Sénégal : plus de 6 milliards FCFA injectés dans la microfinance pour relancer le crédit productif


Les points clés :

  • Le gouvernement sénégalais a débloqué plus de 6 milliards FCFA au profit de 18 institutions de microfinance, dans le cadre du programme Pacte pour l’inclusion financière et universelle (Pactifu).

  • Cet appui vise à orienter le crédit microfinancier vers les secteurs de production (agriculture, élevage, pêche) et non plus seulement vers le petit commerce.

  • Le secteur sénégalais de la microfinance affiche un encours estimé à 765,6 milliards FCFA, témoignant de sa résilience malgré les tensions économiques.


Le Sénégal vient d’initier une nouvelle phase dans sa politique d’inclusion financière avec un geste emblématique : l’octroi, par le ministère de la Microfinance et de l’Économie sociale et solidaire, d’une enveloppe supérieure à 6 milliards de FCFA à 18 institutions de microfinance (IMF) dans le cadre du Pacte pour l’inclusion financière et universelle (Pactifu). L’annonce, relayée le 21 octobre 2025, intervient dans un contexte de redéfinition des usages du crédit au sein du pays : il ne s’agit plus seulement de soutenir la consommation ou le commerce, mais d’embrayer vers un crédit productif et structurant.

Dans les faits, le montant attribué s’élève à environ 6,826 milliards FCFA selon le quotidien sénégalais Le Dakarois, avec 18 conventions signées et six institutions recevant 1,559 milliard FCFA sous forme de chèques symboliques lors de la cérémonie. Le ministère a ainsi impulsé un virage stratégique : des prêts entre 2 et 10 millions FCFA seront désormais accessibles aux jeunes et aux femmes, ciblés pour mener des activités productives dans les filières agricoles, d’élevage et de pêche. Cela marque un changement fort dans la logique de la microfinance sénégalaise, traditionnellement orientée vers le petit commerce.

Ces mesures s’inscrivent dans un secteur qui, selon les autorités, présente un encours global de crédits établi à 765,6 milliards FCFA. Cet indicateur traduit la taille et la résilience du secteur des Systèmes financiers décentralisés (SFD) au Sénégal, même dans un contexte économique tendu.

Pour comprendre les implications de cette démarche, il faut d’abord replacer le contexte. Le secteur de la microfinance au Sénégal fait partie de l’écosystème financier plus vaste de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Selon un rapport de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), à fin juin 2024, l’encours des dépôts collectés auprès des SFD de l’UEMOA s’élevait à 2 416,7 milliards FCFA, avec une progression annuelle de +10,7 %. Le Sénégal contribue pour une part non négligeable à cette dynamique.

Toutefois, alors que l’épargne mobilisée progresse, l’octroi du crédit a connu des difficultés. Par exemple, au premier trimestre 2025, l’encours de crédits des SFD sénégalaises a diminué de 14,1 % par rapport au trimestre précédent, pour s’établir à 664,9 milliards FCFA. Cette contraction soulève des interrogations sur la capacité de financement productif du secteur.

C’est dans ce contexte que l’injection de plus de 6 milliards FCFA prend tout son sens : le gouvernement entend non seulement stopper le recul du crédit, mais orienter celui-ci vers des activités économiques à haute valeur ajoutée et susceptibles de générer des revenus durables. Le Pactifu se structure autour de cette idée de « crédit productif ». L’accent mis sur l’agriculture, l’élevage et la pêche est un signal clair : les autorités veulent lier inclusion financière et développement réel des filières.

Un autre aspect clé de cette initiative est la réforme du cadre réglementaire. Le ministère a annoncé l’ouverture des travaux pour l’application d’une nouvelle loi uniforme sur la microfinance. Ce nouveau cadre vise à renforcer la gouvernance, la transparence, la conformité des institutions et donc la confiance des acteurs publics et privés. L’Association des professionnels des institutions de microfinance (APIM) s’est engagée à appuyer cette mutation du secteur.

En somme, le Sénégal effectue un changement de cap majeur dans sa microfinance : passer d’un secteur orienté à la consommation et aux petits crédits vers un financement qui structure l’économie, soutient les jeunes et les femmes, et produit des effets tangibles en termes de croissance inclusive. Le secteur, qui mobilise déjà d’importantes masses de capitaux et de dépôts, se voit maintenant redirigé vers des objectifs de production et de transformation.

Pourquoi est-ce important ?

L’injection de plus de 6 milliards de FCFA dans le secteur de la microfinance au Sénégal va bien au-delà d’une allocation budgétaire. Elle manifeste une stratégie plus large d’inclusion économique, de transformation structurelle et de réduction des inégalités. Premièrement, en focalisant le crédit sur l’agriculture, l’élevage et la pêche, le gouvernement agit directement sur des filières essentielles pour l’emploi et la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest. En faveur des jeunes et des femmes, le financement devient un levier d’égalité et de participation économique.

Deuxièmement, dans un contexte où les économies de la zone UEMOA cherchent à diversifier leurs sources de croissance et à renforcer leur résilience face aux chocs externes, la microfinance joue un rôle stratégique. Elle permet de financer les acteurs « non bancarisés », de donner un accès au crédit à des populations exclues et de dynamiser les territoires. En renforçant sa régulation et en orientant le crédit vers la production, le Sénégal prépare un terrain favorable pour que la microfinance ne soit plus seulement un substitut bancaire, mais un moteur de développement économique.

Troisièmement, cette initiative est une invitation aux autres pays ouest-africains. La réorientation de la microfinance vers des secteurs productifs illustre une voie complémentaire à l’investissement public ou aux grands projets d’infrastructures. Elle montre qu’il est possible de mobiliser des capitaux à l’échelle locale, de structurer des chaînes de valeur et d’accroître la valeur ajoutée. Dans une région où les économies restent fragiles et dépendantes de quelques secteurs, le renforcement de la microfinance facilite l’intégration dans les marchés, l’industrialisation légère et la création d’emplois.

Enfin, sur le plan de la gestion des risques économiques, cette stratégie permet de mieux répartir les sources de crédit, de diminuer la vulnérabilité des petites entreprises aux chocs et d’améliorer l’inclusion financière, ce qui est un facteur de stabilité macroéconomique. Avec plus de 765 milliards FCFA d’encours crédit dans ce secteur, chaque point de performance compte pour l’économie nationale.

En résumé, cette injection et ce changement d’orientation dans le secteur de la microfinance au Sénégal constituent un tournant pour une finance plus utile, plus ciblée, plus ancrée dans les enjeux de développement réel. Pour l’Afrique de l’Ouest, c’est une voie vers une croissance plus inclusive, mieux distribuée et plus proche des populations.

Précédent
Précédent

Forum GFRAS 2025 : le Sénégal mise sur le conseil agricole pour asseoir sa souveraineté alimentaire

Suivant
Suivant

1,3 milliard USD : le Nigeria attire la Chine dans le lithium et mise sur la révolution verte africaine