Sénégal : le réétalonnage du PIB, un coup de théâtre technique face à la crise financière

Cette pratique n’est pas exclusive au Sénégal (Crédit image : Britannica)


Les points clés :

  • La révision à la hausse du PIB vise à réduire mécaniquement le ratio dette/PIB (≈ 120 %).

  • Inspiré de précédents africains (Nigeria +89 %, Ghana +60 %), l'« up­grading » offre un répit sur la dette mais n’efface pas la fragilité fiscale.

  • Le rétablissement de la confiance sur les marchés dépendra aussi de réformes budgétaires solides et d'un soutien clair du FMI.


Sous la pression des marchés et après la révélation en 2023 de milliards de dollars de dettes non déclarées, le Sénégal engage un réétalonnage de son PIB. Ce processus, évoqué officiellement le 15 juillet par le ministère des Finances, s’inscrit dans la lignée des rebasing déjà mis en œuvre ailleurs en Afrique. Objectif : donner une image plus conforme à l'économie actuelle et améliorer artificiellement les ratios financiers clés.

Le recalibrage devrait intégrer les nouveaux secteurs porteurs, comme les services, le numérique, et l’économie informelle, jusqu’ici sous-estimés. Ainsi, la révision offre un allégement hypocrite mais bienvenue du ratio dette/PIB estimé à 118 % selon S&P.

Effet d’optique efficace, mais insuffisant

À court terme, l’effet s’est fait sentir : les obligations souveraines à échéance 2033 sont remontées à 66 cents pour un dollar, enregistrant un gain notable. Pourtant, selon des analystes comme Kevin Daly et Aurelie Martin, ce coup d’éclat ne remplacera jamais une politique budgétaire rigoureuse.

À l’export, cette manœuvre technique donne un peu de marge de manœuvre : un ratio dette/PIB réduit à court terme est un signal positif pour les créanciers. Mais sans baisse réelle des dépenses ou hausse des recettes, la pression sur les marchés subsistera.

Une stratégie éprouvée sur le continent, avec des nuances

Cette pratique n’est pas exclusive au Sénégal. Le Nigeria a doublé son PIB en 2014 avec un rebasing (+89 %), reflétant l’émergence de nouveaux secteurs. Le Ghana avait connu un rebasing (+60 %) en 2010, tout comme d'autres pays comme la Zambie et la Tanzanie .

Ces exercices révèlent des économies souvent sous-estimées. Toutefois, ils soulèvent aussi des défis : fiabilité des données à long terme, cohérence des séries historiques, ou encore capacité statistique nationale .

Confiance, notation et appétit pour le risque

La réponse de S&P n’a pas tardé : une dégradation de la note souveraine vers B‑ avec perspective négative, due à une dette toujours trop élevée et à des besoins de financement jugés trop importants. Ce nouveau contexte complique les discussions avec le FMI, encore suspendu depuis 2023 faute de transparence budgétaire.

Le projet de rebasing est en partie une tentative de restaurer la crédibilité financière et de relancer un programme d’aide internationale, mais sa réussite dépendra aussi de la capacité du pays à réduire son déficit fiscal – aujourd’hui estimé à près de 8 % du PIB – et à rétablir sa note souveraine.

Au-delà de l’ajustement technique, une gouvernance budgétaire modernisée s’impose. Le Sénégal a déjà engagé des réformes (digitalisation fiscale, pilotage budgétaire, réduction des subventions). La poursuite de ces efforts apparaît comme le seul moyen durable de tirer parti d’un PIB revu à la hausse.

Pourquoi est-ce important ?

Ce réétalonnage est un test pour l'Afrique de l’Ouest. Il rappelle que derrière les chiffres, la crédibilité financière repose sur une gestion fiscale rigoureuse. Pour les pays voisins, ce signal montre la voie : réformes statistiques seules ne suffisent pas. Le Ghana, le Nigeria ou d'autres ont anticipé ces ajustements depuis longtemps, mais doivent aussi renforcer leur gouvernance.

Au niveau régional, le succès ou échec du rebasing sénégalais conditionnera l'attractivité de toute l'Afrique de l'Ouest. Les investissements internationaux, conditionnés à la solides des indicateurs macroéconomiques, guettent ces signaux. Enfin, une politique budgétaire visible et cohérente demeure capitale pour rassurer les institutions comme le FMI et soutenir l'intégration économique sous-régionale.

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