Mines et banques locales en Afrique de l’Ouest : la nouvelle donne pour capter la rente minière
Les points clés :
Les acteurs financiers ouest-africains lancent des programmes d’appui au contenu local dans les mines, comme l’AFG Bank Mali avec son « Local Content Champion Program » (100 milliards FCFA).
La cession de la mine d’or de Tongon mine (Côte d’Ivoire) à un groupe panafricain, Atlantic Group, marque le transfert d’un actif majeur à un investisseur local pour 305 millions US$.
Cette tendance reflète l’émergence d’un nouveau modèle où les ressources naturelles deviennent un levier de développement local, de souveraineté économique et de chaîne de valeur régionale, dans un secteur longtemps dominé par les multinationales.
Dans le paysage minier ouest-africain, un changement de paradigme est en cours. Pendant des décennies, la rente aurifère, ainsi que les autres minerais d’importance, a été captée majoritairement par de grandes entreprises internationales. Toutefois, de récentes initiatives montrent que les acteurs financiers locaux ne se contentent plus de financer le secteur, mais veulent prendre part à sa propriété, à son contrôle et à sa chaîne de valeur.
L’exemple ivoirien est emblématique : la mine d’or de Tongon, exploitée par Barrick Gold Corporation depuis 2010, va être cédée à Atlantic Group pour un montant pouvant atteindre 305 millions US$ (≈ 183 milliards FCFA) selon les communiqués récents. Cette opération est qualifiée par la presse spécialisée comme « le premier transfert d’un actif aurifère de classe mondiale vers un acteur industriel local en Côte d’Ivoire ». La transaction confirme une volonté des États et des investisseurs locaux de reprendre la main sur leurs ressources.
Parallèlement, au Mali, AFG Bank Mali a lancé le 27 octobre 2025 le « Local Content Champion Program » (LCCP), doté d’une enveloppe de 100 milliards FCFA (≈ 177 millions US$), destiné à faciliter l’intégration des entreprises locales dans les chaînes de valeur du secteur minier. Le programme couvre les PME locales, sous-traitants, fournisseurs, via des instruments tels que le crédit-bail, l’affacturage, les garanties bancaires. L’objectif est de créer des « champions locaux », de renforcer la compétitivité locale et d’améliorer la répartition des bénéfices miniers.
Cette double dynamique – transfert d’actifs miniers vers des acteurs locaux et renforcement des capacités de financement local – illustre l’évolution du secteur. Elle est d’autant plus significative dans une région où l’or a pris une importance croissante. Bien que la part exacte de l’Afrique de l’Ouest dans la production mondiale d’or ait été estimée à 14,6 % en 2022, contre 8,7 % en 2010.
L’enjeu ne se limite pas à la propriété. Il englobe aussi la logique de contenu local : l’intégration des fournisseurs, des services, de la transformation, de l’emploi local et de la création de valeur sur place. Les gouvernements sahéliens ont imposé des réglementations plus exigeantes en ce sens. Le rôle des banques locales, des holdings panafricaines, devient central dans ce nouveau modèle.
Cependant, plusieurs défis persistent. Le cadre réglementaire doit être clair et stable pour encourager ces investissements locaux. Comme le souligne un acteur du secteur : « Le rôle de l’État se situe d’abord dans la garantie d’un cadre juridique, fiscal et réglementaire stable, ainsi que dans le développement des infrastructures essentielles, notamment énergétiques, sans oublier la sécurité et des politiques incitatives pour les acteurs locaux ». De plus, les compétences techniques, la gouvernance, l’accès au financement, la transparence restent des impératifs pour que ce virage soit pérenne. Enfin, les conditions de marché (prix de l’or, coût des intrants, fiscalité) et le contexte géopolitique (sécurité dans certaines zones minières) peuvent freiner cette transformation.
Pourquoi est-ce important ?
Pour l’économie ouest-africaine, cette nouvelle tendance de localisation du financement et de la propriété dans le secteur minier revêt plusieurs dimensions critiques. D’abord, elle contribue à une meilleure répartition de la valeur issue des ressources naturelles vers les économies locales : emplois, chaîne d’approvisionnement, infrastructures, revenus internes. Ensuite, elle renforce la souveraineté économique des pays, qui cherchent à maximiser les retombées de leurs ressources au lieu de se contenter d’un rôle de simples exportateurs de matières premières. Cela s’inscrit dans la logique plus large d’une transformation structurelle, où l’Afrique enclenche des modèles de valorisation locale plutôt que d’extraction pure.
Ensuite, la montée en puissance d’acteurs financiers locaux dans l’industrie extractive crée un écosystème régional capable d’accompagner l’exploration, le développement et la gestion des mines. Cela offre également une alternative au modèle de dépendance vis-à-vis des grands opérateurs étrangers. À long terme, cette dynamique peut renforcer la résilience des économies face à la volatilité des prix des matières premières et aux chocs externes.
Enfin, sur le plan de la gouvernance et du développement durable, cette évolution pose la question de la transparence, de la responsabilité sociale et environnementale et de l’inclusion des communautés dans les projets miniers. Pour que ces initiatives locales soient bénéfiques, il faut que les États, les investisseurs et les communautés travaillent conjointement à des cadres de gouvernance solides, à la structuration des acteurs locaux, et à l’intégration des impacts sociaux.
En conclusion, ce virage vers un contenu local plus fort dans les mines ouest-africaines annonce une transformation profonde du modèle extractif-minier dans la région. Il positionne les acteurs africains comme non seulement fournisseurs mais aussi propriétaires et financiers. Pour les pays de l’UEMOA, de la CEDEAO, et de la sous-région sahélienne, cette orientation peut constituer un levier d’industrialisation, de croissance inclusive et de réduction de la dépendance à l’extérieur.