Togo : l’atelier qui pourrait réécrire vos droits numériques
Digital Rights Academy a formé journalistes, activistes et OSC à la défense de leurs droits numériques
Les points clés :
La maitrise des outils numériques devient un enjeu majeur pour la liberté d’expression.
Le cadre législatif togolais est en plein diagnostic pour s’aligner sur les standards internationaux.
Un atelier vient montrer la voie à certains acteurs clés pour bâtir un plaidoyer solide.
Depuis 2018, le Togo a multiplié les lois numériques : loi cybersécurité (révisée en 2022), loi protection des données (2019), Code du numérique. Mais selon le rapport LONDA (2021), produit par Paradigm Initiative, ces textes, bien que structurants, posent question par leurs lacunes, notamment dans la liberté d’expression et la transparence des blocages d’Internet. À travers une session de formation inédite à Lomé, journalistes, activistes et membres de la société civile ont été outillés pour comprendre, défendre et promouvoir les droits numériques. Une initiative stratégique dans un contexte national encore fragile en matière de législation et de protection des libertés en ligne.
Dans une salle feutrée d’un hôtel de la capitale togolaise, plusieurs acteurs, journalistes, blogueurs, juristes, membres d’OSC, jeunes activistes, ont pris part à une formation aussi dense que capitale : la première édition togolaise de la Digital Rights Academy (DRA). Initié par l’organisation panafricaine Paradigm Initiative, en collaboration avec le Media and Digital Institute (MDI), cet atelier visait un objectif clair : renforcer les capacités locales en matière de droits numériques, dans un pays où les libertés en ligne sont encore régulièrement confrontées à des défis politiques, juridiques et techniques.
Participants
Dans une société de plus en plus connectée, où la parole se déplace des tribunes publiques vers les réseaux sociaux, garantir les libertés fondamentales dans l’espace numérique devient un enjeu de gouvernance.
Durant ladite formation qui aura pris une journée entière, les participants ont suivi des sessions interactives sur les cadres juridiques existants, tels que le Code du numérique togolais, la loi sur la protection des données personnelles de 2019, ou encore les articles de la Constitution garantissant la liberté d’expression et la vie privée, mais aussi, des ateliers pratiques. Parmi les compétences abordées : comment chiffrer ses communications, se protéger sur les réseaux, utiliser un VPN ou contourner la censure numérique, très utile dans la configuration actuelle au Togo.
Participants
Pour Moussa Waly Sene, responsable des programmes francophones au sein de Paradigm Initiative, cet atelier se veut une étape déterminante : “Il était question de renforcer les capacités des journalistes, des activistes, des organisations de la société civile, des défenseurs des droits de l'homme, de les équiper sur les questions des droits numériques, comment faire pour garantir et pour défendre les droits numériques des togolais. Aujourd'hui, beaucoup d'usages se sont transférés au numérique. Il était donc essentiel pour Paradigm Initiative et le MDI d'équiper ces acteurs sur les droits numériques et particulièrement en ce contexte de tensions qui est déplorable au niveau du Togo (…) Un accent particulier des échanges a été de renforcer les capacités sur les outils qui peuvent servir de contournement des restrictions, qui peuvent contourner la fermeture de certaines plates-formes, comme l'utilisation des VPN, l'utilisation de certaines applications cryptées pour la messagerie etc. Donc nous avons vraiment mis l'accent sur comment est-ce que ces organisations de la société civile et autres peuvent contourner les restrictions et différentes barrières dans des périodes de tensions par exemple” a indiqué Waly Sene.
Moussa Waly Sene, responsable des programmes francophones au sein de Paradigm Initiative
Il ne faut pas perdre de vue que le Togo a franchi une étape importante en adoptant en 2019 la loi n°2019‑014 sur la protection des données personnelles, complétée en 2020 par une loi biométrique sur l’identité. Si ces avancées démontrent une volonté affichée de réglementer les droits numériques, leur mise en œuvre reste incomplète.
De son côté, Bernard Adzorgenu, directeur de programmes au MDI, a quant à lui mis un grief particulier sur l’importance de cette initiative pour le MDI. Pour lui, cette session s’inscrit dans la vision stratégique de l’institut (MDI) visant à promouvoir une gouvernance vertueuse de l’Internet au Togo et à renforcer la conscience citoyenne autour des droits numériques.
Bernard Adzorgenu (au micro et habillé en vert fluor), directeur de programmes au MDI, lors de son allocution
“Cette activité rentre dans le cadre de nos actions stratégiques. Il faut dire que nous chez nous à MDI, nous faisons dans tout ce qui est protection des droits numériques et pour nous cette session vient encore conforter et renforcer la sécurité numérique des acteurs de l'écosystème numérique au Togo. La réalité est là, et l’on a vu que depuis quelques jours, le débit d'Internet a été restreint. Des accès à certains outils Internet qui sont d’ailleurs pour nous des outils de travail ont été restreints et donc l’on doit passer par des moyens que nous avons pour pouvoir avoir ces accès à ces outils en question. C'est donc pour cela que nous avons convié les acteurs des droits de l'homme, tout ceux qui sont des défenseurs des droits de l'homme, les médias et aussi la société civile pour qu'on puisse vraiment en discuter et à la fin, faire un plaidoyer qui sera transmis à qui de droit” a indiqué Bernard Adzorgenu.
L’atelier a mis en lumière la dimension universelle des enjeux numériques : la liberté d’expression, la vie privée, l’intégrité des données personnelles et la sécurité de l’espace civique en ligne. Par exemple, l’analyse du rapport Londa, outil phare de Paradigm Initiative, révèle que si l’accès à Internet au Togo a quasiment triplé depuis 2017, des pratiques telles que la surveillance, la censure ponctuelle et l’espionnage accroissent les inquiétudes. En 2020, par exemple, des coupures d’Internet ont été observées lors d’élections, perturbant le droit à l’information et aux communications en ligne. Il est essentiel de rappeler que Paradigm Initiative œuvre depuis des années pour intégrer la notion de droits numériques dans l’arsenal juridique africain. Ses programmes (Digital Rights Academy, publications, recherche, plaidoyers), menés à succès dans plusieurs pays
Photo de famille
Pourquoi est-ce important ?
Parce que le numérique est aujourd’hui la colonne vertébrale du développement africain, bâtir un cadre légal solide est un impératif stratégique. Cet atelier à Lomé est bien plus qu’un simple échange. Le rapport « Londa 2024 » de Paradigm incite ainsi à multiplier ces ateliers locaux, car la consolidation des droits numériques passe par la formation d’une société civile vigilante. L’expérience montre que là où la formation est efficace, les réformes législatives suivent plus rapidement. Au Togo, la tenue du Digital Rights Academy permet non seulement de renforcer les capacités individuelles, mais aussi de préparer un plaidoyer national. Celui-ci pourra influer l’autorité de protection des données, qui sera pleinement opérationnelle, comme recommandé par les partenaires internationaux.