UEMOA : la PI-SPI redéfinit les paiements instantanés dans l’espace franc CFA
Les points clés
La Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané (PI-SPI) devient opérationnelle dans l’UEMOA à partir du 30 septembre 2025.
Déjà 70 banques, 10 SFD et 6 émetteurs de monnaie électronique sont intégrés dans cette première phase régionale.
Le système permettra des transferts 24 h/24, 7 j/7, en temps réel, sécurisé et accessible pour tous, y compris entre banques et services de mobile money.
L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) entre dans une nouvelle ère dès le 30 septembre 2025. C’est ce jour-là que la Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané (PI-SPI), portée par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), devient officiellement opérationnelle. Cette infrastructure régionale ambitieuse vise à rendre les transferts et paiements interbancaires instantanés, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, dans les huit pays membres : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo. Jusqu’ici, les virements interbancaires pouvaient prendre entre 48 à 72 heures. Ce basculement vers du temps réel relève d’un besoin pressant de modernisation, d’inclusion financière et d’unification du paysage des paiements numériques.
Dès le 5 juin 2025, une phase de tests en conditions réelles avait été lancée avec un échantillon de clients issus d’institutions participantes, afin de valider la fiabilité, la sécurité et la fluidité du système. Cette phase préparatoire a permis à la BCEAO de calibrer les exigences techniques avant l’ouverture complète. Le PI-SPI n’est pas seulement un outil technologique, c’est une composante stratégique de la transformation numérique, de la réduction de l’usage du cash et du renforcement de la confiance dans les paiements numériques dans l’espace UEMOA.
Genèse, architecture et intégration
L’idée d’un système de paiement instantané interopérable dans l’UEMOA n’est pas nouvelle. Dès 2022, des travaux de modernisation des systèmes de paiement (via des plateformes comme SICA-UEMOA pour les virements interbancaires et STAR-UEMOA pour les paiements de gros montants) ont servi de fondations. Le PI-SPI s’inscrit dans cette trajectoire technologique et institutionnelle.
La phase pilote avait été lancée le 22 juillet 2024, avec 25 institutions financières ayant satisfait aux critères techniques de sécurité et d’interopérabilité dans plusieurs pays (banques, microfinance, opérateurs de monnaie électronique). Pendant cette période, les établissements participants ont testé la connectivité, la compatibilité des systèmes, la sécurité des flux et la rapidité des transactions.
À la date de déploiement officiel, 70 banques, 10 établissements de microfinance (SFD) et 6 émetteurs de monnaie électronique sont déjà intégrés à la plateforme, et leur nombre devrait croître progressivement. En Côte d’Ivoire, le directeur de l’APBEF (Association des Banques) souligne que désormais un usager pourra transférer de l’argent d’un compte bancaire vers un portefeuille mobile, ou entre deux opérateurs, sans friction.
Au Togo, 7 institutions financières y sont déjà inscrites : Banque Atlantique, BOA, COFINA, BIAT, CORIS Bank, Ecobank et Orabank.
Grâce à ce maillage, des transactions interopérables entre banques, fintechs, institutions de microfinance et services de monnaie électronique deviennent possibles sur une infrastructure centralisée. Cela met fin aux silos propriétaires, aux complications liées à la compatibilité, et aux délais d’attente.
Objectifs, promesses et avancées attendues
Le PI-SPI vise plusieurs objectifs clés pour l’UEMOA. En premier lieu, réduire l’usage du cash, qui demeure prépondérant dans nombre de pays de l’Union, ralentissant les transactions et augmentant les coûts de circulation monétaire. En promouvant des paiements numériques instantanés, le système cherche à faire du numérique une norme de paiement, plutôt que l’exception.
Ensuite, améliorer l’inclusion financière. En permettant des transferts instantanés entre comptes bancaires et portefeuilles mobiles, le PI-SPI ouvre l’accès aux services financiers aux populations non bancarisées. Serge Kouamelan note que cela empêche l’utilisateur d’avoir à multiplier les comptes ou plateformes pour effectuer des paiements.
Un autre objectif est la réduction des coûts de transaction. Le passage à une infrastructure centralisée interopérable devrait créer une concurrence plus saine entre opérateurs, pousser à la baisse des frais, et rationaliser le processus de paiement.
