Dette géante liée au Gaz : comment la Banque mondiale a entrainé le Ghana dans le fossile


Points clés :

  • Le soutien financier massif de la Banque mondiale, via des contrats « take‑or‑pay », a entraîné une dette énergétique de quelque 3 milliards $ fin 2024, avec un coût annuel d’environ 500 M $ de gaz non consommé.

  • Les projets phares comme Sankofa et West Africa Gas Pipeline, bien que financés à coup de 1,2 milliard $ pour Sankofa, ont débouché sur excédent de capacité thermiques, flaring de gaz, et hausse des tarifs électriques sans amélioration notable de la fiabilité.

  • ActionAid Ghana et SOMO dénoncent une « prédation » : le modèle PPP mis en place déporte les risques sur l’État ghanéen, garantissant les profits des multinationales, au détriment de l’accès et de l’équité pour la population.


En 2007, la découverte des champs pétro‑gaziers en mer ouvre un nouvel horizon pour le Ghana. L’institution financière internationale intervient lourdement, injectant près de 2 milliards $ sur le segment énergie. Dès 2015, Sankofa est sacralisé comme « la » solution nationale, avec un soutien financier et des garanties à hauteur de 1,2 milliard $. Mais la confiance dans la croissance exponentielle de la demande masque un hiatus fondamental : les infrastructures de transport et de distribution de gaz ne suivent pas le rythme. D’où naissent les fameux contrats « take‑or‑pay », un mécanisme gravé dans les accords types, obligeant l’État à déboursser pour un volume de gaz prédéfini, qu’il l’utilise ou non.

Plusieurs études nationales, notamment celle de la Chambre ghanéenne des distributeurs de produits pétroliers (CBOD) en 2021, soulignent une dette énergétique qui atteint environ 500 M $ par an, directement imputable à ce modèle contractuel inefficace. Ce système incite paradoxalement à produire toujours plus, générant de la surcapacité thermique, au détriment de sources plus flexibles ou renouvelables, et entraînant un coût de l’électricité stablemen élevé pour les consommateurs.

Les conséquences sont massives : pour éponger les charges liées au gaz non utilisé et aux PPAs coûteux, l’État finance d’immenses subventions, que la population amortit à travers des hausses tarifaires, qui grèvent le budget des ménages sans réel bénéfice en termes de fiabilité ou d’accès universel . À la fin de 2024, la dette totale du secteur énergétique est estimée à plus de 3 milliards $.

Selon un rapport d’ActionAid Ghana et SOMO, le modèle structuré par la Banque mondiale repose sur un standard international : attirer des capitaux privés via des PPP et impliquer des multinationales, telles Chevron, Shell, ENI, Tullow, tout en transférant les risques majeurs à l’État, via des garanties souveraines et des clauses contractuelles rigides. La Banque mondiale, loin de bâtir un système énergétique public, stable, et adapté à la demande réelle, a enfermé le Ghana dans une dépendance aux fossiles coûteuse et risquée.

Les chantiers cités, WAGP, Jubilee, TEN, Sankofa, et les IPP thermiques, illustrent cette spirale : pénuries, gas‑flaring, retards d’infrastructures, recours aux filières plus chères comme le fuel, et coûts surdimensionnés. Le résultat : plus de 25 M $ par mois en importation de carburants entre 2014–2015, pour pallier l’inefficacité de la WAGP, ainsi qu’une perte de 1,3 milliard $ de recettes en 2023 à cause de capacité excessive et contrats opaques.

L’enquête remet en question la capacité de la Banque mondiale à concilier sa mission climato‑développement avec son soutien continu au gaz fossile : malgré un engagement de 2017 à cesser le financement « en amont », rien n’exclut un retour imminent . Les auteurs exigent l’arrêt immédiat des nouveaux projets fossiles, l’annulation de la dette liée aux hydrocarbures, et la réorientation vers des systems publics renouvelables et résilients comme les mini‑grids solaires. Ils appellent à réévaluer le rôle même des institutions financières internationales dans la transition énergétique africaine .

Pourquoi est‑ce important ?

Ce gouffre financier et cette dépendance au gaz impactent lourdement l’économie ouest‑africaine. Le Ghana, ancien élève modèle, est désormais contraint à restructurer sa dette : 5,2 milliards $ sont différés dans le cadre du cadre commun G20, mais 4,75 milliards $ de dette multilatérale (dont la BM) restent exclus . En parallèle, l’augmentation des tarifs électriques et la surcapacité inefficace étouffent les petites entreprises et repostent la croissance.

Face à la crise, les pays de la région doivent repenser leur stratégie énergétique. Le suivi par le Ghana de projets solaires comme Nzema (155 MW) démontre qu’un virage vers les renouvelables est possible. Des initiatives telles que PEG Africa, qui finance des systèmes solaires domestiques, illustrent le potentiel du secteur décentralisé.

Les efforts nationaux de divers États ouest‑africains visant à développer l’hydroélectricité, le solaire, la biomasse, et les mini‑grids soulignent une volonté régionale de réduire la dépendance aux énergies fossiles . Le succès de ces projets dépendra toutefois du retrait progressif du modèle PPP risqué, de la renégociation des dettes, et surtout d’un alignement des financements internationaux, fondations, banques multilatérales, investisseurs privés, vers un modèle réellement durable.

Au‑delà du Ghana, l’expérience révèle une leçon cruciale pour l'Afrique : les solutions énergétiques doivent être intégrées, adaptées, et placer les populations au centre. Le piège du gaz verrouillé peut être évité uniquement par des choix inclusifs, transparents, et tournés vers les énergies renouvelables, c’est une exigence économique, sociale et climatique.

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