Finance éthique et finance classique en Afrique : entre rivalité et convergence stratégique
Les trois points clés :
La finance éthique s’impose progressivement en Afrique comme une alternative crédible à la finance classique, en intégrant inclusion, durabilité et transparence.
La finance islamique, les placements ESG et les modèles hybrides comme le philanthro-capitalisme africain connaissent une croissance rapide malgré des freins structurels.
L’avenir financier du continent pourrait passer par un modèle hybride, mêlant finance traditionnelle et finance éthique, afin de répondre aux défis d’inclusion et de résilience économique.
L’Afrique s’invite de plus en plus dans le débat mondial qui oppose la finance traditionnelle, axée sur le rendement financier, à la finance éthique, fondée sur l’équité sociale, la durabilité et la transparence. Face aux besoins d’inclusion, d’industrialisation verte et de résilience économique, ce face-à-face révèle un tournant stratégique qui pourrait redéfinir les priorités financières du continent.
Deux approches, deux philosophies
La finance classique, ancrée dans la logique de marché, continue de dominer en soutenant l’investissement privé, l’expansion du crédit et les marchés financiers. Toutefois, ses limites sont bien connues en Afrique : un accès restreint pour les populations vulnérables, une dépendance aux cycles de la dette, des logiques spéculatives déconnectées des réalités locales et un appui insuffisant à des secteurs stratégiques comme l’agriculture ou l’énergie décentralisée.
En contrepartie, la finance éthique s’impose comme une alternative sérieuse. Elle englobe la finance islamique, fondée sur le partage des risques et l’interdiction de l’intérêt, les placements à impact et la démarche ESG (environnement, social et gouvernance), ainsi que des modèles hybrides comme le philanthro-capitalisme africain promu par des figures telles que Tony Elumelu.
Une dynamique en expansion
La finance islamique enregistre une croissance soutenue. Selon l’IFN 2024, ses actifs mondiaux dépassent désormais 3 880 milliards de dollars, en hausse de 14,9 % en un an. En Afrique, le Nigeria, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Maroc ou encore l’Afrique du Sud multiplient les expériences d’émission de sukuk, ces obligations islamiques dédiées notamment au financement des infrastructures. Depuis 2017, le Nigeria a ainsi levé plus de 2,3 milliards de dollars pour ses routes et son éducation. Cette progression est freinée par un environnement réglementaire incomplet, une faible connaissance du produit chez les investisseurs et un déficit de ressources humaines qualifiées.
En parallèle, la finance responsable et les placements ESG s’installent progressivement. Selon la GIIN, près de 12 % des flux financiers en Afrique subsaharienne en 2022, soit environ 2,5 milliards de dollars, relevaient d’investissements à impact, concentrés dans les énergies renouvelables, l’agriculture durable, l’éducation et la santé. Si cette montée en puissance traduit une tendance lourde, elle reste freinée par un manque de certification ESG fiable, la menace croissante du greenwashing et une offre de capitaux encore limitée.
Les défis à relever
L’essor de la finance éthique en Afrique soulève des défis structurants. L’inclusion financière demeure prioritaire, la finance islamique offrant une réponse à des populations souvent exclues du système classique grâce à son modèle sans intérêts et à risque partagé. La structuration des marchés est également cruciale, nécessitant des réformes réglementaires, une harmonisation fiscale régionale au sein de la CEDEAO, de l’UEMOA ou de la CEMAC, et des politiques incitatives adaptées. La formation des acteurs représente un autre enjeu, l’absence de compétences spécialisées en ingénierie ESG, en droit islamique ou en gestion des risques éthiques limitant l’émergence de produits compétitifs. Enfin, la confiance et la transparence apparaissent comme des conditions incontournables pour attirer les investisseurs, ce qui suppose des mécanismes d’audit solides et des critères d’impact mesurables.
Vers un modèle hybride et résilient
Le continent pourrait s’orienter vers un modèle hybride combinant la robustesse de la finance traditionnelle et l’agilité de la finance éthique. Cela passerait par l’intégration de produits éthiques – sukuk, green bonds – dans les banques classiques, par le développement de coopératives financières ancrées localement ou encore par des plateformes d’investissement à impact portées par les communautés. Des politiques publiques proactives joueront un rôle décisif pour orienter cette mutation.
Un impératif stratégique
Pour que la finance éthique devienne un outil structurant de transformation, l’Afrique devra démontrer de la volonté politique pour établir un cadre incitatif clair, de l’innovation pour créer des produits adaptés à ses réalités, de la collaboration entre gouvernements, banques, fintechs et ONG, et enfin de la pédagogie pour sensibiliser le public aux enjeux de l’investissement responsable. Cette transition dépasse le champ technique : elle engage la souveraineté économique, l’équité sociale et la durabilité du continent.
Pourquoi c’est important ?
Le choix entre finance classique et finance éthique ne constitue pas une simple opposition de modèles mais un levier stratégique pour l’avenir du continent. La capacité de l’Afrique à structurer des mécanismes financiers inclusifs et durables déterminera sa résilience face aux crises économiques et environnementales, sa souveraineté face aux capitaux étrangers et sa crédibilité sur la scène internationale. Au-delà des chiffres, cette mutation traduit une ambition : faire de la finance un bien commun au service du développement et non uniquement un instrument de spéculation.