AOCTAH : « Free Trade » pour concilier commerces intrarégionaux plus fluides et gestion durable de l’environnement en Afrique de l’Ouest
Les points clés :
L’AOCTAH pilote une application régionale « Free Trade » pour notifier en temps réel les barrières sur les corridors agro-alimentaires et halieutiques.
Cette démarche s’inscrit dans l’Opération Fluidité Routière (OFR), qui combine numérique et supervision des flux commerciaux, tout en réduisant le risque d’interventions illégales.
Au cœur de cette initiative, une ambition : concilier commerces intrarégionaux plus fluides et gestion durable de l’environnement en Afrique de l’Ouest.
L'Afrique de l'Ouest est à l'aube d'une transformation économique et logistique majeure, impulsée par l'innovation numérique et une prise de conscience environnementale inédite. Face à des échanges régionaux agricoles entravés et coûteux, l'Association Ouest Africaine du Commerce Transfrontalier des produits alimentaires, Agro-sylvo-pastoraux et Halieutiques (AOCTAH) s'est imposée comme le fer de lance d'une stratégie régionale de fluidité, avec le lancement d'outils digitaux conçus pour déverrouiller le potentiel commercial de l'agroalimentaire tout en minimisant l'empreinte écologique.
L'initiative phare, l'application Free Trade, est bien plus qu'une simple plateforme de signalement; elle est la matérialisation d'une volonté politique de rendre le commerce transfrontalier transparent, efficace et durable, ancrant la région dans une économie moderne. En centralisant les données sur les "goulots d'étranglement" routiers, elle promet de réconcilier la croissance économique avec la préservation des ressources naturelles, un enjeu crucial à l'heure du changement climatique.
Le double défi Ouest-africain : fluidité et durabilité
Créée en juin 2019 avec l'appui technique du CILSS (Comité permanent Inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel) et le soutien financier de la Banque africaine de développement (BAD), l'AOCTAH a été fondée sur l'amer constat d'un paradoxe qui paralyse l'Afrique de l'Ouest. D'une part, les échanges agricoles intra-régionaux, bien que vitaux pour la sécurité alimentaire, restent faibles et font face à une litanie d'obstacles (racket, tracasseries administratives, lenteurs aux frontières). D'autre part, ces inefficacités logistiques exacerbent des contraintes environnementales importantes liées à l'exploitation des ressources, aux pertes post-récolte, aux détours routiers inutiles et aux émissions polluantes dues au transport. Le mandat de l'AOCTAH couvre une zone immense, englobant les quinze pays de l'espace CILSS/CEDEAO, ainsi que la Mauritanie et le Tchad.
Selon un rapport clé de l'OCDE sur le commerce alimentaire intrarégional en Afrique de l'Ouest, les échanges de denrées alimentaires dans la région sont estimés à environ 10 milliards USD par an, soit près de six fois plus que les chiffres officiels ne le laissaient penser, révélant l'ampleur et la vitalité d'un commerce souvent invisible ou informel. Ces chiffres attestent du potentiel immense, mais aussi de la nécessité d'assainir un marché qui opère en grande partie dans l'ombre. Pour adresser cette dualité, l'AOCTAH a déployé des instruments concrets.
L'Opération fluidité routière : une riposte tactique
L'instrument opérationnel phare de l'AOCTAH est l'Opération Fluidité Routière (OFR), lancée en 2021 dans le cadre du Schéma de Libéralisation des Échanges de la CEDEAO (SLEC). Cette opération vise un accompagnement ciblé des acteurs commerciaux afin qu'ils respectent les procédures formelles de circulation sur les corridors, agissant comme un mécanisme de lutte contre les barrières non tarifaires qui rongent la compétitivité régionale. Des macaronages spécifiques sont apposés sur les véhicules concernés pour faciliter les contrôles légitimes, tout en décourageant les pratiques illégales.
L'OFR est complétée par une plateforme WhatsApp qui permet aux commerçants et aux transporteurs de signaler en temps réel les actes de racket, de corruption ou d'entrave. Ce canal direct et immédiat permet aux forces de l'ordre d'intervenir ou, du moins, d'assurer une traçabilité de ces abus. L'objectif est double : sécuriser les acteurs (dont près de 75 % sont des femmes, selon les chiffres de sensibilisation de l'AOCTAH) et garantir l'application stricte des protocoles régionaux de libre circulation.
