Échec colossal : le Nigeria prêt à céder ses raffineries publiques
L’insatisfaction est profonde (Crédit image : Afrinz)
Points clés :
Le Nigeria a investi environ 25 milliards $ depuis 2003 pour tenter de relancer ses trois raffineries publiques, sans succès durable.
En 2024‑2025, Port Harcourt (1,5 milliard $), Warri (revival à 60 % de sa capacité) et Kaduna restent souvent à l’arrêt, subissant encore 3 milliards $ détournés et engendrant de nouvelles enquêtes anti‑corruption.
Le nouveau dirigeant de la NNPC, Bayo Ojulari, envisage désormais la vente possible des raffineries, en raison de leur vétusté, du manque de compatibilité technologique, et du poids des scandales financiers.
Depuis le début des années 2000, le Nigeria s’est lancé dans un vaste programme visant à relancer ses raffineries publiques de Port Harcourt, Warri et Kaduna. Au cœur de cette ambition, la NNPC, propriété de l’État, a orchestré des plans de rénovation colossaux. Pourtant, après plus de deux décennies d’investissements massifs, estimés à environ 25 milliards de dollars, les résultats concrets font cruellement défaut.
Les projets de réhabilitation, souvent ponctués d’inaugurations spectaculaires, n’ont jamais réussi à maintenir une production régulière. À Port Harcourt, 1,5 milliard $ y a été injecté pour relancer l’usine fin 2024, mais sa production a été interrompue à nouveau dès mai 2025 . Warri, vantée comme un symbole d’espoir, a repris à 60 % de sa capacité à la fin de 2024, mais un défaut majeur l’a de nouveau conduite à l’arrêt début 2025. Quant à Kaduna, la modernisation est encore en cours, sans date de redémarrage clair. Ces arrêts à répétition exposent les limites techniques d’un équipement ancien, inadapté aux technologies modernes .
La situation est aggravée par des révélations fracassantes sur des détournements présumés. L’EFCC a lancé des enquêtes liées à près de 2,96 milliards $ de fonds publics destinés à la réhabilitation, avec l’arrestation de plusieurs cadres de haut niveau . Le montant des fonds alloués aux trois usines est impressionnant : 1,56 milliard pour Port Harcourt, 741 millions pour Kaduna, et 657 millions pour Warri . Ces chiffres soulignent l’ampleur des gaspillages et le caractère fracturé des garanties techniques et financières.
L’insatisfaction est profonde, portée notamment par les associations du secteur comme PETROAN, qui demandent transparence, responsabilité et calendriers clairs. Elles rappellent que la réouverture de l’ancienne unité de Port Harcourt (60 000 b/j) ne profite pas aux consommateurs tant que la seconde unité (210 000 b/j) reste inactive.
Entré en fonction en avril 2025, Bayo Ojulari, ex‑cadre de Shell, s’est fixé une mission ambitieuse : préparer la NNPC à une introduction en Bourse d’ici 2028. Mais en mois seulement, il a reconnu la complexité du défi. Les technologies ont peiné à fonctionner avec les installations vétustes, transformant les réhabilitations en casse-tête technique. Pour Ojulari, il est devenu clair que continuer à réinvestir dans ces raffineries est de moins en moins viable.
Dans une interview avec Bloomberg, il a déclaré : « La vente n’est pas exclue. Toutes les options sont actuellement à l’étude », confirmant un tournant stratégique. Cette perspective marque une rupture par rapport à deux décennies de persévérance coûteuse, et montre que la NNPC envisage désormais de délester ces actifs peu performants, concentrant ses efforts sur les secteurs plus rentables comme le gaz.
Ce virage intervient dans un contexte national et régional où la confiance dans l’État et l’efficacité des politiques publiques est mise à mal. Le contraste avec le raffinage privé est saisissant : Dangote Refinery, lancé en mai 2023 pour près de 20 milliards $, opère à pleine capacité de 650 000 b/j et source régulièrement des contrats de fourniture internationale malgré des enjeux de marché et de change. Alors que l’État croule sous les dépenses inefficaces, le privé prospère, offrant une leçon criante sur l’opportunité des modèles intégrés et optimisés.
Pourquoi est-ce important ?
La perspective de vendre les raffineries publiques est lourde de conséquences pour l’économie ouest-africaine. Elle met en lumière d’abord un tournant dans la gouvernance des ressources stratégiques : l’État abandonne un modèle inefficace pour un repositionnement vers des secteurs plus productifs et solides. En matière de finances publiques, cela pourrait réduire le risque de gaspillages récurrents et d’endettements imparables, favorisant la stabilité budgétaire.
Au-delà du Nigeria, cet exemple influence les débats dans toute la région. Les autres pays, comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire, observent la crise des raffineries nigérianes, pesant soigneusement entre maintien d’infrastructures publiques obsolètes ou ouverture aux investissements privés. Le succès ou l’échec d’une cession détermineront la confiance dans ce virage : une cession réussie pourrait libérer des ressources pour le développement du gaz et des renouvelables, tandis qu’une vente ratée risquerait de tourner au nouveau scandale.
Enfin, la réforme engagée fit écho à une tendance mondiale, celle du retrait progressif de l’État dans des industries lourdes inefficaces au profit d’opérateurs privés mieux structurés. Elle peut stimuler une transition vers l’efficacité énergétique, une meilleure compétitivité régionale et une résilience accrue face aux fluctuations des prix internationaux du pétrole. C’est donc une fenêtre d’opportunité pour repenser le modèle West-Africain de développement énergétique, en s’appuyant sur des choix pragmatiques et durables.