Pétrole : le pourquoi les États-Unis ont exporté plus vers le Nigeria qu’ils n’en ont importé
Cet épisode marque un tournant pour l’Afrique de l’Ouest et le Nigeria (Crédit image : Sputnik)
Les points clés :
Les États-Unis sont devenus exportateurs nets de pétrole vers le Nigeria pour la première fois en février-mars 2025, selon l’EIA.
Les exportations américaines vers le Nigeria ont augmenté de 111 000 b/j à 169 000 b/j, tandis que les importations nigérianes vers les USA ont chuté de 133 000 à 54 000 puis 72 000 b/j.
Cette inversion est attribuée à la maintenance des raffineries américaines et au lancement de la méga-raffinerie Dangote, avec 650 000 b/j de capacité, entrée en service en janvier 2024.
L’événement est sans précédent : pour la première fois, les flux d’hydrocarbures entre les États-Unis et le Nigeria ont basculé, plaçant les Américains dans une position d’exportateurs nets à l’égard de leur ancien fournisseur vers la fin du premier trimestre 2025. Ce phénomène, rapporté par l’EIA, marque un tournant significatif dans les relations commerciales entre deux géants énergétiques.
Cette situation est imputable à deux facteurs majeurs. D’abord, la maintenance du complexe de raffinerie Phillips 66 Bayway dans le New Jersey a fortement réduit la demande domestique américaine en brut, ouvrant ainsi la voie à l’exportation vers des marchés comme le Nigeria. Ensuite, l’entrée en service de la raffinerie Dangote près de Lagos, la plus grande d’Afrique avec une capacité de 650 000 b/j, a stimulé la demande nigériane en brut brut étranger, rendant les États-Unis aptes à combler ce besoin.
Mécanisme des échanges : chiffres et temporalité
La chronologie de cet épisode est claire : en février, les exportations américaines vers le Nigeria ont atteint 111 000 b/j, pour culminer à 169 000 b/j en mars. Sur la même période, les importations US en provenance du Nigeria ont chuté respectivement à 54 000 puis 72 000 b/j, depuis 133 000 b/j en janvier. Cette inversion temporaire a déclenché la première balance positive US vers Abuja en matière de brut.
La EIA, tout en soulignant la portée inédite de ce renversement, avertit qu’il s’agit davantage d’un « cliché de marché très fluide » que d’un changement structurel durable. Les Nigérians envisagent d’augmenter leurs approvisionnements domestiques en brut dès que la Dangote et la NNPC stabiliseront leurs opérations, pour réduire graduellement la dépendance aux importations US.
Le rôle pivot de la raffinerie Dangote
L’importance de la raffinerie Dangote ne peut être sous-estimée. Lancée en janvier 2024 avec une capacité de 650 000 b/j, elle a rapidement atteint 400 000 b/j dans ses premiers mois, devenant un acteur mondial influent. Ce complexe a bouleversé les chaînes d’approvisionnement locales : le Nigeria, qui importait auparavant du brut pour raffinage avant réexportation, peut désormais transformer une large part de sa production sur place, limitant ainsi ses importations de produits finis.
Pour garantir un approvisionnement solide, Dangote continue à importer du brut américain selon les mesures de la EIA, notamment entre avril et mai lorsque la NNPC ne livrait que 300 000 b/j. Ce cycle d’importations et de réorientations de flux illustre la dépendance initiale à des fournisseurs externes, malgré la volonté d'autosuffisance.
Perspectives : conjoncture et structure
Si cette inversion historique de flux énergétique reflète des ajustements conjoncturels – maintenance US, montée en régime de Dangote, elle laisse entrevoir des changements structurels potentiels. Le Nigeria demeure un acteur stratégique : avec sa nouvelle capacité de raffinage, il peut réduire significativement ses importations, gagner en souveraineté énergétique et générer des devises via l’exportation de produits raffinés.
Les États-Unis, quant à eux, confirment leur flexibilité : en tant que première puissance énergétique mondiale, ils exploitent les opportunités de marché pour ajuster leurs exportations, selon les besoins. Pour Abuja, l'enjeu est de sécuriser l'approvisionnement en brut via un partenariat avec la NNPC ou d'autres fournisseurs, tout en exploitant la dynamique douanière et financière induite par la raffinerie Dangote.
Pourquoi est-ce important ?
Cet épisode marque un tournant pour l’Afrique de l’Ouest et le Nigeria en particulier. La capacité de transformation locale du brut transforme les logiques de dépendance, créant une valeur ajoutée nationale, des emplois et un renforcement de la balance énergétique. À terme, cette évolution pourrait modifier les équilibres commerciaux régionaux, réduire la vulnérabilité aux fluctuations des prix mondiaux et attirer des investissements dans les infrastructures logistiques et pétrochimiques.
Sur un plan géopolitique, le basculement vers un Nigeria importateur temporaire de brut US illustre la montée en puissance des acteurs émergents et la reconfiguration des alliances énergétiques mondiales. Pour les économies ouest-africaines, c’est une leçon : l’intégration industrielle, combinée à des capacités robustes de raffinage, peut inverser des décennies de dépendance unilatérale. C’est une étape symbolique vers une Afrique qui croit en sa souveraineté économique.