Ghana : le commerce transfrontalier informel avec le Burkina, la Côte d’Ivoire et le Togo atteint des chiffres records
Les points clés :
Le commerce informel entre le Ghana et ses voisins (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Togo) a atteint 7,4 milliards de cedis (≈ 384,1 milliards FCFA) au 4ᵉ trimestre 2024, soit 4,3 % du commerce total ghanéen.
Dans ces échanges informels, le Ghana a connu un excédent de ~29,9 milliards FCFA avec le Burkina Faso, ~19,6 milliards FCFA avec la Côte d'Ivoire, mais un déficit d’environ 28 milliards FCFA avec le Togo.
Les produits alimentaires représentent près de 50 % des importations informelles et 41 % des exportations, soulignant leur rôle central dans la sécurité alimentaire transfrontalière.
Dans la sous-région ouest-africaine, l’ombre du commerce informel plane sur les échanges frontaliers. Au Ghana, l’enquête nationale sur le commerce transfrontalier informel (ICBT), publiée par le Ghana Statistical Service (GSS), jette une lumière inédite sur ces flux non officiels avec le Burkina Faso, le Togo et la Côte d’Ivoire. Le chiffre clé est impressionnant : 7,4 milliards de cedis soit environ 384,1 milliards FCFA pour le seul 4ᵉ trimestre de 2024. Cette part représente 4,3 % du commerce total du Ghana sur cette période.
Cela signifie que sur le plan statistique, les échanges officiels ne capturent pas l’ensemble des flux économiques. Lorsque les données informelles sont intégrées, l’image devient plus complète. Le rapport du GSS (2024 Trade Full Year Report) mentionne que les statistiques détaillent désormais les échanges avec les pays voisins.
Pour le Ghana, cette enquête révèle également les équilibres commerciaux bilatéraux informels : un excédent d’environ 576 millions de cedis (~29,9 milliards FCFA) avec le Burkina Faso, un excédent de 378 millions de cedis (~19,6 milliards FCFA) avec la Côte d’Ivoire, et un déficit de 539 millions de cedis (~28 milliards FCFA) face au Togo. En proportion, le commerce informel représentait 61,2 % du commerce total avec le Togo, 55,7 % avec la Côte d’Ivoire et 37,1 % avec le Burkina Faso.
La nature des biens échangés n’en est pas moins révélatrice. Du côté des exportations informelles ghanéennes : boissons alcoolisées (~187 millions de cedis, ~9,7 milliards FCFA), boissons gazeuses (~170 millions de cedis, ~8,8 milliards FCFA), essence et vêtements d’occasion. En importations informelles, l’huile de cuisson (~270 millions de cedis, ~14 milliards FCFA), les matelas (~171 millions de cedis, ~8,9 milliards FCFA), le riz (~143 millions de cedis, ~7,4 milliards FCFA) et le bétail (~159 millions de cedis, ~8,3 milliards FCFA). Les produits alimentaires représentaient 49,6 % des importations informelles et 41 % des exportations informelles.
Sur le plan géographique, la région du Haut-Ghana oriental s’impose comme le corridor principal du commerce informel, avec exportations estimées à 1,27 milliard de cedis (~65,9 milliards FCFA), quinze fois plus que dans la région des Savanes (~82,9 millions de cedis, ~4,3 milliards FCFA). Le poste frontalier de Paga (frontière Ghana-Burkina) est mis en évidence comme le point de passage le plus actif pour les importations informelles.
Du point de vue socio-démographique, l’enquête note que parmi les transporteurs d’exportation informelle, 65,7 % sont des hommes, tandis que les femmes constituent 41,3 % des transporteurs d’importation, principalement dans les régions de la Savane, de l’Ouest et du Nord. Les moyens de transport privilégient les motos et tricycles, traduisant une dynamique à petite échelle et de proximité.
Ces résultats invitent à plusieurs réflexions sur les politiques publiques : d’une part, reconnaître officiellement l’importance de ces flux informels pour ajuster les statistiques nationales et les politiques commerciales ; d’autre part, réfléchir à leur régularisation ou formalisation progressive afin d’accroître les recettes fiscales, améliorer la protection sociale des acteurs, et réduire la vulnérabilité liée à la nature informelle de ces échanges. Des programmes comme l’ECO-ICBT de la CEDEAO ont justement pour objet de suivre et structurer les données sur ce commerce.
Néanmoins, ce fort volume de commerce informel suscite aussi des inquiétudes : évasion fiscale, concurrence avec le secteur formel, contournement des normes sanitaires ou phytosanitaires, et fragilité des chaines de valeur. Une étude sur le commerce informel de poisson entre Ghana‐Togo/Benin souligne que les intermédiaires informels opèrent dans un cadre souvent vulnérable, avec un accès limité au crédit et des conditions structurelles difficiles.
En conclusion, l’enquête ghanéenne confirme que le commerce informel entre États voisins n’est pas marginal : il représente un pan important de l’économie frontalière, à la fois en termes de volume, d’emplois et d’interdépendance. Pour les États, il s’agit d’intégrer cette réalité dans leurs stratégies de développement, de logistique, d’intégration régionale et de compétitivité.
Pourquoi est-ce important ?
L’impact de ces échanges informels sur l’économie ouest-africaine est multiple. Premièrement, ils reflètent une interdépendance sociale et économique des zones frontalières, souvent plus dynamique que les flux officiels. Pour les populations locales, ces échanges sont une source de revenus, de subsistance et d’accès aux biens dont le marché formel ne répond pas toujours. Deuxièmement, leur reconnaissance statistique améliore la visibilité des économies frontalières, ce qui permet une meilleure planification des infrastructures, des douanes, des politiques d’appui aux PME et des transferts de revenus dans le cadre de la ZLECAf et de l’intégration régionale.
Troisièmement, du point de vue des États, ignorer ce commerce informel revient à laisser une part importante de l’activité économique hors contrôle (sécurité, normes, fiscalité). Formaliser ou réguler ces flux peut accroître les recettes publiques, améliorer les conditions de travail et assurer la conformité aux normes sanitaires et environnementales. Enfin, sur la scène internationale, la compétitivité des chaînes de valeur régionales dépend aussi de la fluidité des échanges frontaliers, formels et informels. Un corridor frontaliers bien structuré, transparent et sécurisé est un atout majeur pour l’industrialisation et l’exportation intra-Afrique.
Pour le Ghana et ses voisins, le Togo, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, l’enjeu est de transformer ces flux informels en leviers de croissance inclusive. Il s’agit d’outiller l’infrastructure logistique, d’accroître les capacités de transformation locale, de soutenir les acteurs informels (notamment les femmes), et de renforcer la gouvernance transcendante des frontières. À l’heure où la sous-région vise à capter l’avantage industriel offert par l’Afrique, les échanges informels ne sont pas à marginaliser, mais à reconnaître, accompagner et intégrer dans la chaîne de valeur régionale.