Free Trade : la digitalisation au service de la transparence
C'est sur le plan digital que l'effort de modernisation atteint son apogée avec le déploiement de l'application Free Trade, développée avec l'appui de l'AGRA (Alliance for a Green Revolution in Africa). Cet outil, disponible sur mobile et web, constitue la colonne vertébrale numérique de l'initiative. Elle centralise les incidents et blocages signalés sur les routes commerciales. Elle trace les flux de produits agro-sylvo-pastoraux et halieutiques. Elle alimente une base de données régionale publique sur les points de friction et les temps de parcours.
L'objectif de Free Trade est de tirer de l'informel les informations cruciales, de transformer des anecdotes de tracasseries en données exploitables pour la décision politique. En octobre 2025, un atelier régional essentiel, organisé à Lomé par l'AOCTAH dans le cadre du programme EAT/CEDEAO et financé par la GIZ, a formé les points focaux nationaux à la maîtrise de l'application. Cette étape garantit l'homogénéité du signalement des incidents et la qualité des données collectées.
L'AOCTAH assoit d'ailleurs sa légitimité dans la collecte de données en travaillant avec des partenaires de référence comme le Club du Sahel / OCDE pour réaliser des enquêtes auprès du secteur privé dans huit pays (Togo, Bénin, Côte d'Ivoire, Ghana, Libéria, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone) sur le climat d'affaires dans le commerce intrarégional.
Le cadre institutionnel et les origines de l’intervention
L’Association Ouest Africaine du Commerce Transfrontalier des produits Alimentaires, Agro-sylvo-pastoraux et Halieutiques (AOCTAH), créée en juin 2019 avec le soutien technique du CILSS et financier de la Banque africaine de développement (BAD), est née d’un double constat : en Afrique de l’Ouest, les échanges intra-régionaux agricoles restent faibles et confrontés à une multitude d’obstacles, tout en posant des contraintes environnementales liées à l’exploitation, la logistique, la perte post-récolte ou l’usage non optimal des ressources naturelles. Son mandat couvre quinze pays de l’espace CILSS/CEDEAO plus le Tchad et la Mauritanie.
L’un des instruments phares déployés par l’AOCTAH est l’Opération Fluidité Routière (OFR), lancée en 2021, qui vise un accompagnement ciblé des acteurs commerciaux pour qu’ils respectent les procédures formelles avant de circuler sur les corridors. Pour renforcer l’efficacité, une plateforme WhatsApp permet aux commerçants de signaler, en temps réel, des actes de racket ou d’entrave, avec une réponse possible des forces de l’ordre.
Sur le plan digital, l’un des outils majeurs s’appelle Free Trade : une application mobile/web (avec appui de l’AGRA) qui centralise les incidents ou blocages signalés sur les routes commerciales, trace les flux agro-sylvo-pastoraux et halieutiques, et alimente une base de données régionale sur les points de friction. L’objectif est de rendre visible ce qui est souvent informel ou invisible, afin d’informer les décisions politiques et de faciliter la circulation légale des produits, tout en tenant compte des contraintes environnementales (par exemple, éviter les détours inutilement longs, les arrêts intempestifs, etc.).
L’AOCTAH travaille également avec le Club du Sahel / OCDE pour produire des enquêtes auprès du secteur privé (dans huit pays : Togo, Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana, Libéria, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone) sur le climat d’affaires du commerce intrarégional. Cela lui confère une légitimité dans la collecte et l’analyse des données dans cet espace régional. (voir le site officiel de l’AOCTAH).
Le 14 et 15 octobre 2025, à Lomé, l’AOCTAH a tenu un atelier régional pour former ses points focaux à l’usage de l’application Free Trade, dans le cadre du programme EAT/CEDEAO avec le financement de la GIZ. Au terme de cet atelier, les relais nationaux doivent maîtriser la version mobile/web de l’appli, comprendre les instruments régionaux de facilitation d’échanges, et être sensibilisés aux enjeux du commerce transfrontalier et à la fluidité agro-bétail.
