Barrick Gold Corporation au Mali : la plus grande mine d’or du pays vacille sous le poids d’un contentieux
Les points clés :
La mine de Loulo‑Gounkoto, qui en 2024 produisait ~723 000 onces d’or soit près de 43 % de la production industrielle malienne, est en arrêt depuis janvier 2025 en raison d’un litige avec l’État malien.
Le contentieux repose sur un audit demandant des centaines de milliards de FCFA (300-600 Mds) et la mise en œuvre d’un nouveau code minier, sur fond de nationalisme des ressources au Sahel.
La reprise des opérations reste floue : même si une administration provisoire a été nommée et un redémarrage partiel évoqué, la production reste très réduite et l’impact sur Les finances publiques maliennes déjà lourd.
L’histoire du complexe aurifère de Loulo-Gounkoto au Mali illustre à la fois l’importance stratégique d’une mine pour un pays, et les fragilités résultant de tensions entre investisseurs internationaux et ambitions nationales de souveraineté. Depuis plus d’un an, le bras de fer opposant l’État malien à la major canadienne Barrick Gold a pris une ampleur qui va bien au-delà d’un simple dossier fiscal. Il s’agit d’un test de la relation entre ressources naturelles, financement extérieur et gouvernance dans un pays d’Afrique de l’Ouest confronté à des défis sécuritaires, économiques et institutionnels.
Un impact majeur sur la production aurifère malienne
En 2024, le complexe Loulo-Gounkoto figurait comme la plus grande mine d’or du Mali. Selon divers médias, la production annuelle s’est élevée à environ 723 000 onces d’or. Cette performance représentait un poids immense pour le pays dont la production industrielle est estimée à ~51 tonnes pour cette même année.
Or, dès janvier 2025, les opérations ont été suspendues après que l’État malien a procédé à la saisie de stocks d’or sur site et interdit l’exportation, motif invoqué : un audit réclamant entre 300 et 600 milliards de FCFA, ainsi qu’un désaccord sur la mise en œuvre du nouveau code minier adopté en 2023. Selon un document ministériel cité par Reuters, la production industrielle au Mali avait déjà chuté de 32 % en glissement annuel à fin août 2025 (≈26,2 tonnes contre 38-35 tonnes escomptées).
La mine étant sous l’emprise d’une administration provisoire depuis juin 2025, avec un redémarrage programmé mais encore très limité, l’incertitude demeure totale, tant pour Barrick que pour l’État malien.
Le contexte du différend : fiscalité, souveraineté et redéfinition des contrats
Le point de départ est le nouveau code minier malien de 2023 qui a relevé les taxes, augmenté la participation de l’État et imposé des exigences accrues en matière de contenu local. Barrick, de son côté, s’appuie sur des conventions antérieures avec des clauses de stabilité fiscale jusqu’en 2032. Faute d’accord, l’État malien a saisi l’or stocké et nommé un administrateur provisoire.
Derrière cette dynamique, on lit un phénomène plus large au Sahel : la volonté d’exercer une plus grande maîtrise sur les ressources naturelles, dans un contexte de pression sur les caisses publiques et de retrait progressif de certains partenaires étrangers.
Les conséquences économiques et financières
Pour le Mali, la suspension de Loulo-Gounkoto est un coup dur. Non seulement la production d’or, source majeure de devises, chute, mais des milliards de francs CFA de recettes d’exploitation, d’emplois et de sous-traitance sont suspendus. Pour Barrick, l’impact financier est secondaire mais symbolique : cela pourrait remettre en cause sa position de n°2 mondial de l’or en 2025.
Dans son update, Barrick précise que l’ordre d’arrêt d’exportation l’empêche de réaliser la pleine valeur de production et qu’il envisage l’arbitrage international via le Centre pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).
Un redémarrage encore incertain
Le 10 octobre 2025, Reuters rapporte que les opérations pourraient redémarrer le 15 octobre sous la coupole d’une administration provisoire, après règlement des dettes de certains sous-traitants. Toutefois, le niveau de production prévu reste faible (5-6 tonnes pour l’année au lieu des ~19-21 tonnes habituelles), dévoilant la fragilité de l’entreprise.
Pourquoi est-ce important ?
L’enjeu dépasse largement la simple mine : il cristallise les rapports entre ressources naturelles en Afrique de l’Ouest, investisseurs internationaux et souveraineté économique nationale. Pour le Mali, garantir la stabilité de son secteur minier est vital : l’or représente une part structurante des recettes d’exportation, des emplois et de la fiscalité. La chute de la production menace les objectifs budgétaires, la capacité de financement de l’État et l’attractivité du pays pour les investissements.
Pour le secteur minier africain plus largement, ce dossier indique que les compagnies étrangères opèrent désormais dans un environnement plus exigeant : nouvelles législations, exigences accrues de contenu local, ressources à plus forte valeur ajoutée pour les États. Cela pourrait déplacer le modèle vers une forme de « ressource souveraine » où l’investissement international n’est plus synonyme quasi automatique d’exploitation fluide.
Enfin, pour la région ouest-africaine, l’affaire Loulo-Gounkoto est un signal fort que la gouvernance, la contractualisation claire, la gestion des différends et la transparence sont autant de piliers de l’attractivité économique. Une impasse prolongée comme celle-ci peut faire fuir les capitaux, ralentir les projets et affaiblir la chaîne d’investissement continentale.
En résumé, ce conflit illustre que l’Afrique de l’Ouest doit consolider ses cadres institutionnels, équilibrer ses partenariats avec les investisseurs et évoluer vers des modèles d’exploitation qui renforcent réellement la valeur locale. La stabilisation de Loulo-Gounkoto serait non seulement une victoire pour le Mali, mais un cas d’école pour la sous-région.