L’Afrique va-t-elle enfin dire adieu aux importations d’engrais ?

Un pari audacieux de Dangote (Crédit image : IFDC)


Les points clés :

  • L’Afrique pourrait stopper ses importations d'engrais dans les 40 prochains mois, grâce à l’ambition d’Aliko Dangote.

  • Le plan s’appuie sur l’expansion d’une usine nigériane de 3 à 6 millions de tonnes d'urée par an.

  • Au-delà de l’urée, le continent reste dépendant en potasse, notamment KCl, nécessitant des projets complémentaires comme celui de Kore Potash en République du Congo.


Dans un discours prononcé le 27 juin à Abuja à l’occasion des 32ᵉ Assises annuelles de la Banque africaine d’import‑export (Afreximbank), Aliko Dangote, le magnat nigérian, a affirmé que « dans les 40 prochains mois, l’Afrique n’importera plus d’engrais de nulle part ». Cette promesse s’appuie sur l’extension de sa complexe d’urée, déjà en service depuis 2021, qui produit actuellement 3 millions de tonnes par an. L’objectif est de doubler cette capacité pour dépasser celle de QAFCO, le géant qatari qui valorise aujourd’hui 5,6 millions de tonnes annuelles.

Ce déplacement majeur place l’Afrique sur une trajectoire d’autonomie : en 2024, le continent importait plus de 6 millions de tonnes d’engrais, dont une large part d’urée et de potasse, grèveuse pour les réserves de devises nationales . L’usine de Dangote, en exploitant le gaz naturel local pour produire de l’hydrogène, vise à réduire les coûts de production tout en maîtrisant la chaîne de valeur.

Du côté de la potasse, la question de l’autosuffisance reste entière. Le Nigeria, tout comme de nombreux pays de la région, importe largement les engrais potassiques tels que le chlorure de potassium (KCl), dont le marché mondial est dominé par le Canada, la Russie et la Biélorussie . Cependant, des projets comme celui de Kore Potash en République du Congo, avec le gisement Kola visé pour débuter en 2026 et produire 2,2 millions de tonnes par an, dessinent une possible souveraineté future.

Economiquement, l’enjeu est crucial. La Banque africaine de développement estime que le continent produit environ 30 millions de tonnes d’engrais minéraux – soit deux fois sa consommation – mais affiche un déficit de 2 millions de tonnes majoritairement potassiques. L’effet attendu est une réduction significative des sorties de devises, une meilleure sécurité alimentaire et la création de chaînes de valeur régionales. Sur les marchés financiers, Dangote envisage même d’introduire son usine en bourse en 2025, renforçant ainsi la visibilité et le financement du projet.

Il est cependant un écueil : les infrastructures logistiques. Des analystes avertissent que les projets d’expansion peuvent être freinés par des goulots d’étranglement dans les transports, les capacités portuaires et les surcoûts sur site, à l’instar de précédents projets, comme la célèbre raffinerie Dangote, ayant connu retards et dépassements budgétaires.

Pourquoi est-ce important ?

L’initiative de Dangote marque une ambition continentale inédite : substituer à l’importation un modèle industriel panafricain, ancré dans l’exploitation des ressources locales. Ce tournant pourrait redessiner le paysage agricole ouest-africain, en sécurisant l’accès aux intrants essentiels pour les exploitants et en dynamisant les économies nationales. Des pays comme le Nigeria, le Maroc et le Sénégal s'emploient également à renforcer leurs filières d’engrais azotés, tandis que des projets de potasse émergent en Afrique centrale. La toile de fond est claire : pour assurer une croissance économique inclusive et résiliente, le continent doit bâtir ses propres infrastructures industrielles, réduire sa vulnérabilité aux chocs extérieurs et promouvoir des chaînes de valeur locales.

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