11 milliards de dollars envolés : comment la contrebande d’or siphonne l’économie du Ghana et de l’Afrique de l’Ouest

De l’or (Crédit Image : Impact SN)

Les points clés

  • Près de 85 % de l’or aurifère artisanal du Ghana échappe aux circuits officiels, représentant environ 11,4 milliards $ de pertes sur cinq ans.

  • La majeure partie transite par le Togo, le Burkina Faso et le Mali avant d’atteindre Dubaï, souvent en bagage à main.

  • Les modifications successives de la taxe sur l’or artisanal (3 % → 1,5 % → supprimée) ont eu un impact direct sur les volumes formels, sans éradiquer la contrebande.

Le Ghana, 1ᵉʳ producteur d’or en Afrique, revendique en 2023 une production de 129,1 tonnes, dont environ un tiers provient de l’exploitation artisanale (ASM). Une bonne part de cette orpaillage fuit pourtant les structures officielles : environ 34 tonnes ne sont pas déclarées, représentant 11,4 milliards $ gaspillés entre 2019 et 2023 .

La contrebande s’organise via des réseaux transfrontaliers : d’Accra vers Lomé ou Ouagadougou, puis vers Bamako, avant d’embarquer pour Dubaï. Trafic en bagages, vols commerciaux, vols privés… les méthodes sont inventives et bien repérées .

Ce que disent les données : un décalage infernal

Swissaid révèle un écart de 229 tonnes entre l’or exporté officiellement par le Ghana et les chiffres d’importation de pays comme les Émirats : 78% transitent par Dubaï. Plus globalement, l’ONG estime que l’Afrique perd jusqu’à 30–35 milliards $ par an à cause des circuits informels.

Selon l’AP, en 2022, plus de 435 tonnes d’or africain (24–35 milliards $) ont quitté le continent hors statistique, avec 47 % vers les Émirats, 21 % vers la Suisse et 12 % vers l’Inde.

Les tentatives de la fiscalité qui se retournent contre elles

En 2019, le Ghana introduit un prélèvement de 3 % sur les exportations artisanales ; les déclarations officielles chutent, et la contrebande explose. La taxe est réduite à 1,5 % en 2022, générant un léger redressement, avant d’être supprimée en mars 2025.

Si cette mesure a favorablement relancé les exportations déclarées, elle n’a pas endigué les flux illicites, nourris par la corruption, la connivence politique et un contrôle aux frontières guère efficace .

Impact économique et social pour l’Afrique de l’Ouest

La contrebande de l’or à grande échelle ne constitue pas uniquement une fraude commerciale : elle est au cœur d’un système qui mine les fondations économiques, sociales et politiques de toute la région ouest-africaine. Ses conséquences se ressentent aussi bien dans les budgets nationaux que dans la vie quotidienne des populations.

La fuite de l’or prive les États d’une manne financière cruciale. Entre 2019 et 2023, le Ghana aurait perdu près de 11,4 milliards de dollars en recettes d’exportations non déclarées. Cette hémorragie fiscale empêche les gouvernements d’investir dans des secteurs vitaux comme l’éducation : construction d’écoles, formation des enseignants, équipements pédagogiques modernes d’une part, et d’autre part la santé publique : hôpitaux de proximité, lutte contre les pandémies, couverture sanitaire universelle sans oublier les infrastructures : routes, ponts, réseaux électriques ou hydrauliques essentiels pour désenclaver les zones rurales.

À l’échelle régionale, selon SWISSAID, l’Afrique perdrait plus de 30 milliards de dollars par an du fait de l’exploitation aurifère informelle et des circuits opaques. Cela représente davantage que le budget combiné de plusieurs pays sahéliens.

