Ayant obtenu un brevet OAPI pour un pesticide bio à base de neem : le Togo innove et vise l’agro-écologie à grande échelle


Les points clés :

  • L’Institut Togolais de Recherche Agronomique (ITRA) a obtenu le brevet d’invention n° 21801 de Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) pour un pesticide 100 % naturel à partir de feuilles de Azadirachta indica (« neem »).

  • Les dégâts dus aux mirides du cacaoyer en Afrique de l’Ouest sont estimés entre 30 % à 40 % sans contrôle ; la solution de l’ITRA vise cette cible.

  • Cette innovation ouvre la voie à une production locale de biopesticide, à une réduction des intrants chimiques et un potentiel de valeur ajoutée et d’exportation.


L’agriculture togolaise franchit un nouveau palier dans l’innovation phytosanitaire. L’ITRA vient de se voir attribuer par l’OAPI le brevet d’invention n° 21801, portant sur un pesticide « 100 % naturel à base de feuilles de neem », développé par le chercheur entomologiste Moubarak Kondow. Cette distinction formelle marque une étape significative : elle protège juridiquement l’innovation, et crée le cadre pour un passage de la recherche à l’industrie.

Le contexte technique derrière cette innovation mérite d’être explicité. Les vergers de cacao en Afrique de l’Ouest sont assaillis par les mirides (essentiellement Sahlbergella singularis et Distantiella theobroma). Ces insectes suceurs causent entre 30 % et 40 % de pertes de rendement lorsque les vergers ne sont pas protégés. Jusqu’alors, le recours principal se faisait aux pesticides chimiques, coûteux, potentiellement nocifs pour l’environnement et pour la santé.

C’est précisément sur ce terrain que l’ITRA a développé sa solution : un biopesticide tiré du neem, arbre traditionnellement reconnu pour ses propriétés insecticides. Selon le chercheur Kondow, « ce brevet vient protéger notre innovation contre la copie et garantit que les investisseurs pourront bénéficier d’un retour sur investissement sans risque de concurrence déloyale ». L’innovation a été portée par l’Unité de Valorisation des Innovations Agricoles et Agroalimentaires (UVI2A) de l’ITRA, créée en 2022 dans le cadre du projet VaRRIWA, avec l’appui de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et de l’Union européenne.

Ce brevet signifie plusieurs choses : d’une part, l’Afrique de l’Ouest se positionne dans un domaine sensible de la recherche appliquée agro-écologique. D’autre part, cela offre un levier pour mobiliser des bailleurs, des investisseurs et des opérateurs économiques afin de transformer cette solution en production industrielle. Le potentiel est réel pour le Togo : produire un biopesticide local destiné aux plantations de cacao (et peut-être d’autres cultures) peut créer des emplois, réduire les importations d’intrants chimiques, et générer des revenus d’exportation.

Mais les défis restent nombreux. Le passage à l’industrialisation implique des moyens de production, des partenariats privé-public, une distribution efficace, la formation des agriculteurs, la mise en œuvre de la réglementation (homologation, sécurité, traçabilité) et la capacité à concurrencer les produits chimiques existants. Le rapport national pour le Togo note que le cadre légal en matière de pesticides et de lutte biologique reste encore lacunaire.

Sur le plan scientifique, l’usage du neem comme pesticide et biopesticide est déjà documenté : des formulations granulaire à base d’extrait de graines de neem ont fait l’objet de brevets (ex. WO2005096825A1). L’originalité ici est l’application locale dans un contexte ouest-africain, adaptée aux ravageurs du cacao, ce qui renforce la pertinence régionale.

En termes d’impact, ce projet montre comment la recherche locale peut se traduire par des biens économiques stratégiques, alignés avec les objectifs d’agro-écologie, de réduction des intrants chimiques, et de valorisation agricole.

Pourquoi est-ce important ?

Cette innovation togolaise revêt une importance multiple pour l’économie ouest-africaine. Premièrement, elle incarne une dynamique d’industrialisation légère de l’agriculture : au lieu d’être simple matière première, le cacao devient filière équipée d’un intrant local à haute valeur ajoutée. Deuxièmement, en réduisant la dépendance aux pesticides chimiques et en proposant une alternative biologique, elle s’inscrit dans les enjeux de durabilité, de santé publique et de respect de l’environnement, des facteurs de compétitivité croissante sur les marchés internationaux. Troisièmement, elle illustre la pertinence d’un travail de recherche-développement local, protégé par une institution régionale (OAPI), ce qui ouvre une voie pour d’autres innovations africaines dans les filières agricoles. Enfin, pour les pays de l’Afrique de l’Ouest, cette initiative renforce l’idée que l’innovation ne vient pas uniquement de l’extérieur : les chercheurs, les institutions nationales et la propriété intellectuelle peuvent jouer un rôle décisif dans la transformation des secteurs agricoles.

En conclusion, le brevet obtenu par l’ITRA est plus qu’un document administratif : il est un signal d’espoir que l’agro-écologie africaine peut se doter de solutions adaptées, compétitives et durables, offrant à la sous-région un pas concret vers une agriculture plus performante, plus autonome et plus intégrée aux chaînes de valeur globales.

Précédent
Précédent

Certification gratuite en ligne du FAO : un levier stratégique pour les professionnels africains des forêts et de la transparence climatique

Suivant
Suivant

Forum GFRAS 2025 : le Sénégal mise sur le conseil agricole pour asseoir sa souveraineté alimentaire