Ghana : l’allègement fiscal comme levier de la relance agro-industrielle
Les points clés :
Le taux de contribution de l’agriculture au PIB du Ghana est d’environ 20 %.
Le gouvernement prévoit d’exonérer les droits d’importation des machines de transformation agroalimentaire.
Des investisseurs majeurs (Dangote Group, Nu Agri Asia Corporation, Olam International) préparent des projets pour plus de 300 millions $ dans le secteur agro-industriel.
L’agriculture occupe une place centrale dans l’économie ghanéenne : elle représente environ 20 % du produit intérieur brut et mobilise une part significative de la main-d’œuvre, en particulier dans les zones rurales. C’est dans ce contexte que le gouvernement d’Accra a annoncé en octobre 2025 un plan ambitieux d’allègement fiscal destiné à stimuler la transformation agroalimentaire : l’exonération des droits d’importation sur les machines destinées à l’agro-industrialisation.
Cette mesure gouvernementale s’inscrit dans une logique plus vaste de passage d’un modèle dominé par l’exportation de matières premières à faible valeur ajoutée vers une stratégie d’industrialisation agricole, valorisant les chaînes de production locales, créant de l’emploi, et limitant la dépendance aux importations. Elle se traduit également par un discours encourageant des investisseurs internationaux à s’installer ou à développer leurs activités au Ghana.
Nature et portée de la mesure fiscale
Lors d’un dialogue régional sur l’agro-industrie tenu à Sunyani le 13 octobre 2025, le vice-ministre Sampson Ahi a réaffirmé que le gouvernement allait « à court terme » exonérer certaines machines d’agro-transformation de droits d’importation pour rendre l’investissement plus compétitif, faciliter l’accès aux équipements modernes et accroître l’efficacité de la chaîne de valeur. Par ailleurs, l’annonce initiale avait été faite en juillet 2025 par le président John Dramani Mahama lors du Dialogue national sur l’agro-industrie à Accra.
Selon l’article publié, cette exonération porte potentiellement sur tracteurs, systèmes d’irrigation, machines de transformation, équipements de tri et conditionnement. L’objectif affiché est de corriger les déséquilibres du secteur qui fonctionnait à moins de 40 % de capacité dans de nombreux cas, faute de machines, d’approvisionnement fiable ou de coûts élevés.
Investissements en cours et annonce de projets lourds
La dynamique se manifeste également dans les engagements industriels. En avril 2025, Dangote Sugar (groupe nigérian) a annoncé la création d’une sucrerie à Kwame-Danso (capacité de 12 000 tonnes de canne/jour) pour pallier une facture d’importation de sucre estimée à 162 millions de dollars par an. En septembre, Nu Agri Asia a promis un projet sucrier de 129 millions $ et Olam International 200 millions $ dans la fabrication de pâtes et d’aliments pour animaux. Ces projets sont significatifs dans l’optique d’intégration régionale et de développement des chaines de valeur africaines, et confirment que le Ghana souhaite s’affirmer comme plateforme agro-industrielle.
Les limites structurelles et défis à surmonter
Toutefois, en dépit de ce cadre favorable, des contraintes majeures persistent. Le premier frein identifié est l’accès aux matières premières. De nombreuses usines travaillent à moins de 40 % de leur capacité faute d’approvisionnement suffisant. Le secteur de la noix de cajou est emblématique : le principal transformateur, Usibras Ghana Limited (capacité installée 35 000 tonnes/an), a annoncé envisager une relocalisation en Côte d’Ivoire pour des raisons de coût de l’électricité, d’exportation défavorable et de difficulté d’approvisionnement. Cette réalité remet en question l’efficacité immédiate de la politique fiscale si les autres maillons, logistique, énergie, matière première, infrastructures, ne suivent pas.
Un autre défi réside dans la gouvernance, le financement des équipements et la formation du personnel pour absorber pleinement ces machines modernes. Enfin, la volatilité des marchés internationaux, l’accès au crédit et la compétitivité des coûts restent des obstacles.
Analyse : un virage stratégique mais conditionné
Le choix d’exonérer l’importation de machines de transformation agroalimentaire ouvre une voie stratégique claire vers la création de valeur locale dans un secteur jadis axé sur l’exportation de matières premières. Ceci s’inscrit pleinement dans les ambitions de l’AfCFTA (Zone de libre-échange continentale africaine) et des politiques nationales de valorisation des chaînes agricoles.
Pour le Ghana, cela signifie non seulement un renforcement de l’agro-industrie mais aussi un reflux de la facture d’importation alimentaire, une création d’emplois dans les zones rurales, une meilleure rémunération des producteurs et une cohérence accrue entre agriculture, industrie et services. Néanmoins, le succès dépendra de la capacité du pays à résoudre les blocages structurels : garantir l’approvisionnement en matières premières (car les installations sous-utilisées témoignent d’un déficit de cette chaîne), améliorer les infrastructures énergétiques et logistiques, mobiliser suffisamment de capitaux et garantir une politique durable de formation et d’encadrement technique.
En cela, la décision fiscale ne peut être perçue comme seule panacée mais comme un élément catalyseur. Pour qu’elle provoque la transformation attendue, elle doit être accompagnée par une gouvernance efficace, une stratégie industrielle globale et une mobilisation régionale.
Pourquoi est-ce important ?
Pour l’économie ouest-africaine, cette initiative ghanéenne revêt une dimension symbolique et stratégique. Elle montre qu’un pays de la région peut passer de l’agriculture de rente à l’agro-industrie de transformation, ce qui est clé pour la création de valeur locale, l’emploi, l’intégration régionale et la résilience économique face aux chocs extérieurs.
Elle souligne aussi que la politique fiscale peut jouer un rôle déterminant dans l’attractivité des investissements, mais que ce levier reste dépendant d’un ensemble plus large : infrastructures, matières premières, logistique, énergie, financement, formation.
Enfin, l’exemple du Ghana peut inspirer d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest : la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Togo, le Bénin ou encore le Mali, tous confrontés à la dualité entre production agricole et transformation, peuvent envisager des mesures similaires. L’enjeu est collectif : faire de l’agro-industrie un pilier de la croissance durable, réduire les importations, valoriser les chaines de valeur internes, renforcer la souveraineté alimentaire et stimuler l’industrialisation du continent.
Ainsi, ce virage fiscal n’est pas seulement une réforme nationale mais participe d’une transformation structurelle de l’économie ouest-africaine, où l’agriculture cesse d’être simple matière première pour devenir moteur d’industrialisation, de création d’emplois et de prospérité partagée.