Le PI-SPI est aussi une réponse aux frictions interbancaires régionales : les virements entre institutions pouvaient prendre jusqu’à 48 à 72 heures. Dorénavant, ces opérations seront exécutées en temps réel, réduisant les délais pour les particuliers, entreprises et administrations.
Enfin, au plan macroéconomique, cette infrastructure renforce la modernisation numérique de l’économie UEMOA, facilite le commerce transfrontalier, dynamise le e-commerce, l’agritech, la fintech et favorise la fluidité des flux monétaires régionaux.
Limites, défis techniques et risques à surmonter
La mise en œuvre d’un système de paiement instantané interopérable à l’échelle régionale est un défi majeur. Le premier obstacle est technique : assurer une compatibilité entre des systèmes bancaires, des plateformes de mobile money, des fintechs, des microfinance, et des opérateurs de monnaie électronique, tout en garantissant la sécurité, la résilience, la capacité à absorber des pics de trafic.
La sécurité et la confiance sont essentielles : toute faille ou panne pourrait ruiner la crédibilité du système. L’expérience des tests en conditions réelles commencés le 5 juin 2025 avait pour but de tester précisément ces aspects (fiabilité, fluidité, sécurité).
Ensuite, l’inclusion effective dépendra de la connectivité, de l’accessibilité des services numériques, de la maîtrise par les usagers, de la sensibilisation, et de la réduction des barrières (coûts, visibilité, éducation financière). Sans prise en compte de ces facteurs, l’outil risquera d’être utilisé principalement par les utilisateurs déjà bancarisés ou connectés.
Un défi réglementaire et institutionnel demeure : harmoniser les cadres juridiques, les normes de paiement, les licences d’opérateur, les règles de conformité entre les pays membres. Il faudra un arbitrage entre les intérêts des opérateurs établis, les fintechs émergentes, les banques, et les petites institutions.
Le coût d’intégration pour certains acteurs, notamment les SFD ou petites fintech locales, pourrait être élevé, freinant leur adoption. Enfin, la transition vers ce nouveau mode de paiement pourrait perturber certains modèles économiques existants, par exemple, les revenus liés aux frais de transfert traditionnels.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que la PI-SPI représente une rupture structurelle pour le système financier ouest-africain. Dans une zone où les infrastructures de paiement sont souvent fragmentées en silos (banques, fintechs, mobile money isolés), cette plateforme interopérable abolit les frontières numériques entre les institutions. La conséquence directe est une fluidification des échanges financiers : les paiements interbancaires, les transferts de compte à portefeuille mobile ou l’inverse deviennent instantanés.
Pour les entreprises, cela réduit les délais de trésorerie, augmente la rapidité des transactions commerciales, facilite l’activité du e-commerce intra-régional, et ouvre la voie à l’automatisation des paiements (salaires, aides sociales, facturation). Pour les citoyens, cela signifie que l’envoi d’argent à un proche dans un autre pays de l’UEMOA sera aussi simple que l’envoi d’un message, sans coûts ou délais exorbitants.
Du point de vue monétaire, cette infrastructure réduit la dépendance aux liquidités physiques (cash), ce qui allège les coûts de production, de transport et de sécurité liés à la monnaie physique. Elle renforce également le contrôle de la BCEAO sur les flux monétaires, ce qui est un levier de souveraineté monétaire accru.
Dans le contexte ouest-africain, où l’inclusion financière reste encore partielle, et où les usages numériques progressent rapidement, l’arrivée de la PI-SPI est un catalyseur. Les pays de l’UEMOA peuvent rivaliser plus efficacement dans le numérique, attirer les fintechs, harmoniser les normes, et développer des écosystèmes régionaux de services financiers innovants.
À l’échelle de l’Afrique de l’Ouest, ce lancement pourrait inspirer d’autres zones monétaires ou blocs régionaux à adopter des infrastructures de paiement similaires, accélérant l’interconnexion continentale. Dans une ère où la rapidité, la sécurité, l’inclusion et la digitalisation conditionnent la compétitivité, le PI-SPI s’impose comme une pièce centrale de l’architecture monétaire de demain.