Quand la dette des ménages nigérians menace l’économie : un signal d’alerte à l’échelle ouest‑africaine
Les créances des ménages dépassent celles des entreprises non financières (Crédit image : Tribune Afrique)
Les points clés :
La dette des ménages au Nigeria a atteint un record de 38,7 milliards $ en avril 2025, soit 20,4 % du PIB selon l’IIF.
Ce poids pèse plus que la dette des entreprises non financières (12,6 milliards $) et financières (23,4 milliards $).
Malgré la robustesse du secteur bancaire, les ménages s’endettent massivement pour compenser l’inflation retentissante (+23 %) et la dépréciation du naira.
Le Nigeria, première puissance démographique d’Afrique avec plus de 200 millions d’habitants, connaît un phénomène inédit : l’envol de l’endettement des ménages, désormais supérieur à celui des entreprises. Avec 38,7 milliards $ en avril 2025, les Nigérians remboursent aujourd’hui plus de 60 % de leur production nationale en créances de consommation et de découvert bancaire, un taux historiquement haut pour une économie émergente. Ce basculement résulte de la conjonction de deux facteurs inquiétants : une inflation qui n’en finit plus de flamber (+23 % début 2025) et la dépréciation du naira, qui renchérit les biens importés. Pour garder la tête hors de l’eau, les ménages recourent au crédit, fragilisant ainsi leur résilience financière.
Un portrait nettement contrasté avec les entreprises
Alors que les créances des ménages dépassent celles des entreprises non financières (12,6 milliards $) et financières (23,4 milliards $), seules la dette publique (98,8 milliards $) se situe au-dessus. Ce glissement est inédit : depuis deux décennies, ce sont généralement les entreprises ou l’État qui portaient le fardeau. Désormais, le poids croissant du crédit à la consommation traduit la vulnérabilité grandissante des ménages à des chocs économiques, avec des répercussions sur la santémacroéconomique du pays.
Banques en frontière : bénéfices robustes, fragilité sous-jacente
Les grandes institutions financières comme Zenith Bank ou Guaranty Trust Bank restent solides, avec des ratios de fonds propres Tier 1 supérieurs à 15 % (Fitch, décembre 2024), mais les petits établissements sont plus exposés. Les créances douteuses évoluent de manière aiguë : +68,7 % sur cinq ans pour Livingtrust Mortgage Bank, +8,7 % pour Guaranty Trust. La dette élevée des ménages grippe les systèmes de financement de proximité, menaçant l’accès au crédit et la confiance des investisseurs dans le secteur.
Analyse comparée à l’échelle africaine
Le ratio dette/PIB des ménages au Nigeria (20,4 %) dépasse largement celui du Ghana (15,8 %) et du Kenya (12,5 %), mais demeure en dessous de l’Afrique du Sud (35,2 %), dont le marché financier est plus mature. Ce contraste souligne à la fois les enjeux spécifiques du modèle nigérian et un risque systémique partagé sur la région : l’endettement rapide sans filet de protection.
Sources structurelles de cet endettement
À l’origine de cet accroissement explosif figurent trois dynamiques imbriquées : l’inflation persistante, la dépréciation du naira (−50 % depuis 2023) et la faible inclusion financière (39 % de taux de bancarisation selon la Banque mondiale). L’inflation réduit le pouvoir d’achat, obligeant les ménages à emprunter pour vivre. La chute de la monnaie augmente les coûts des produits importés. Enfin, l’absence d’épargne formelle pousse vers des crédits informels ou bancaires coûteux, exposant à un endettement sans filet de sécurité.
Impacts sur l’économie ouest‑africaine
Le Nigeria, locomotive régionale, exerce une influence majeure dans la zone CEDEAO. Une crise du crédit des ménages aura des effets en cascade : ralentissement de la consommation (qui représente près de 60 % du PIB), tensions sur la demande intérieure, répercussions sur les PME et hausse du risque de contagion financière. Cela pèsera sur la croissance de la région et limitera les ambitions de diversification économique.
Efforts régionaux face à ces défis
Certains pays de la sous‑région prennent des mesures : le Sénégal développe les transferts monétaires pour soutenir les foyers vulnérables, tandis que le Ghana renforce la discipline budgétaire pour préserver la croissance. Au Nigeria, cependant, les autorités devront combiner pression fiscale modérée, renforcement de la régulation bancaire et inclusion financière, notamment via le mobile money, pour éviter une crise sociale et économique.
Pourquoi est‑ce important ?
La flambée de la dette des ménages au Nigeria n’est pas seulement un « problème nigérian » : elle constitue un signal d’alerte pour tout le Sahel. Elle révèle la fragilité des modèles centrés sur le crédit sans filet social solide. Pour préserver la stabilité macroéconomique et relancer la consommation, les gouvernements ouest‑africains devront agir sur plusieurs leviers : maîtrise de l’inflation, soutien aux revenus, inclusion financière et protection des ménages contre les chocs. En somme, ce phénomène appelle à repenser la croissance régionale : durable, inclusive et résiliente, sans quoi la dette domestique pourrait freiner les ambitions de développement de l’Afrique de demain.