Internet au Togo : quand la coupure numérique partielle fige les finances et les banques

Coupure partielle d’internet au Togo en pleine crise sociopolitique (Crédit image : Freepik/DC Studio)

Les points clés :

  • La perturbation silencieuse d’Internet freine les services bancaires numériques.

  • Les SMS de validation des transactions ne passent plus, paralysant Ecobank et d'autres acteurs.

  • Ce nouveau blackout révèle la fragilité de la digitalisation et son impact direct sur l’économie.

Le 3 juillet dernier, Ecobank-Togo publiait un communiqué discret mais révélateur : depuis le 26 juin, les SMS indispensables à la validation des transactions, codes OTP, alertes, confirmations, n’atteignent plus leurs destinataires locaux (+228). Les recommandations de la banque, privilégier les emails ou l’utilisation de numéros étrangers, témoignent d’un dérèglement majeur, silencieux mais profond dans le secteur bancaire national.

Cette coupure, subie sans explication officielle de l’État, des opérateurs télécoms ou du ministère du Numérique, met en lumière l’intrication critique entre connectivité et stabilité économique. Les opérations en ligne, les transferts via mobile money, l’authentification aux applications bancaires : tout repose désormais sur une infrastructure Internet fluide et fiable. Or, depuis la mi-juin, l’accès aux réseaux sociaux est fortement restreint, provoquant un ralentissement palpable dans ces usages économiques essentiels.

Des salariés de banques, souhaitant rester anonymes, décrivent une impasse : certaines fonctions « tournent au ralenti » et les clients deviennent anxieux, renonçant à finaliser des opérations « faute de recevoir les codes ». Ces retards risquent d’engendrer des pertes financières pour les institutions comme pour leurs clients, et d’entamer la confiance dans la digitalisation bancaire.

La situation illustre également un déficit de communication et de transparence gênant. Aucun responsable n’a pris la parole pour expliquer la nature, la portée ni la durée du blackout. Or le Togo n’en est pas à son coup d’essai : en 2017, la CEDEAO avait condamné la coupure d’Internet, imposée en pleine contestation politique, considérant que cela violait le droit à la liberté d’expression et nuisait à l’économie nationale.

Comparaisons régionales et enjeux globaux

À l’échelle mondiale, des organisations comme NetBlocks ont établi des méthodologies chiffrées pour évaluer l’impact économique des coupures d’Internet. Si la base de données de Boston Consulting Group ne couvre pas le Togo, les principes s’appliquent : une part non négligeable du PIB numérique national est directement menacée par ces coupures.

L'Afrique de l'Ouest, qui a connu ces dernières années plusieurs interruptions – au Sénégal lors des élections, en Guinée et au Togo en 2020 – voit son écosystème numérique fragilisé. Là où la digitalisation bancaire et mobile money favorise l'inclusion financière, les restrictions gouvernent comme des épées de Damoclès. En Guinée, en Côte d’Ivoire ou encore au Ghana, les télécoms et les banques tirent parti de la connectivité pour étendre leurs services. Au Togo, ce coup de frein rappelle que les infrastructures sont encore vulnérables aux décisions politiques opaques.

Impact sur la transition numérique

Le World Bank Digital Economy Diagnostic Report de 2021 soulignait les progrès du Togo en inclusion numérique et services financiers, mais aussi les obstacles liés à la confiance et la formation. Aujourd’hui, la cassure actuelle révèle le talon d'Achille : alors que la décision comme le Togo Digital Acceleration Project visent à consolider cette transformation, les arrêts d’Internet sapent le socle même de la numérisation.

La résilience des systèmes financiers numériques dépend ainsi non seulement de la technologie, mais aussi de la garantie d’un accès ininterrompu. Ce blackout met en péril la trajectoire ambitieuse du pays et crée un précédent préoccupant : quel crédit accorder à un service numérique dont la disponibilité dépend d’un bip politique silencieux ?

Vers quels remèdes ?

Pour bâtir un écosystème robuste, trois besoins majeurs émergent. Premièrement, un cadre juridique garant de la continuité d’Internet, assorti de sanctions pour ruptures injustifiées. Le flou actuel créent un manque de confiance, tandis que les jurisprudences régionales, comme la condamnation de 2017, montrent la voie.

Deuxièmement, investir dans la redondance technique, réseaux fixes, satellites, boucles de secours via fibre optique, pour contourner les restrictions opérées au niveau des points d’agrégation ou des fournisseurs d’accès. Enfin, renforcer la communication institutionnelle. Les entreprises, les banques et les citoyens doivent être informés, rassurés et orientés vers des solutions alternatives fiables.

Pourquoi est-ce important ?

L’affaire de la coupure internet au Togo révèle un enjeu crucial : la digitalisation n’est durable que si la connectivité est protégée et civilement régulée. Pour l’Afrique de l’Ouest, cela signifie qu’un cahier des charges robustes devra accompagner les investissements dans les réseaux et les services numériques.

Les banques et fintech, moteurs d'inclusion, doivent revendiquer des garanties publiques. Le Togo Digital Acceleration Project et les priorités de l’UA autour des infrastructures digitales, zone de marché unique numérique, concertation régionale, stimulation de l'entrepreneuriat, en dépendent. Ce blackout, s’il persiste, menace d’éroder une dynamique positive portée par la Banque mondiale, les agences internationales et les partenaires publics.

Au-delà de la connectivité, la question touche à la confiance économique. Gouvernance, transparence, cadre légal : pour que les économies ouest‑africaines fassent le saut vers l’échelle numérique, elles doivent garantir à leurs citoyens un accès stable, sécurisé et sans verrouillage politique ni arbitraire. L'histoire récente du Togo peut servir d’avertissement et de levier pour inscrire ces protections au cœur des réformes.

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