Coton ouest-africain : la bataille silencieuse entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso

Production cotonnière, duel stratégique entre Abidjan et Ouagadougou (Crédit image : Philippe Revelli)

  • Les points clés :
    Le coton ouest-africain traverse une crise marquée par l’invasion du Jasside Amrasca biguttula.

  • En Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, la production reste fragilisée, reculant en moyenne de 11 % par an.

  • Avec un rendement moyen supérieur, la Côte d’Ivoire conserve un léger avantage, soutenu par des pratiques agronomiques plus efficaces.

Le coton en Afrique de l’Ouest est bien plus qu’une simple exportation : il façonne les économies rurales, alimente les revenus de millions de petits producteurs et participe aux approvisionnements industriels locaux. Les poids lourds que sont le Bénin et le Mali dominent sans partage, tandis que la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso se disputent la troisième place. Lors du SARA à Abidjan, l’APROCOT‑CI a dévoilé une ambition claire : atteindre 550 000 t de coton‑graines pour 2025/26, un objectif qui fait écho à celui défini par Ouagadougou en avril dernier. En dépit de ces visées, les défis s’amoncellent. PR-PICA rapporte une baisse de 11,5 % par an au Burkina (491 000→300 000 t) et de 10,9 % en Côte d’Ivoire (558 227→351 000 t) depuis 2020/21.

Tout converge vers l’émergence catastrophique du jasside Amrasca biguttula. Introduit en 2022, ce ravageur a provoqué des pertes de 30 à 50 %. Détecté dans plusieurs pays, il incarne une menace d’autant plus redoutable qu’il profite du changement climatique on ne cesse d’aggraver la pression des maladies.

Le combat agronomique : agronomes face au parasitisme

Face à Amrasca biguttula, les stratégies agronomiques varient. En Côte d’Ivoire, des campagnes intensives de lutte phytosanitaire, subventionnées par l’État, commencent à atténuer l’impact du fléau, et les rendements s’en ressentent. Les producteurs renforcent l’usage d’engrais, traitements ciblés, et semences résistantes. Pendant ce temps, les burkinabè souffrent d’un manque de marge d’action, exacerbé par des zones agricoles contraintes par l’insécurité persistante . Le rendu parle : la Côte d’Ivoire atteint 954 kg/ha contre 811 kg/ha pour le Burkina. Ce différentiel, remarquable, illustre l’avantage d’un système plus structuré, capable de financer et d’assurer une diffusion rapide des intrants.

Les vulnérabilités structurelles mises à jour

Au-delà du jasside, d’autres fragilités structurales dansent sur le fil de la vulnérabilité. La baisse des superficies cultivées, la dépendance à la pluie, les faibles capacités d’irrigation collective, et l’insécurité au Burkina pèsent lourd. Le rapport de l’USDA venu renforcer ce constat, précisant que l’insécurité a aussi perturbé l’accès aux intrants. Le duo Bénin-Mali domine, mais en 2024/25, la production malienne pourrait même chuter jusqu’à –17 %. Si ces tendances perdurent, le podium régional pourrait se redessiner.

Vers un renforcement régional ?

La chevauchée concurrentielle entre Côte d’Ivoire et Burkina illustre un enjeu plus vaste : la résilience de toute une filière vitale pour des millions d’ouvriers ruraux. En Côte d’Ivoire, les performances récentes donnent espoir : coopération étroite entre filières, rationalisation des intrants, formation des producteurs. Au Burkina, la reconquête des zones sinistrées, annoncée par le gouvernement, pourrait relancer les rendements. Mais dans tous les cas, seule une approche coordonnée, appuyée par l’UEMOA, le PR-PICA, la FAO et la recherche, permettra d’anticiper d’éventuelles invasions phytosanitaires et de renforcer les systèmes de prévention.

Pourquoi est-ce important ?

L’évolution du coton en Afrique de l’Ouest dépasse le simple enjeu agricole : elle conditionne la stabilité économique, le développement rural, et les recettes d’exportation. Cette culture nourrit l’emploi de millions de foyers, soutient les recettes publiques, et alimente des industries annexes, à l’image de la filière semence ou textile. À l’heure où les jassides et le climat redessinent la donne, la capacité de la région à adapter ses pratiques déterminera la pérennité de cette agriculture de rente. Les efforts conjoints récents montrent que la région peut se doter de systèmes résilients, basés sur la collaboration technique, l’innovation agronomique et l’appui institutionnel. Le maintien de la troisième place ne doit pas être une fin en soi, mais un véhicule de croissance durable pour des populations rurales dépendantes de cette « or blanc ».

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