Vers une fertilisation éclairée : Lomé valide les données 2024 et plaide pour un marché des engrais plus transparent
Les points clés :
Un atelier national tenu le 14 octobre 2025 à Lomé visait à valider les statistiques nationales sur les engrais pour 2024, en vue d’appuyer la planification agricole.
Le Togo importe majoritairement ses engrais (NPK et urée) ; la consommation apparente en 2022 a atteint 114 145 tonnes dont 58 % en NPK et 42 % en urée.
La dose d’engrais utilisée est encore très faible : environ 17,36 kg/ha en 2023.
Le 14 octobre 2025, Lomé a accueilli un atelier national de validation des statistiques agricoles concernant les engrais pour l’année 2024. Organisé par AfricaFertilizer (initiative de l’International Fertilizer Development Center, IFDC), en coopération avec l’Association Togolaise pour la Production, le Conditionnement, l’Importation, l’Exportation et la Distribution des Intrants Agricoles (ATPCIEDIA) et la société CALAFI, cet événement a rassemblé des représentants du ministère de l’Agriculture, de la Centrale d’Approvisionnement et de Gestion des Intrants Agricoles (CAGIA), les services douaniers, les opérateurs privés et les experts du secteur.
L’objet principal de la rencontre était de passer en revue les données collectées pour l’année 2024, de comparer les sources (douanes, opérateurs, ministère), d’identifier les écarts, et de proposer des pistes d’amélioration pour la campagne agricole 2024-2025.
Cette initiative s’inscrit dans une dynamique régionale plus large au travers des Groupes de Travail Techniques Engrais (GTTE), établis depuis 2012 dans neuf pays d’Afrique de l’Ouest, avec l’appui d’AfricaFertilizer. Les GTTE ont pour mission d’harmoniser et de valider les statistiques nationales d’importation, d’exportation, de production et consommation d’engrais, afin de fournir aux décideurs publics et privés des informations fiables.
Au cours de l’atelier, plusieurs recommandations clés ont émergé : institutionnaliser le GTTE sous la tutelle formelle du ministère de l’Agriculture pour assurer sa pérennité, renforcer la collaboration entre le public et le privé pour la collecte et la validation des données, mobiliser des ressources privées pour assurer l’autofinancement du dispositif, et encourager une augmentation de l’usage des engrais (minéraux et organiques) pour améliorer les rendements agricoles.
Analyse des données et défis du marché des engrais au Togo
Les chiffres validés montrent que le Togo dépend fortement de l’importation d’engrais. Selon le Fertilizer Factsheet Togo 2023, les importations d’engrais en 2022 se sont élevées à 114 145 tonnes, reparties à 58 % pour les engrais de type NPK et 42 % pour l’urée. Parmi ces quantités, la consommation apparente était de 101 534 tonnes (NPK + urée).
La dose d’engrais par hectare est faible : en 2023, le Togo a enregistré une consommation d’environ 17,36 kg/ha. Pour mettre cela en perspective, la moyenne en Afrique de l’Ouest est d’environ 20 kg/ha selon l’IFDC, ce qui reste déjà parmi les plus faibles à l’échelle mondiale.
Les données historiques du Togo montrent des fluctuations sensibles : entre 2013 et 2022, les importations et la consommation d’engrais ont varié fortement, avec des pics notamment pour l’engrais NPK (63 % en 2022) et l’urée (37 %), témoignant de l’instabilité du marché. Par exemple, en 2020, le Togo a importé 121 368 tonnes, ce qui donne une idée de l’ampleur possible du marché.
Dans le contexte ouest-africain, l’IFDC note que la région ne consomme qu’environ 2 % de la consommation mondiale d’engrais, soit entre 1,5 et 1,7 million de tonnes par an, et que l’application moyenne est de l’ordre de 20 kg/ha. Il est également souligné que près de 90 % des engrais consommés sont importés, ce qui expose les pays à la volatilité des marchés étrangers, aux coûts logistiques (transport, manutention, droits de douane) et aux perturbations des chaînes d’approvisionnement.
Le rôle de AfricaFertilizer est central dans cette chaîne : cette initiative hébergée par l’IFDC collecte, compile et diffuse les statistiques sur la production, le commerce et l’utilisation des engrais en Afrique. Par son biais, les acteurs du secteur (publics, privés, académies) peuvent accéder à des données plus transparentes et participer à un dialogue éclairé.