Dans de nombreuses zones rurales, du nord du Ghana au sud du Mali en passant par le centre du Burkina Faso, l’orpaillage est une activité économique majeure. Pourtant, les communautés locales profitent peu, voire pas du tout, des retombées du secteur aurifère à cause de la contrebande. Les jeunes qui se tournent vers l’orpaillage artisanal travaillent souvent dans l’informel, sans sécurité ni protection, pour de maigres revenus tandis que la richesse fuit à l’étranger. Les collectivités territoriales, censées bénéficier de taxes minières ou de redevances locales, voient leurs capacités d’investissement social et de gouvernance s’effondrer. L’absence de redistribution alimente un sentiment d’injustice économique, facteur de mécontentement et de tension sociale, notamment chez les populations jeunes et marginalisées.

La chaîne de contrebande de l’or est souvent interconnectée avec des réseaux criminels transnationaux. L’or devient alors un vecteur de blanchiment d’argent, de financement du terrorisme et d’alimentation des groupes armés. Dans des pays comme le Burkina Faso ou le Mali, des groupes djihadistes contrôlent des zones aurifères stratégiques, tirant profit de la fiscalité clandestine de l’or ou imposant des taxes de passage aux trafiquants. La Côte d’Ivoire et le Niger sont également exposés à des flux aurifères incontrôlés transitant par leurs territoires, créant des poches d’insécurité ou de corruption. L’or devient ainsi un levier de violence économique, fragilisant encore plus les États déjà confrontés à des défis sécuritaires majeurs.

Le phénomène met en lumière l’incapacité des États à contrôler leurs propres ressources stratégiques, ce qui affaiblit leur crédibilité et leur autorité. Il renforce également une dépendance dangereuse à l’égard de l’étranger, en particulier envers des acteurs financiers et commerciaux basés aux Émirats, en Suisse ou en Inde. À long terme, cette dépendance crée une forme de néocolonialisme économique, où l’Afrique extrait les ressources pendant que la richesse réelle est accumulée ailleurs, souvent sans contrepartie ni transparence.

L’orpaillage illégal, souvent pratiqué sans encadrement ni normes, provoque de graves dommages environnementaux notamment la pollution des cours d’eau par le mercure ou le cyanure ; la déforestation accélérée dans les zones d’exploitation ou encore les terres agricoles stérilisées, privant les communautés d’une base alimentaire durable.

Or, les sociétés et individus impliqués dans la contrebande ne financent aucune remédiation écologique. Les États, privés de revenus, ne peuvent pas non plus assumer seuls ces coûts croissants.

La contrebande d’or n’est pas un simple "manque à gagner" : elle participe à l’affaiblissement des économies ouest-africaines, à l’appauvrissement des populations rurales, à l’alimentation de conflits armés et à l’enracinement de systèmes de prédation. Sans un sursaut collectif – national, régional et international – pour sécuriser, formaliser et responsabiliser la filière aurifère, l’Afrique de l’Ouest continuera à perdre bien plus que de l’or..

Quelles réponses en cours et à venir ?

  • GoldBod (Ghana) : création d’un guichet unique pour structurer la collecte et régulation des exportations, augmentation du contrôle aux aéroports et flottement des agents du secteur.

  • Coopération régionale : renforcement de la surveillance sur les axes Togo-Ghana-Burkina Faso-Niger. Coordination des douanes CEDEAO en discussion.

  • Traçabilité internationale : les raffineurs de Dubaï, de Suisse et d’Inde commencent à exiger des origines certifiées, mais la mise en oeuvre reste insuffisante.

Pourquoi est-ce important ?

Le volet formel de l’or représente une manne colossale pour le renforcement des États et le développement local. Avec des pertes de 11 milliards $ en cinq ans, le Ghana et les pays voisins voient s’éroder leur souveraineté financière, leurs capacités d’investissement, et peuvent même plonger dans des crises banditocratiques. Seule une démarche intégrée – fiscale, sécuritaire, institutionnelle, régionale et internationale – peut inverser la tendance. L’Afrique de l’Ouest a les ressources et l’expertise pour sécuriser ses filières aurifères, mais il faut agir vite, et ensemble.

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