderniser et digitaliser le système. Le Bénin mise sur la numérisation via sa plateforme e-Tax et l’interconnexion des données fiscales, améliorant la collecte mais restant à un niveau de pression fiscale très faible, proche de 11 %. Le Nigeria, hors UEMOA mais poids lourd régional, affiche un taux particulièrement bas de 7,3 % en 2022. Le gouvernement a entamé des réformes pour diversifier ses recettes, notamment via la suppression progressive des subventions sur les carburants et le renforcement de la fiscalité non pétrolière.
Les outils privilégiés des réformes
La transformation fiscale en Afrique de l’Ouest s’appuie sur plusieurs leviers stratégiques. La digitalisation occupe une place centrale, avec la généralisation de la télé-déclaration, du télépaiement et des plateformes mobiles, mais aussi l’introduction progressive de l’e-facturation pour les grandes entreprises. La rationalisation des exonérations vise à réduire les pertes de recettes en révisant les codes d’investissement et en auditant les dépenses fiscales. L’élargissement de l’assiette reste une priorité, notamment par la fiscalisation progressive de l’économie informelle et l’introduction de la fiscalité numérique. La formation et la professionnalisation des agents fiscaux se renforcent grâce à des institutions comme le WAUTI et l’appui technique d’organismes internationaux tels que le FMI, l’OCDE ou l’ATAF. Enfin, la transparence et la lutte contre la fraude s’appuient sur une coopération régionale plus étroite et sur des contrôles ciblés appuyés par les technologies de l’information.
Résultats, limites et perspectives
Malgré les efforts, les résultats restent contrastés. Entre 2001 et 2023, le ratio recettes fiscales/PIB de la région n’a progressé que de trois points. De nombreux pays peinent encore à élargir durablement et équitablement leur base fiscale. Certaines ressources stratégiques, comme l’impôt foncier, la fiscalité écologique ou l’imposition des grandes fortunes, restent largement sous-exploitées. D’ici à 2030, les priorités porteront sur une meilleure taxation de l’économie numérique et des plateformes, le renforcement de la fiscalité locale pour soutenir la décentralisation et l’adoption d’un cadre fiscal régional cohérent, garant d’une croissance inclusive.
Pourquoi c’est important ?
Les réformes fiscales menées en Afrique de l’Ouest ne relèvent pas seulement d’une logique budgétaire : elles conditionnent la souveraineté économique des États, leur capacité à financer les politiques publiques et à réduire leur dépendance à l’aide extérieure. En consolidant la transparence, en élargissant la base fiscale et en modernisant les administrations, les pays de la région jettent les bases d’un nouveau contrat social fondé sur la responsabilité et la contribution de chacun. L’avenir du financement du développement en Afrique de l’Ouest dépendra de la réussite de cette transformation, qui devra rester inclusive, progressive et alignée sur les mutations profondes de l’économie régionale.