Quand le coût des intrants fait vaciller la filière œufs en Afrique de l’Ouest
Les points clés :
Le prix des matières premières pour l’alimentation des pondeuses (maïs, soja, compléments) s’envole, menaçant la rentabilité des élevages d’œufs.
Les producteurs rapportent des plateaux de 30 œufs dépassant désormais 3 000 FCFA, alors qu’ils étaient à 2 500 FCFA lors de pics antérieurs.
L’aliment représente jusqu’à 70 % du coût de production des œufs, ce qui pousse de nombreuses fermes à réduire leur volume ou à cesser l’activité.
L’agriculture et l’élevage constituent des piliers essentiels de l’alimentation et des revenus ruraux en Afrique de l’Ouest. Parmi eux, la filière avicole, en particulier la production d’œufs, occupe une place de choix en matière de valeur nutritive et d’emplois ruraux. Or, force est de constater que cette filière traverse une période de turbulences majeures. Le constat dressé par plusieurs éleveurs est sans équivoque : « produire des œufs coûte de plus en plus cher ». Une flambée des prix des intrants clés comme le maïs, le soja et les compléments alimentaires pèse lourdement sur les coûts de production.
Selon leurs témoignages, un plateau de 30 œufs, qu’ils vendaient auparavant jusqu’à 2 500 FCFA lors de périodes de rareté, atteint désormais voire dépasse 3 000 FCFA au niveau des fermes. Cette hausse n’est pas simplement résiduelle : elle est le reflet d’une dynamique structurelle où la hausse des intrants impose une pression directe sur les producteurs. Dans ce contexte, il devient difficile de maintenir la production pour les petites et moyennes exploitations. L’aliment des pondeuses à lui seul représenterait jusqu’à 70 % du coût de revient global de l’œuf.
Cette réalité n’est pas isolée à un pays précis mais fait écho à des tendances observées dans d’autres pays africains. Par exemple, au Kenya, le coût élevé des aliments a été identifié comme « un gros casse-tête pour les éleveurs d’œufs » alors même que la demande reste stable. Une étude en Zambie montrait que l’augmentation des coûts des intrants pour la volaille entravait sérieusement la production commerciale. Une analyse sur la production de poulets et d’œufs en Afrique australe note que le prix du maïs et du soja est directement corrélé aux prix des produits avicoles et à la rentabilité des élevages.
En Afrique de l’Ouest, la structure de coût pour la production avicole est comparable aux chiffres relevés ailleurs. Au Nigeria, par exemple, une étude a montré que le coût de l’alimentation représentait environ 59,34 % du coût variable de production des œufs. Au Sud de l’Afrique, la source d’information rapporte que lorsque le maïs ou le soja augmentent de manière significative, les coûts de production d’œufs augmentent également, laissant peu de marge aux producteurs.
Ce double phénomène, intrants qui coûtent de plus en plus cher et petits producteurs fragilisés, manifeste une fragilité de la chaîne de production des œufs. Plusieurs éleveurs confient que des fermes ont réduit leur effectif ou cessé totalement leur production. Le coût de l’aliment, le plus élevé sur la chaîne, pèse disproportionnellement sur les exploitations de taille modeste qui ne peuvent pas diluer ces coûts sur de grands volumes. Cela menace tout le tissu de la filière avicole, pourtant essentielle pour l’équilibre nutritionnel des ménages et la sécurité alimentaire locale.
Pourtant, la demande en œufs reste soutenue, car l’œuf est une source de protéine relativement abordable et facile à produire. Mais la réalité locale est que cette « affordabilité » est menacée. Lorsque le coût de production augmente, le prix de vente doit suivre pour que l’exploitation soit viable. Or, cette hausse du prix se heurte souvent aux niveaux de revenus des consommateurs locaux, ce qui pose un dilemme entre rentabilité du producteur et accessibilité du consommateur.
La filière avicole est donc à un tournant. Les producteurs, en particulier les plus petits, se trouvent confrontés à un choix difficile : absorber les coûts supplémentaires (au détriment de leur marge), augmenter les prix (au risque de réduire les débouchés) ou réduire/fermer leur activité (ce qui fragilise l’approvisionnement local). Les conséquences s’annoncent multiples : perte de revenus pour les producteurs, diminution de l’offre locale, hausse des importations ou des prix pour les consommateurs, et fragilisation de l’équilibre nutritionnel dans les zones rurales ou urbaines.
Il est aussi important de noter que la hausse des coûts des intrants s’accompagne parfois d’une moindre disponibilité ou d’une qualité variable des matières premières (maïs, soja). Une étude expliquait que dans les pays sub-sahariens, l’un des principaux problèmes de la production d’œufs réside dans les faibles infrastructures, les coûts d’approvisionnement élevés et la dépendance à des importations de matière première de qualité.
Pour faire face à cette situation, des solutions sont à envisager. Cela passe par une réduction des coûts des intrants (par exemple via production locale de matières premières, fabrication locale d’aliments pour volailles, subventions ciblées), mais aussi par l’amélioration de la productivité (meilleures races de pondeuses, meilleures pratiques d’élevage, formation, intégration des systèmes de production). La filière pourrait également être soutenue par des mécanismes financiers adaptés pour permettre aux petits producteurs d’investir et de rester compétitifs. Plusieurs études recommandent d’ailleurs un soutien public pour les intrants et la formation des éleveurs.
En résumé, la production d’œufs en Afrique de l’Ouest ne se résume pas à un simple agrément ou une niche : c’est une activité structurante pour la nutrition, l’agriculture et l’emploi. Mais cette filière est aujourd’hui assaillie par des pressions importantes. Le coût des intrants, en particulier de l’aliment, est devenu un facteur critique. Ignorer cette réalité, c’est exposer la filière au dangers de l’érosion, voire de l’effondrement partiel.
Pourquoi est-ce important ?
Dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest, la filière avicole joue un rôle non seulement économique mais aussi social et nutritionnel. D’abord, pour les producteurs ruraux ou péri-urbains, elle constitue une source de revenu et d’autonomisation, notamment pour de nombreux petits éleveurs. Une hausse non maîtrisée des coûts peut conduire à l’abandon d’activités, à la perte d’emplois et à un recul de l’activité économique locale. Ensuite, pour les consommateurs, notamment les ménages à faibles revenus, les œufs sont une source de protéine animale relativement accessible : si les prix augmentent trop, cela pourrait fragiliser la nutrition. Troisièmement, au niveau macro-économique, une filière avicole forte contribue à la réduction des importations de produits agro-alimentaires, améliore la valeur ajoutée locale et participe à la résilience alimentaire du pays. Enfin, la dynamique évoquée ici traduit un enjeu majeur de compétitivité, de durabilité et d’inclusion : si les intrants restent chers ou importés, la filière aura du mal à atteindre une taille critique ou à s’industrialiser. Pour les pays ouest-africains engagés dans des stratégies de transformation agricole, de diversification économique et de lutte contre la pauvreté, la santé de la filière avicole constitue donc un indicateur essentiel à suivre. Le cas de cette hausse des coûts de production d’œufs doit donc être perçu comme un signal d’alarme mais aussi comme une opportunité : celle de structurer, moderniser et soutenir la filière pour en faire un pilier de croissance inclusive.