L'Application « Verte » de l'efficacité
Si l'intention première de Free Trade est de faciliter le commerce, ses retombées environnementales sont stratégiques. La littérature économique est claire : le commerce n'est pas neutre pour l'environnement, mais la facilitation des échanges peut avoir un effet bénéfique.
Réduction des Émissions dues à l'Inefficacité Logistique : En identifiant les barrages, les files d'attente prolongées et les détours arbitraires, l'application aide à rationaliser les trajets. Un trajet plus court et plus fluide réduit la durée de transport, ce qui se traduit directement par une diminution de la consommation énergétique et des émissions de CO2. Les retards arbitraires et les pratiques de racket, en forçant les camions à l'arrêt ou au contournement, sont des sources majeures de gaspillage de carburant et de pollution inutile.
Lutte contre le Gaspillage et les Pertes Post-Récolte : La fluidité accrue sur les corridors diminue les temps d'attente aux frontières. Moins de temps d'attente signifie moins de pertes post-récolte de denrées périssables, réduisant ainsi l'empreinte carbone liée à la production de ces aliments gaspillés.
Planification Durable des Infrastructures : Les données de Free Trade permettent aux décideurs de localiser précisément les « goulots d'étranglement » les plus émetteurs. Cette information peut orienter les investissements routiers et la création de hubs logistiques (zones de rechargement solaires, centres de consolidation mutualisés) avec une optique de durabilité.
Il est important de noter que sans réglementation stricte, l'ouverture commerciale peut entraîner une dégradation environnementale par l'intensification non contrôlée de l'exploitation des terres ou l'afflux d'investissements étrangers ne respectant pas les normes. Des études modélisant l'impact de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) soulignent que si le PIB est renforcé, les émissions de CO2 peuvent augmenter à court terme sans garde-fous. L'outil Free Trade, en fournissant des données en temps réel, constitue une brique essentielle pour mettre en place ces garde-fous institutionnels et réglementaires.
Cependant, le commerce intrarégional peut aussi faciliter l’optimisation des circuits, réduire les importations lointaines et encourager une production locale plus durable, si les instruments sont bien conçus. Une étude récente sur les membres de la CEDEAO/ECOWAS, via un modèle DID (Difference-in-Differences) sur la mise en œuvre de l’AfCFTA, montre que l’ouverture commerciale et la consommation énergétique peuvent améliorer la qualité environnementale, tandis que l’afflux d’investissements étrangers non régulés risque de la dégrader.
D’autres travaux (Bengoa et al., 2021) modélisant les émissions de CO₂ et autres polluants à l’échelle africaine estiment qu’une libéralisation généralisée du commerce renforce le PIB, mais tend aussi à accroître les émissions de CO₂ et de GES, tandis que d’autres polluants atmosphériques pourraient diminuer d’environ 25 % selon certains scénarios. Ces études soulignent que l’effet environnemental dépend fortement du mix sectoriel, de la réglementation environnementale et des mesures de contrôle.
Dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest, une étude de Baajike (2022) montre que la croissance économique, la libéralisation commerciale et le développement financier ont des effets mixtes sur la qualité de l’environnement, selon les pays et les secteurs.
L’association entre le commerce et l’environnement est souvent rapportée dans la littérature sous trois perspectives : amélioration environnementale (via les transferts technologiques propres), détérioration (par intensification non contrôlée), ou absence d’effet net, selon les garde-fous institutionnels.
Le poids de l’environnement dans les échanges régionaux
La prise en compte de l’environnement dans les politiques de commerce régional est encore trop marginale. Dans le cadre de l’AfCFTA, certains pays d’Afrique subsaharienne s’engagent à intégrer des services environnementaux et produits durables dans leur stratégie de commerce. Une publication dans SAGE Journals plaide pour que les gouvernements et le secteur privé coopèrent pour faire croître les biens et services environnementaux comme un segment à part entière du commerce intra-africain.
L’Africa Continental Free Trade Area (AfCFTA) envisage un développement durable, son traité comporte des clauses sur les biens respectueux de l’environnement, et la corrélation entre croissance économique et durabilité est évoquée dans les discours de ses responsables.
Mais les modèles empiriques montrent que, sans garde-fous, le commerce ouvert peut aggraver les émissions de CO₂ à court terme dans certains contextes, surtout dans les pays ouest-africains, si les investissements étrangers ne respectent pas les normes environnementales.
