Sénégal : l’eurobond 2028 s’envole après l’ouverture du dossier “dette cachée” au FMI, un regain de confiance sur les marchés
Un regain de confiance sur les marchés (Crédit image : Easy Services 2020)
Les points clés :
L’eurobond Sénégal 2028 (coupon 4,75 %) a bondi de +3,24 % en une séance, atteignant 90,15 sur le marché de Francfort, soit une progression de près de 17 % depuis juillet.
Le FMI a inscrit à son agenda le dossier de « misreporting » sénégalais, ouvrant la perspective d’une dérogation au remboursement anticipé.
Les autorités sénégalaises, assistées par une mission du FMI (19-26 août), ont révisé la dette publique de 74,4 % à 111 % du PIB à fin-2023, avec un ratio estimé à 118,8 % à fin-2024.
Le 3 octobre 2025, les marchés financiers ont réagi fortement à l’annonce du FMI intégrant le dossier de la dette cachée du Sénégal au menu de son conseil d’administration. L’eurobond 2028, déjà fragilisé par une série de doutes et de ventes, a enregistré un rebond marqué : +3,24 % en une journée, passant à 90,15. Ce niveau est d’autant plus significatif qu’il compose une remontée depuis un plancher touché le 10 juillet, où le titre cotait autour de 77-78. Cette dynamique illustre que les investisseurs commencent à parier sur un compromis raisonnable plutôt que sur un défaut pur et simple. Reuters rapporte que l’eurobond était “Africa’s sole loser” parmi les titres souverains en septembre, avant que l’espoir d’un complet arrangement relance l’intérêt.
Certains commentateurs soulignent que cette remontée est aussi une réaction anticipée à l’introduction probable d’une waiver (dérogation) du FMI, permettant à Dakar de solder ses obligations antérieures sans déclencher un défaut technique. Ce signal réduit une partie du risque de crédit perçu, du moins à court terme.
Le scandale du misreporting : chiffres, révélations et conséquences
Le point de départ de la crise se situe dans la révélation par la Cour des comptes sénégalaise, en février 2025, de fausses déclarations budgétaires et de dettes non inscrites dans les comptes officiels. Cette révélation a mis sous tension les relations avec le FMI, qui avait déjà suspendu un programme de 1,9 milliard USD en octobre 2024.
Lors de la mission du FMI du 19 au 26 août 2025, les équipes ont collaboré avec les autorités pour réconcilier les chiffres. À cette occasion, le stock de dette du gouvernement central a été révisé de 74,4 % à 111 % du PIB à fin-2023, et estimé à 118,8 % à fin-2024 après intégration des arriérés découverts.
Parmi les mesures proposées figure la centralisation de la gestion de la dette, la consolidation des comptes de l’État dans un Trésor Unique (TSA), la création d’une base de données centralisée de la dette, le renforcement du Comité national de la dette publique, et un audit exhaustif des arriérés.
L’impact sur la notation souveraine est tangible : S&P a ramené la cote du Sénégal à B- avec perspective négative, pointant la hausse de l’endettement et la fragilité face aux chocs.
Vers une dérogation et un nouveau programme
Le cœur du suspense tient à la décision du conseil d’administration du FMI : accorder ou non une dérogation (waiver) au Sénégal pour clore le dossier misreporting sans exiger un remboursement anticipé. Si cette mesure est validée, Dakar pourra poursuivre, dans des conditions assainies, un nouveau programme de soutien. Reuters indique que les discussions sont actives et que le conseil se réunira prochainement pour examiner la question.
La mission du FMI a qualifié la coopération sénégalaise de “productive” et salué les mesures déjà entamées. Elle a également fait état d’intentions claires de Dakar de solliciter un nouveau programme IMF aligné sur le Plan de Relance Économique et Social et Vision 2050.
Cependant, l’acceptation de ce nouveau cadre dépend de la mise en œuvre crédible et rapide des réformes exigées, ce qui demeure l’étape la plus délicate.
Un cas pilote pour l’Afrique de l’Ouest ?
Le cas sénégalais revêt une dimension symbolique pour toute l’Afrique subsaharienne. Il met en lumière la pression sur les gouvernements pour publier des comptes transparents, l’exigence croissante des créditeurs internationaux et la montée des standards de responsabilité. Si le FMI accorde à Dakar une issue favorable, cela pourrait servir de modèle de sortie de crise pour d’autres pays aux dettes opaques.
Mais plusieurs voix au FMI restent prudentes. Comme le souligne Julie Kozack, le soutien ne sera accordé qu’après validation du dossier et des correctifs effectifs. La priorité reste de « soutenir le Sénégal » avant d’en tirer des leçons pour la région.
Des défis majeurs devant Dakar
Le retour à la confiance n’est pas automatique. Le Sénégal doit prouver qu’il peut mettre en œuvre les réformes structurelles : centralisation des dettes, audits crédibles, transparence budgétaire, réduction des déficits non signalés. Le spectre d’une rechute, si les réformes tardent ou sont incomplètes, plane sur la crédibilité de l’État.
Sur le front économique, le pays fait face à une contrainte de liquidité importante : il devra gérer le calendrier des remboursements d’eurobonds ainsi que le financement de ses dépenses courantes dans un contexte de coûts élevés. De même, l’anticipation d’un nouveau programme impose la rédaction d’un plan de politique économique stable et robuste, susceptible de résister aux chocs.
Du point de vue financier, les marchés restent vigilants : une seule remise en question du plan pourrait entraîner des ventes massives sur les titres souverains, alimentant un effet domino négatif.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que ce scénario illustre une dynamique cruciale pour l’Afrique de l’Ouest : l’interdépendance entre crédibilité budgétaire, accès aux marchés de capitaux et gouvernance financière. Dakar est mis à l’épreuve, non seulement pour remonter la pente, mais pour démontrer qu’une économie africaine peut restructurer sa dette sans céder au défaut complet.
Si le Sénégal réussit à obtenir la dérogation du FMI, à stabiliser ses comptes et à mettre en place ses réformes, cela constituera une feuille de route pour d’autres pays confrontés à des audits de dette, des allégations de dissimulation ou des crises de réputation. On pense notamment à des États comme Côte d’Ivoire, Ghana ou même des pays de la CEDEAO où les dettes cachées (off-balance) sont un risque latent.
Mais si cette tentative échoue, elle renforcera la méfiance des marchés, augmentera le risque souverain pour la région, et rendra plus coûteux l’accès aux financements. L’arbitrage que fait Dakar entre capitulation et rigueur déterminera le coût d’emprunt futur, l’accès au crédit, et la marge de manœuvre de politiques publiques.
En dernier lieu, cette affaire rappelle qu’au XXIᵉ siècle, l’intégrité des données macroéconomiques n’est plus une question technocratique : elle conditionne l’existence même d’un État crédible sur les marchés. Dans un contexte de fragilité globale, l’Afrique, et l’UEMOA en particulier, observe de près ce cas.