Sénégal - renégociation des contrats : le gouvernement fera t-il plier les multinationales ?

Le gouvernement sénégalais a décidé de réviser plusieurs contrats publics (Crédit image : Yop-Lfrii)


Les points clés :

  • La redevance audiovisuelle de Canal+ a été ajustée de 75 millions à 4,5 milliards FCFA, soit 9 % de son chiffre d’affaires sénégalais.

  • RFI passe de 10 à 675 millions FCFA pour l’exploitation de ses fréquences, permettant au Trésor d’empocher environ 5 milliards FCFA au total.

  • En toile de fond, les contrats du secteur extractif (notamment avec Woodside et ACWA Power) sont revus, suspectés d’être défavorables au Sénégal, avec en cours un contentieux fiscal de 41 milliards FCFA contre Woodside.


Depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye, le gouvernement sénégalais a décidé de réviser plusieurs contrats publics, y compris ceux conclus sous la précédente administration, afin d’augmenter les recettes de l’État. Cette stratégie a été adoptée alors que le pays fait face à des tensions budgétaires et à un déficit public jugé plus élevé que précédemment annoncé.

Dans ce cadre, deux redevances explorées de longue date, Canal+ et RFI, ont été remises à plat. Canal+ désormais paye 9 % de son chiffre d’affaires annuel, contre 75 millions FCFA auparavant, tandis que RFI voit sa redevance passer à 675 millions FCFA pour neuf fréquences, contre seulement 10 millions FCFA précédemment relevés. Ces révisions représentent des recettes additionnelles estimées autour de 5 milliards FCFA.

Aux hydrocarbures, un bras de fer fiscal qui s’envenime

Le gouvernement ne se limite pas au secteur audiovisuel. L’opérateur australien Woodside Energy, principal exploitant du champ offshore Sangomar, est au cœur d’un litige de fiscalité avec l’État sénégalais. En 2024, Woodside fait face à un redressement fiscal de 41,5 milliards FCFA, sur un total initial supérieur à 119 milliards FCFA selon certaines sources, contesté devant les tribunaux Sénégalais et ICISD, l’équivalent étant porté en arbitrage international.

Cette manœuvre s’inscrit dans une politique plus large de révision des contrats pétroliers et gaziers jugés peu profitables pour l’État. Des audits ont été lancés sur des accords signés notamment avec BP, Kosmos, British Petroleum, Kosmos Energy ou encore ACWA Power, pour les aligner avec la législation actuelle et garantir une part de revenues accrue pour le Sénégal.

L’exemple du contrat de dessalement renégocié avec ACWA Power

Un accord d’environ 800 millions de dollars conclu avec ACWA Power pour construire une usine de dessalement, signé fin 2023, a été annulé début juillet 2024, jugé trop coûteux et mal aligné avec les besoins du Sénégal. La décision, sans pénalité financière, illustre la volonté de revoir les termes des contrats jugés excessivement onéreux ou mal calibrés.

Finalement renégocié au cours de 2025, le contrat inclut une baisse d’environ 9 % du prix initial et l’ajout d’une centrale solaire supplémentaire. Les paiements annuels ont été revus à la baisse (–12,5 % puis –25% à partir de 2030), tandis que le coût de l’eau dessalée baisse de 10 %. La synergie entre dessalement et énergie solaire permet de faire de ce projet un modèle d’infrastructure renouvelable à long terme, intégrant l’État via SENELEC dans le capital du projet.

Entre justice économique et risque de découragement des investisseurs

Le gouvernement affirme agir pour renforcer la « souveraineté économique » du Sénégal, en alignant les contrats sur le nouveau code pétrolier de 2019 et en redressant les comptes publics. Toutefois, ces initiatives inquiètent certains investisseurs, qui redoutent une instabilité juridique. Des voix comme celles de l’ancien président Macky Sall ou d’analystes internationaux alertent contre une possible fuite des capitaux et le durcissement du climat d’investissement sur fond de rupture unilatérale de clauses de stabilité contractuelle.

Pourquoi est-ce important ?

La renégociation des contrats est devenue un levier de souveraineté économique pour le Sénégal. Elle permet au Trésor de mobiliser rapidement des recettes nouvelles issues de secteurs jusque-là faiblement fiscalisés (médias, énergie, eau), nécessaires pour consolider les finances publiques et financer les priorités nationales. Ce tournant illustre une volonté de rééquilibrer les bénéfices tirés des ressources naturelles et des infrastructures stratégiques au profit du pays.

À l’échelle ouest-africaine, le cas sénégalais offre un précédent probant. D’autres États pourraient s’inspirer de cette stratégie pour exiger des conditions plus équilibrées dans les secteurs extractif, énergétique ou technologique, tout en soulignant la nécessité de converger vers des modèles transparents, régulés et responsables. Toutefois, la clé réside dans l’équilibre : renforcer la rentabilité nationale sans pour autant éroder l’attractivité auprès des partenaires internationaux et des investisseurs longs termes.

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