C’est pourquoi la captation de données fiables et en temps réel, via des outils comme Free Trade, peut constituer l’une des pierres angulaires pour articuler commerce et durabilité.
Retombées attendues et indicateurs de succès
Parmi les résultats attendus du déploiement de Free Trade, il ressort que les points focaux maîtrisent l’application mobile et web, ce qui garantit l’homogénéité des signalements. Aussi, il est également attendu qu’une meilleure compréhension des instruments régionaux de facilitation du commerce, notamment ceux liés à l’environnement et aux normes soit de mise. Ajouté à tout cela, d’autres résultats sont attendus tels que la suppression progressive des barrières non tarifaires les plus nocives, ce qui réduit les détours et les émissions additionnelles ; un accroissement de la fluidité des corridors commerciaux agro-alimentaires, avec réduction des temps d’attente, de gaspillage et de pertes post-récolte (donc d’empreinte carbone) ; des bases de données régionales publiques sur les obstacles au commerce, offrant une visibilité académique, politique et technique sur la relation entre commerce et environnement ; à moyen terme, l’adoption de véhicules plus propres, le recours à des itinéraires optimisés, des plateformes logistiques « vertes » (stations de recharge solaire, hubs mutualisés, centres de consolidation) dans les corridors majeurs.
Pour évaluer l’impact environnemental, on pourrait envisager des indicateurs comme : la quantité de carburant économisé, la réduction estimée des émissions de CO₂, diminution des trajets redondants, la part des véhicules conformes aux normes, la fréquence des signalements environnementaux, etc.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que le commerce intrarégional est à la fois une clé du développement économique et une source potentielle de pressions environnementales, particulièrement dans un contexte où le continent africain doit affronter les effets du changement climatique.
L’initiative Free Trade portée par l’AOCTAH offre une voie pragmatique pour réconcilier ces deux ambitions : fluidifier les échanges agricoles, renforcer la sécurité alimentaire et limiter les externalités négatives sur les milieux naturels. En donnant visibilité aux obstacles logistiques, en décourageant les pratiques illégales, en rationalisant les circuits, elle agit comme un catalyseur pour une croissance moins « sale ».
Pour l’Afrique de l’Ouest, réussir cette articulation est vital. Le potentiel agro-alimentaire est immense, mais sa valorisation doit être faite sans aggraver la déforestation, l’érosion, la pollution ou la perte de biodiversité. Si les infrastructures routières, les corridors, les systèmes de transport sont pensés de manière durable, la région peut tirer parti du marché continental (AfCFTA) sans sacrifier ses ressources.
De plus, cette démarche rend possible la création d’un modèle africain de commerce durable, non pas importé des normes occidentales, mais façonné selon les réalités climatiques, sociales et écologiques du continent. En centralisant les données, en responsabilisant les acteurs locaux et en informant les décisions, Free Trade peut être un outil pivot dans la construction d’un marché intrarégional résilient et vert.
La mise en œuvre de Free Trade est une démarche de coordination régionale qui exige l'engagement des quinze pays de la CEDEAO/CILSS, plus la Mauritanie et le Tchad. Les ateliers de formation des points focaux, financés par la GIZ, au Togo en octobre 2025, témoignent de l'effort des États à harmoniser leurs pratiques et à accepter une supervision régionale de leurs corridors. Des pays comme le Togo, le Bénin et le Burkina Faso, où l'AOCTAH concentre également des efforts spécifiques, sont en première ligne.
En donnant une visibilité aux obstacles logistiques et en responsabilisant les acteurs locaux, cette initiative contribue à façonner un modèle africain de commerce durable. Il ne s'agit pas d'importer des normes environnementales occidentales, mais de construire une approche basée sur les réalités climatiques, sociales et écologiques du continent. En fin de compte, la réussite de l'AOCTAH avec l'application Free Trade sera mesurée non seulement par les volumes d'échanges, mais aussi par la quantité de CO2 économisée et la réduction des trajets redondants, prouvant que l'efficacité économique peut être, par nature, une force au service de la durabilité environnementale. L'enjeu est de transformer un marché fragmenté et polluant en un marché intrarégional résilient et vert, pilier de l'intégration économique de la ZLECAf.