Filiation avicole en crise au Togo : face aux poussins rares et aux importations, comment raviver la filière ?
Les points clés
La production togolaise de volaille couvre seulement 10 % de la demande intérieure, laissant le reste au poulet importé et aux œufs importés.
Le prix du poussin d’un jour a grimpé de 500 F à 900 F CFA, en raison de pénurie et de contraintes d’approvisionnement.
Pour répondre au défi, le gouvernement impose désormais aux importateurs de s’approvisionner d’au moins 10 % auprès de fournisseurs locaux.
La filière avicole au Togo traverse une période particulièrement délicate. Selon des acteurs du secteur, la production nationale est loin de suffire aux besoins des consommateurs : seules 10 % des viandes de volaille et des œufs consommés sont produits localement. Le reste est importé, souvent sous forme de poulets congelés importés massivement.
Cette insuffisance structurelle se manifeste dans le retrait progressif de nombreux producteurs. Certains exploitants réduisent leurs cheptels, d’autres arrêtent complètement leur activité, car la rentabilité devient de plus en plus problématique. Le président de l’Association nationale des professions avicoles du Togo (ANPAT), Winsou Moussou, souligne que l’infrastructure vétuste, le manque d’accès au crédit et les surcoûts liés aux intrants pèsent lourd dans la balance.
Un symptôme dramatique de cette crise est la pénurie de poussins d’un jour. Le coût de ces jeunes oiseaux a presque doublé : de 500 F CFA il y a quelques mois, il est passé à 900 F CFA à l’approche de la fin d’année, période où la demande culmine. Cette inflation de coût, couplée à la flambée des prix des aliments de volaille, rend la production de poulet de chair presque non viable. De fait, plusieurs éleveurs ont suspendu leurs activités, attendant un retour à des conditions plus stables.
Le scénario est aggravé par l’environnement concurrentiel des importations. En février 2025, le gouvernement togolais a adopté une règle selon laquelle les importateurs de produits avicoles (et de poisson) doivent désormais s’approvisionner à hauteur d’au moins 10 % auprès de fournisseurs locaux avant de recevoir l’autorisation d’importer. Cette mesure vise à stimuler la production locale et à renforcer la filière domestique.
Dans le passé, le Togo avait déjà tenté de limiter les importations pour protéger les producteurs nationaux : en janvier 2024, le gouvernement a suspendu temporairement les importations de volaille congelée en raison d’un excédent de 70 tonnes de viande locale non vendue.
Données, tendances et paradoxes
Si les acteurs de terrain décrivent une crise généralisée, les statistiques nationales offrent un tableau plus nuancé, voire contrasté. En 2024, la production avicole du Togo a atteint 38,6 millions de têtes, soit une croissance de 8 % par rapport à 2023 (35,7 millions).  Cette progression démontre qu’en dépit des difficultés, le secteur a encore la capacité de produire.
Cependant, le contraste entre ce niveau de production et la demande nationale reste accentué. Les importations de volaille et viandes avicoles restent élevées pour combler le déficit structurel. En 2022, la production nationale avait été estimée à 28,4 kt, en hausse de 14,2 % selon certaines sources.
Une autre donnée notable : selon une étude récente, dans la pratique familiale de l’aviculture togolaise, 91,35 % des éleveurs exercent également l’agriculture, et 65,48 % des exploitants sont des hommes. Les produits avicoles servent souvent à la consommation domestique (39,37 %) ou à la vente de surplus.
Sur la chaîne d’approvisionnement, un défi majeur réside dans le coût de l’aliment de volaille, largement importé ou dépendant de marchés sous-dimensionnés localement. Une innovation en cours est l’usage de larves de mouche soldat noir (black soldier fly) pour produire des aliments protéinés alternatifs, moins coûteux. Le projet réduit les coûts et offre un substitut durable.
Dans le même ordre, on note que pour la viande avicole en 2021-2022, le Togo combinait une production locale estimée à 41 000 tonnes avec des importations d’environ 19 967 tonnes pour satisfaire la demande.
Un rapport prospectif estime que d’ici 2028, la production avicole togolaise pourrait atteindre 56 510 tonnes, ce qui représenterait un effort significatif de croissance.
Les leviers d’action pour redresser la filière
Pour inverser la tendance régressive que décrit le secteur, plusieurs voies doivent être activées simultanément.
Premièrement, l’accès au crédit agrégé et adapté aux petits producteurs est crucial. Les petits élevages sont souvent limités par un manque de capitaux pour acheter les poussins, les aliments ou moderniser les infrastructures.
Deuxièmement, la production locale de poussins de qualité est essentielle à court terme. Le renforcement des couvoirs locaux, la promotion de souches adaptables et un soutien technique à la reproduction sont des priorités.
Troisièmement, maîtriser les coûts des aliments de volaille est stratégique. Le développement de filières de matières premières (protéagineux, insectes, déchets organiques valorisés) est une voie de réduction des coûts et de relocalisation.
Quatrièmement, l’amélioration des pratiques d’élevage, de biosécurité, de vaccination et d’encadrement technique permettra de réduire les pertes (maladies, mortalité) et d’augmenter la productivité.
Cinquièmement, les mesures réglementaires doivent être ciblées. L’obligation de 10 % d’achat local pour l’importation est un début utile. Mais d’autres mesures peuvent être envisagées : subventions ciblées aux intrants, défiscalisation des équipements, zones franches avicoles, incitations à l’investissement vertical (abattage, découpe, transformation).
Enfin, il faudra structurer la commercialisation locale : circuits courts, coopératives, marchés régionaux, branding “poulet togolais”, pour concurrencer l’importation.
Le renforcement du rôle de l’État (ministère, services vétérinaires, recherche) est central pour garantir un environnement propice, une régulation efficace et un soutien à long terme.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que l’élevage avicole est un pilier essentiel pour la sécurité alimentaire, la souveraineté nutritionnelle et la création de revenus ruraux dans un pays comme le Togo, où l’agriculture représente environ 41 % du PIB et emploie une grande part de la population rurale. 
La dépendance massive aux importations rend le Togo vulnérable aux fluctuations des marchés mondiaux, aux barrières commerciales et aux coûts de transport. En renforçant la filière locale, le pays peut réduire cette exposition, garder une partie de la valeur ajoutée sur le territoire et sécuriser son approvisionnement en protéines.
L’augmentation de la production avicole a aussi un fort potentiel de création d’emplois ruraux, de valorisation des surfaces et de stimulation économique locale, dans l’alimentation animale, la logistique, la transformation, le commerce.
À l’échelle ouest-africaine, une filière avicole togolaise redynamisée peut contribuer à l’intégration régionale : échanges inter-pays d’ingrédients, de poussins, de produits transformés. Le Togo pourrait se positionner comme un débouché ou fournisseur régional.
Enfin, corriger les déséquilibres dans cette filière combat les effets de pauvreté et de vulnérabilité dans les zones rurales. Lorsque les producteurs peuvent vivre dignement de leur élevage, c’est tout l’écosystème rural qui gagne.