Burkina-Faso : suspension de l’importation de poussins de chair, pari sur la souveraineté avicole ou pression sur la production ?

La réussite dépendra de la capacité du tissu productif national à absorber la demande


Les points clés :

  • Le Burkina Faso a suspendu, jusqu’à nouvel ordre, les autorisations d’importation de tous les poussins de chair, invoquant une capacité interne suffisante.

  • La mesure vise à protéger la filière avicole nationale et à renforcer la souveraineté alimentaire du pays.

  • Toute future importation en violation de cette décision sera passible de sanctions prévues par la réglementation nationale.


Face à une dépendance structurelle vis-à-vis des importations dans le domaine avicole, le Burkina Faso a pris une décision radicale : suspendre l’importation de poussins de chair à compter d’octobre 2025. Par ce geste, les autorités cherchent à encourager la production locale, assainir le marché avicole et limiter la fuite de devises. Cette mesure intervient alors que le secteur de la volaille, dans nombre de pays d’Afrique de l’Ouest, est soumis à des tensions sur les intrants, les prix et la compétitivité. Le Burkina se place ainsi parmi les États tentant une relocalisation de la chaîne avicole, mais la réussite dépendra de la capacité du tissu productif national à absorber la demande, à renforcer ses infrastructures et à éviter les ruptures de disponibilité.

Ce que prévoit la mesure : modalités et justifications

Le ministère en charge des Ressources animales a officiellement annoncé qu’il ne délivrerait plus d’autorisation d’importation de poussins de chair, en provenance de l’étranger, jusqu’à ce que la situation change. La suspension couvre toutes les races ou souches destinées à la production de viande avicole.

Les autorités justifient cette décision par une évaluation interne, selon laquelle l’offre nationale de poussins de chair serait désormais suffisante pour répondre à la demande des producteurs. Elles évoquent la volonté de préserver la filière avicole locale et de renforcer la souveraineté alimentaire.

Dans le communiqué, il est également précisé que toute importation opérée sans autorisation s’exposerait aux sanctions prévues par les textes en vigueur. Cette rigueur vise à dissuader les acteurs qui pourraient tenter de contourner la mesure.

La suspension est qualifiée de temporaire : le ministère indique qu’elle pourrait être levée lorsque l’offre locale ne sera plus capable de satisfaire la demande nationale.

Contexte avicole au Burkina Faso : défis et potentiel

La filière avicole au Burkina Faso n’est pas nouvelle, mais elle a longtemps souffert de contraintes structurelles : dépendance aux importations d’aliments ou de poussins d’un jour, coûts élevés des intrants, faibles rendements dans certaines exploitations, manque d’accès au financement, insuffisance en infrastructures sanitaires et de distribution.

Une illustration de ces défis est l’expérience de la Ferme Kouna, dans la région de Banfora, qui combine production d’œufs et de poulets de chair, avec un modèle intégré et des contraintes de financement, de logistique et d’équipements.

Dans les régions rurales comme les Cascades, l’élevage de la volaille joue un rôle important dans les revenus des petits producteurs. Un article sur la région indique que « en six mois, un éleveur peut avoir 1 380 000 FCFA » grâce à la volaille, témoignant du potentiel attractif pour les exploitants locaux.

Un défi constant est la faiblesse de la synchronisation entre la production des poussins, leur distribution dans les zones de forte demande, et les services vétérinaires, en particulier dans les zones reculées. En outre, l’attrait de la volaille importée (qui peut parfois être moins coûteuse ou plus « standardisée ») pèse sur les producteurs nationaux.

Opportunités et contraintes dans l’application

La suspension des importations ouvre des opportunités pour stimuler l’investissement national. Les hatcheries locales, les incubateurs, les producteurs de reproducteurs et les acteurs du maillon d’alimentation animale peuvent voir une demande accrue. Si l’écosystème est renforcé (accès au crédit, formation, encadrement sanitaire, logistique), cela pourrait dynamiser l’emploi rural, réduire la fuite de devises et consolider la filière intérieure.

Mais la mise en œuvre est risquée. Si l’offre locale ne peut réellement absorber la demande, des ruptures de pénurie ou des hausses brutales de prix peuvent survenir, affectant les consommateurs et les éleveurs. Le risque d’un contournement de la mesure, importations illicites, poussins multipliés hors contrôle sanitaire, est élevé si les contrôles ne sont pas stricts.

La mesure peut aussi accroître les tensions entre les producteurs déjà bien établis (qui pourraient capter les marchés) et les petits exploitants qui auront plus de mal à accéder aux poussins ou aux intrants. Enfin, l’Etat devra surveiller le marché de façon active, adapter la réglementation, assurer la transparence et peut-être prévoir des mécanismes de soutien aux producteurs en cas de crise.

Comparaisons régionales

Au Nigéria, par exemple, la filière avicole est très développée mais la concurrence des importations (poulets congelés, poussins importés) reste un défi. Le gouvernement nigérian a déjà mis en place des mesures de restriction pour protéger les producteurs locaux, notamment l’imposition de droits de douane ou de quotas sur la volaille importée.

Au Ghana et au Bénin, certaines initiatives gouvernementales visent à encourager la production locale de poussins d’un jour et l’éclosion sur place pour réduire la dépendance à l’importation, mais sans aller jusqu’à une suspension pure et simple.

La mesure burkinabè est donc audacieuse dans la région ouest-africaine, puisqu’elle bloque toute importation, pas seulement taxer ou limiter. Cela pourrait inspirer d’autres pays, mais aussi susciter des réactions de l’importateur ou de la concurrence intrarégionale.

Pourquoi est-ce important ?

Parce que cette mesure représente un tournant structurel pour le Burkina Faso en matière de souveraineté alimentaire. En arrêtant les importations de poussins, le pays mise sur sa capacité nationale à structurer une filière avicole viable, compétitive et intégrée. Si elle fonctionne, elle peut stabiliser les prix, favoriser les revenus ruraux, et limiter les sorties de devises liées aux intrants importés.

Pour l’économie ouest-africaine, le Burkina peut devenir un modèle de relocalisation réussie de secteurs agricoles, en tirant parti de ses producteurs, de ses ressources locales, de la demande interne. D’autres pays pourraient observer et adapter des mesures analogues, selon leurs capacités.

Mais l’enjeu est risqué : la mesure ne sera crédible que si l’État accompagne, contrôle, investit dans l’infrastructure, assure la continuité de l’offre, et évite les ruptures ou la spéculation. Si la production locale ne se structure pas suffisamment, les éleveurs pourraient subir des contraintes fortes ou des chocs de prix.

Au final, l’affaire illustre un dilemme central dans beaucoup de pays en développement : comment passer de la dépendance aux importations à une autosuffisance raisonnée, dans un contexte de contraintes logistiques, sanitaires, financières et institutionnelles. Le Burkina Faso vient de faire un pari. Il reste à voir s’il pourra le gagner.

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