1,3 milliard USD : le Nigeria attire la Chine dans le lithium et mise sur la révolution verte africaine
Les points clés :
Le Nigeria a enregistré plus de 1,3 milliard USD (≈ 731 milliards FCFA) d’investissements chinois dans le traitement du lithium depuis 2023.
Désormais, le lithium figure parmi les piliers de la diversification économique nigériane, visant à réduire sa dépendance au pétrole.
Le ministre nigérian des Mines appelle à une approche continentale pour transformer localement les minerais stratégiques avant exportation.
L’Afrique, souvent associée à l’extraction brute de matières premières, pourrait changer de rôle. Au Nigeria, cette métamorphose est engagée avec force. Depuis septembre 2023, des entreprises chinoises ont injecté plus de 1,3 milliard USD dans le secteur de la transformation du lithium nigérian. Ce montant, annoncé par le ministre des Mines, Dele Alake, revêt un double symbole : celui d’un changement de cap dans la politique industrielle nigériane et celui d’un renversement de la chaîne de valeur dans les minerais africains.
Le Nigeria entend ainsi briser plusieurs logiques traditionnelles. D’une part, il cherche à s’affranchir de la dépendance pétrolière, historiquement dominante dans son économie. D’autre part, il s’efforce de capter non seulement l’extraction, mais aussi la transformation et la valeur ajoutée locale. Comme l’indique le ministre Alake : « Depuis l’arrivée de cette administration, des entreprises chinoises comme Canmax Technology, Jiuling Lithium, Avatar New Energy Nigeria et Asba ont investi plus de 1,3 milliard USD dans le traitement du lithium. » Ce traitement inclut non seulement le raffinage, mais aussi le transfert technologique, le développement d’usines locales et la montée en compétences des ingénieurs nigérians.
Le choix du lithium n’est pas anodin. Ce métal, indispensable aux batteries des véhicules électriques et aux systèmes de stockage d’énergie, est devenu stratégique dans la transition énergétique mondiale. Le Nigeria, fort de gisements prometteurs dans les États du centre et du nord, entend tirer parti de cette dynamique. Selon un rapport de “Manufacturing Africa”, plusieurs projets chinois de transformation et de raffinage de lithium sont en cours dans le pays.
Au plan réglementaire et institutionnel, le ministère des Mines du Nigeria a multiplié les réformes. Alake mentionne l’introduction d’un cadastre minier électronique (eMC+), du système de gestion des ressources minérales (NMRDS), ainsi que des dispositifs de sécurité numérique et physiques (Mining Marshals) pour combattre l’exploitation non autorisée. Ces mesures visent à améliorer le climat d’investissement, à renforcer la transparence et à garantir que l’exploitation des ressources soit bénéfique pour l’économie locale.
Cependant, ce changement d’orientation s’inscrit aussi dans un contexte de vigilance. Une enquête de l’Associated Press mettait en garde, en avril 2024, contre l’exploitation illégale de lithium au Nigeria, souvent menée dans des conditions dangereuses. Cela rappelle que le défi ne se limite pas à attirer des investissements, mais aussi à les encadrer pour éviter des externalités négatives (environnement, travail des enfants, contournement fiscal).
Sur le plan économique, ce gros volume d’investissements chinois indique un repositionnement du Nigeria dans les chaînes de valeur mondiales. Il ne s’agit plus seulement d’exporter du minerai brut, mais de participer aux stades de transformation qui génèrent plus d’emplois, plus de valeur et une meilleure insertion dans l’économie globale. Le fait que ces investissements soient destinés à la transformation locale est un signal fort.
Mais tout n’est pas gagné : la maturité du secteur, la qualité des infrastructures, la gestion des impacts environnementaux, le renforcement des compétences locales et la gouvernance restent des défis. Le rapport Manufacturing Africa soulignait déjà en 2023 que la transformation minière est un processus complexe, nécessitant non seulement des capitaux, mais aussi de la technologie, des compétences et une chaîne logistique fiable.
En résumé, le Nigeria se positionne désormais comme l’un des nouveaux hubs africains du lithium, à l’instar du Zimbabwe ou du Mali. Le rôle de la Chine, par ses investissements, est décisif mais il s’agit pour le pays africain d’en tirer un réel bénéfice. Comme le souligne le ministère, « notre vision n’est pas seulement d’extraire, mais de construire une chaîne de valeur compétitive pour la transition propre, la création d’emplois et l’industrialisation ».
Pourquoi est-ce important ?
Cette dynamique revêt plusieurs implications majeures pour l’économie ouest-africaine et au-delà. Tout d’abord, elle illustre la montée en puissance des ressources critiques (comme le lithium) dans la reconfiguration des économies africaines. Le fait que le Nigeria attire plus d’un milliard USD d’investissements dans un métal stratégiquement lié à la transition énergétique marque un tournant. Pour les pays de l’Afrique de l’Ouest, cela signifie que les minerais ne sont plus seulement des ressources d’exportation brute, mais des leviers potentiels d’industrialisation.
Ensuite, cette démarche peut inspirer d’autres pays de la sous-région à revoir leur politique minière. Si le Nigeria parvient à renforcer ses capacités de transformation locale, les États voisins pourraient être incités à faire de même : protéger la valeur ajoutée, renforcer la gouvernance, attirer des investisseurs étrangers avec des conditions avantageuses tout en veillant à l’environnement et aux populations. Le rôle du Africa Minerals Strategy Group (AMSG), piloté par le ministre Alake, témoigne de cette ambition continentale.
Par ailleurs, cet afflux d’investissements chinois montre que l’Afrique peut être un acteur crédible dans les chaînes technologiques mondiales, notamment celles liées aux énergies propres. C’est une chance pour la sous-région d’attirer des capitaux, de créer des emplois qualifiés, d’augmenter les recettes publiques et de diversifier ses économies.
Enfin, l’importance de bonnes institutions, de régulations claires et d’une gouvernance rigoureuse est mise en exergue. Le passage d’un modèle d’exportation de matières premières vers un modèle de transformation locale exige un environnement d’affaire stable, des infrastructures fiables, des compétences à renforcer. C’est là que réside le défi pour le Nigeria et ses voisins.
Pour l’Afrique de l’Ouest, le message est clair : les minerais stratégiques comme le lithium peuvent devenir un moteur de croissance inclusive si les pays savent structurer leur politique, améliorer la gouvernance, intégrer la chaîne de valeur et éviter de rester piégés dans l’« exportation de matières premières sans transformation ». Le cas nigérian, avec ces investissements chinois massifs, est un signal puissant pour la sous-région.