Un des défis majeurs est celui de la cohérence entre les différentes sources de données. Les écarts entre les données des douanes, des opérateurs privés et du ministère peuvent fausser les prévisions de besoins. L’atelier de Lomé visait à résoudre ces divergences, en consolidant un référentiel unique de données.
Un autre défi est le financement pérenne du GTTE, dont le soutien externe (USAID, etc.) arrive à échéance. Le secteur privé togolais s’est dit prêt à s’investir davantage pour garantir la durabilité du dispositif.
Enfin, l’un des objectifs importants que les participants ont porté est de stimuler l’utilisation des engrais. Le Togo affiche une consommation relativement faible, moins de 20 kg/ha, bien en dessous du seuil recommandé pour une productivité agricole optimale.
Enjeux environnementaux et durabilité dans le processus
La fiabilité des données sur les engrais transcende le simple calcul statistique : elle est un levier de durabilité environnementale. Si l’usage des engrais est renforcé sans discernement, cela peut entraîner des surtaux (sur-fertilisation), une pollution des eaux, un lessivage des nutriments, et une dégradation des sols. En revanche, une fertilisation bien calibrée, basée sur des recommandations agronomiques locales et des données fiables, peut améliorer la productivité tout en minimisant les externalités négatives.
L’un des apports d’un système de suivi comme le GTTE est de guider des stratégies de fertilisation rationnelle : dose optimale, engrais combinés minéraux et organiques, adaptation selon les sols et les cultures. Cela peut favoriser une approche de nutrition intégrée des plantes et de fertilisation de précision, ce qui limite les gaspillages et réduit l’impact environnemental.
Le Togo, qui possède des ressources phosphatées, a l’opportunité d’intégrer davantage de valeur locale dans la chaîne des intrants agricoles. Dans ce cadre, l’atelier de Lomé a souligné que l’engrais doit être considéré comme une matière première stratégique pour l’agriculture nationale, et que la transformation locale (fabrication, conditionnement) peut réduire le coût des engrais importés et renforcer la souveraineté du pays. C’est un élément clé pour le modèle de développement durable.
Au plan régional, le Sommet Afrique Fertilizer & Soil Health (2024) a encouragé l’Afrique à tripler sa production d’engrais domestique d’ici 2034 et à promouvoir des pratiques de gestion durable des sols. Une telle orientation souligne l’interconnexion entre sécurité alimentaire, résilience climatique et infrastructures d’intrants.
Scénarios d’impact et pistes d’action
Si le Togo parvient à institutionnaliser le GTTE et à rendre systématiques les processus de validation des données, plusieurs effets positifs peuvent émerger : meilleure planification des besoins de fertilisation, réduction des écarts de stocks, rationalisation des importations, optimisation des financements publics et privés.
Dans une hypothèse de progression modérée, la consommation par hectare pourrait passer de ~17 kg/ha à 25 kg/ha dans un horizon de 5 à 10 ans, ce qui amplifierait les rendements sans surdoser les terres. Cela supposerait des efforts concertés de formation des agriculteurs, d’offre d’engrais adaptés, de subventions ciblées, et d’une logistique performante.
À l’échelle ouest-africaine, si chaque pays adopte une démarche similaire (GTTE national, harmonisation régionale des données, collaboration public-privé), le bloc CEDEAO pourrait bénéficier d’une meilleure coordination des marchés d’engrais, d’une négociation collective, d’une réduction des frictions douanières et de synergies logistiques (ports, corridors).
Pourquoi est-ce important ?
Parce que les engrais sont l’un des intrants les plus critiques pour la productivité agricole et pour la sécurité alimentaire, surtout dans un contexte de changements climatiques et de pressions démographiques. Disposer de données fiables et harmonisées est le socle de politiques agricoles efficaces, transparentes et durables.
Au Togo, ce processus de validation des statistiques montre une volonté de transparence, de rationalité et d’anticipation. Il peut aider à rompre avec des planifications fondées sur l’approximation, et à orienter les ressources publiques et privées là où elles seront le plus utiles.
À l’échelle de l’Afrique de l’Ouest, ce type d’initiative facilite la création de marchés intrarégionaux d’intrants agricoles, la réduction des coûts logistiques, l’alignement des politiques d’import-export, et la montée en compétences nationales autour de la gestion des données agricoles.
Enfin, c’est un pas vers une agriculture plus durable : quand l’augmentation des rendements se fait sans compromis environnemental, c’est l’un des piliers pour nourrir les populations de demain tout en préservant les sols, l’eau et la biodiversité.