Kabirou Mbodje : empêtré dans des scandales judiciaires, l’avenir incertain du Fondateur du géant Wari
Kabirou Mbodje (Crédit Image : Seneplus)
Les points clés :
Kabirou Mbodje dénonce des obstacles institutionnels freinant l'épanouissement des entreprises africaines comme Wari.
Le fondateur de Wari fait face à des démêlés judiciaires au Sénégal et en France.
L'avenir de Wari reste incertain dans un marché dominé par des géants comme Wave et Orange.
Le parcours de Kabirou Mbodje, fondateur de la plateforme de transfert d'argent Wari, est marqué par des ambitions économiques, des déboires institutionnels et des scandales judiciaires. Depuis 2008, Wari a révolutionné les services financiers en Afrique, notamment au Sénégal, en créant près de 50 000 emplois directs. Cependant, malgré ses réussites, Mbodje accuse les institutions locales d'avoir intentionnellement saboté son entreprise pour « servir des intérêts étrangers ». À travers cette interview exclusive accordée à Le Quotidien (27 janvier 2025), l’entrepreneur s'exprime sur ses ambitions économiques et les multiples défis auxquels il a été confronté.
Des obstacles institutionnels pour un leader économique africain
Kabirou Mbodje a particulièrement été touché par l'échec de son acquisition de Tigo, l’opérateur télécom sénégalais, en 2017. Wari avait remporté l’appel d’offres, mais n’a jamais pu finaliser le rachat en raison de blocages administratifs, ce que Mbodje perçoit comme une "trahison de la souveraineté économique nationale". Selon lui, l'État aurait dû soutenir Wari, un acteur local, plutôt que de céder Tigo à un consortium étranger. Cet épisode met en lumière les défis rencontrés par les entrepreneurs africains face à des systèmes économiques souvent sous influence étrangère.
En outre, Mbodje a délocalisé son entreprise au Togo, un choix justifié par la nécessité de protéger Wari dans un environnement sénégalais qu'il jugeait hostile. Cette délocalisation a été diversement perçue, certains louant sa stratégie tandis que d’autres y voient un acte opportuniste.
Litiges judiciaires et réputation ternie
Le parcours de Kabirou Mbodje est également assombri par de multiples affaires judiciaires. En 2021, il a été condamné à deux ans de prison, dont six mois ferme, pour abus de biens sociaux, une affaire qui l'oppose à trois anciens associés. Ceux-ci l’accusent d’avoir réduit leur part dans Wari de manière frauduleuse. De plus, en 2024, Mbodje a été mis en examen en France pour des accusations de viol, affaire en cours d’instruction.
Ces démêlés judiciaires ont affecté sa réputation, avec des critiques virulentes sur les réseaux sociaux, notamment sur la transparence de sa gestion. Néanmoins, certains continuent à le percevoir comme un entrepreneur visionnaire, défendant les intérêts économiques africains face à la concurrence étrangère.
La concurrence des géants du secteur
Le secteur du transfert d’argent en Afrique connaît une transformation rapide, avec des acteurs comme Wave qui ont révolutionné le marché grâce à des tarifs très compétitifs. Wave, avec ses frais de transfert réduits à 1 %, a imposé un modèle économique difficile à concurrencer pour les acteurs traditionnels comme Wari et Orange Money. Cette concurrence intense a entraîné une baisse des revenus des géants comme Orange. Par exemple, la contribution d’Orange Money au chiffre d'affaires de Sonatel est passée de 12 % en 2021 à 9,1 % en 2022.
Dans ce contexte, un retour en force de Wari semble difficile sans une stratégie audacieuse et un soutien politique affirmé.
Pourquoi est-ce important ?
Le parcours de Kabirou Mbodje et de Wari reflète les défis de l’entrepreneuriat en Afrique, notamment dans les secteurs stratégiques comme les services financiers. L’échec de l’acquisition de Tigo souligne la nécessité d’un soutien institutionnel pour les champions nationaux. En Afrique de l’Ouest, la souveraineté économique est un enjeu pour réduire la dépendance envers les acteurs étrangers. Des entreprises locales comme Wari peuvent jouer un rôle clé dans l’inclusion financière, mais elles ont besoin d’un environnement propice à leur épanouissement. Alors que le Sénégal s'oriente vers une "Vision 2050" de souveraineté économique, l'expérience de Mbodje pourrait servir de leçon pour mieux encadrer les initiatives nationales.