L'empreinte croissante de la Chine dans les ports africains
Port de Lomé (Crédit image : PAL)
Les points clés :
33% des projets portuaires en Afrique impliquent la Chine, avec une influence majeure sur les infrastructures économiques et géostratégiques du continent.
La Chine gagne jusqu'à 13 dollars pour chaque dollar investi dans les ports africains, selon PricewaterhouseCoopers.
36 des 78 ports africains sous contrôle chinois ont accueilli des exercices militaires, renforçant les ambitions géostratégiques de Pékin.
La présence chinoise dans les infrastructures portuaires africaines est impressionnante. Avec une implication dans 78 ports, soit 33% des projets portuaires du continent, la Chine ne se contente pas de financer ces infrastructures ; elle en assure aussi la construction, l'exploitation, et souvent la gestion à long terme. Derrière cet investissement se cache une double ambition : booster les échanges commerciaux bilatéraux tout en poursuivant des objectifs géostratégiques.
Un contrôle massif des ports africains
Selon un rapport du Centre d'études stratégiques de l'Afrique (CESA), les entreprises d'État chinoises sont actives dans 32 pays africains, notamment en Afrique de l'Ouest, qui compte à elle seule 35 ports financés, construits ou exploités par la Chine. Parmi les exemples les plus notables, on trouve le port en eaux profondes de Lekki, au Nigeria, un projet clé pour l'économie ouest-africaine. La China Communications Construction Corporation (CCCC) et sa filiale, China Harbor Engineering Company (CHEC), ont non seulement financé et construit ce port, mais détiennent également une participation de 54%, assurant ainsi une mainmise stratégique.
La rentabilité de ces investissements est indéniable : chaque dollar injecté dans ces projets génère jusqu'à 13 dollars de revenus pour Pékin, selon une étude de PricewaterhouseCoopers (PwC). Mais l'implication chinoise va bien au-delà de simples retours économiques.
Des ambitions militaires sous-jacentes
La Chine n’utilise pas uniquement ces ports pour le commerce. En effet, 36 de ces infrastructures ont déjà accueilli des escales ou des exercices militaires chinois, un signe clair des ambitions géostratégiques de Pékin en Afrique. Des ports tels que Lagos au Nigeria, Durban en Afrique du Sud ou encore Port-Gentil au Gabon possèdent les caractéristiques physiques et techniques pour accueillir des flottes navales chinoises, les rendant potentiellement stratégiques pour l’armée populaire de libération (APL). Le développement du port de Doraleh à Djibouti, initialement annoncé comme un projet commercial, est un parfait exemple de cette stratégie : en 2017, il a été élargi pour accueillir la première base militaire chinoise à l’étranger.
Un modèle répandu : Go Global et nouvelles routes de la soie
L'influence de la Chine en Afrique découle également de sa stratégie "Go Global", une initiative visant à soutenir les entreprises d'État dans leur conquête de nouveaux marchés, en particulier dans les pays en développement. Cela s'inscrit dans un cadre plus large, celui de l'initiative des "Nouvelles routes de la soie", où la Chine souhaite étendre sa connectivité à travers six corridors, dont trois traversent le continent africain, reliant l'Afrique de l'Est, l'Égypte et la Tunisie.
Un impact économique et des préoccupations géopolitiques
Ces investissements massifs dans les infrastructures portuaires ont sans aucun doute contribué à dynamiser les échanges commerciaux sur le continent. Cependant, la dépendance croissante de certains pays africains à l'égard de Pékin pose des questions sur la souveraineté et la sécurité. Si les retombées économiques à court terme sont visibles, notamment en Afrique de l'Ouest, où les infrastructures portuaires améliorent la compétitivité des nations, les conséquences à long terme sur la gestion de la dette publique et la perte de contrôle stratégique suscitent des préoccupations.
Le Centre d'études stratégiques de l'Afrique appelle à une vigilance accrue de la part des pays africains lors des négociations avec la Chine, les incitant à éviter les alignements géopolitiques et à préserver leurs propres intérêts stratégiques.
Pourquoi est-ce important ?
L'influence croissante de la Chine sur les infrastructures portuaires africaines est une réalité incontournable, et ses retombées économiques sont considérables, notamment en Afrique de l'Ouest. Toutefois, cet engagement n'est pas sans risque. Si les pays africains veulent réellement tirer parti de ces investissements, il leur faudra renforcer leur capacité de négociation et s'assurer qu'ils ne sacrifient pas leur souveraineté pour des gains à court terme. L'avenir de la région dépendra de leur capacité à équilibrer les intérêts économiques et géostratégiques dans ce partenariat complexe avec la Chine.