Burkina Faso : le CREA, nouveau Centre régional de l'eau pour affronter la sécheresse au Sahel

Le principal défi est de disposer de données fiables et de qualité


Les points clés :

  • Le Centre Régional de l’Eau pour l’Afrique (CREA) est créé à Ouagadougou, hébergé par l’Institut 2iE, via un protocole signé entre le Burkina Faso, la Banque mondiale et 2iE.

  • Les épisodes de sécheresse extrême ont augmenté de plus de 230 % en Afrique de l’Ouest au cours des cinquante dernières années, menaçant la croissance économique de certains pays jusqu’à -6 % par an d’ici 2050.

  • Le CREA vise à construire des capacités techniques (systèmes d’alerte précoce, planification hydrique, allocation de l’eau), à favoriser la coopération Sud-Sud et à produire des solutions adaptées aux réalités locales.


La lutte contre la sécheresse en Afrique de l’Ouest franchit un nouveau palier avec la création du Centre Régional de l’Eau pour l’Afrique (CREA), hébergé à l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE) à Ouagadougou. L’annonce, intervenue à l’issue d’un Forum de haut niveau de deux jours (29-30 septembre 2025) sur la sécheresse, montre que les États sahéliens, appuyés par des partenaires techniques comme la Banque mondiale, ne se limitent plus aux discours : ils mettent en place des moyens institutionnels pour anticiper, coordonner et atténuer un phénomène devenu structurel. Dans une région où la croissance démographique, la demande en eau et les aléas climatiques convergent pour augmenter les risques, le CREA se présente comme une réponse à la fois scientifique, technique et politique.

Genèse, mission & engagements du CREA

Le protocole d’accord qui institue le CREA a été signé entre le Gouvernement du Burkina Faso, la Banque mondiale, et le 2iE. Le choix de localiser le centre à Ouagadougou, au sein de l’institut 2iE, n’est pas anodin : 2iE bénéficie déjà d’une forte réputation en formation, recherche et innovation dans les domaines de l’eau, de l’environnement, de l’alerte climatique, etc. Le CREA servira de hub régional pour l’Afrique de l’Ouest, avec des partenaires comme le Maroc, le Brésil, ainsi que les pays sahéliens (Tchad, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal).

Parmi les missions affichées du CREA figurent : consolider l’expertise technique locale dans le secteur de l’eau ; favoriser la production et le partage de connaissances scientifiques adaptées aux réalités africaines : systèmes d’alerte précoce, planification hydrique, allocation de l’eau, gestion coordonnée de la sécheresse ; renforcer les capacités des institutions nationales et régionales pour anticiper, prévoir, réagir efficacement aux épisodes secs et assurer la résilience des territoires.

Le contexte imposant de ce projet est déjà bien décrit : la croissance démographique, le stress hydrique par habitant, les pertes économiques causées par les sécheresses, la vulnérabilité accrue due au changement climatique. Le Forum de Ouagadougou a présenté des chiffres forts : les épisodes de sécheresse extrême ont crû de plus de 230 % en cinquante ans en Afrique de l’Ouest, et dans certains pays sahéliens, cela pourrait réduire la croissance annuelle d’ici 2050 jusqu’à -6 % si rien n’est fait.

Défis à relever et contraintes structurelles

La mise en œuvre d’un centre comme le CREA ne va pas sans freins. Le principal défi est de disposer de données fiables et de qualité : dans beaucoup de pays sahéliens, les systèmes d’observation hydrologique ou météorologique sont fragmentés, peu financés, et parfois peu accessibles. Cela limite la capacité à alimenter des systèmes d’alerte précoce ou des modèles de prévision rigoureux.

Ensuite, la gouvernance de l’eau reste une question délicate : arbitrages entre usages (agriculture, élevage, urbain, industries), conflits entre territoires, droits coutumiers ou traditionnels, etc. Pour que le CREA soit efficace, ces arbitrages devront être accompagnés de dialogue local, de politiques cohérentes nationales et transfrontalières, et d’une intégration de la communauté scientifique, technique, mais aussi des producteurs, agriculteurs, éleveurs, etc.

Le financement durable est une autre contrainte. Même si la Banque mondiale contribue, le fonctionnement, l’équipement technologique, les infrastructures liées aux alertes, les laboratoires, la formation etc., demandent des ressources stables. Les États de l’Ouest africain ont déjà des pressions fiscales fortes, et doivent souvent arbitrer priorités.

L’adaptation des technologies aux réalités locales est cruciale : les solutions doivent être robustes, peu coûteuses, utilisables dans des contextes de faible connectivité, souvent en zones rurales éloignées, etc. Le risque est que les technologies importées ou les modèles trop “externes” ne fonctionnent pas ou soient difficiles à pérenniser.

Enfin, le changement climatique, au-delà de la sécheresse, engendre des phénomènes de variabilité (pluies tardives, crues, vagues de chaleur) qui complexifient la planification. Les incertitudes climatiques, ainsi que les effets multiplicateurs comme la dégradation des sols, la désertification, ou l’érosion, renforcent la vulnérabilité.

Pourquoi est-ce important ?

Parce que l’eau est au cœur de la survie économique, sociale et environnementale dans les zones sahéliennes et sahélisées de l’Afrique de l’Ouest. La sécheresse ne tue pas instantanément comme un ouragan, mais elle affaiblit l’agriculture vivrière, met en péril la sécurité alimentaire, provoque des migrations internes ou vers l’étranger, fragilise l’élevage, appauvrit les exploitants, accroît les inégalités, et touche surtout les plus vulnérables.

Le CREA peut devenir un instrument stratégique pour transformer ce risque en opportunité : mieux anticiper, éviter des pertes économiques évitables, améliorer la productivité de l’agriculture par la gestion efficiente de l’eau, renforcer la résilience des communautés rurales, forger une culture de coopération inter-étatique dans les politiques de l’eau. Pour les États ouest-africains, cela peut signifier des gains macros : réduction des coûts liés aux crises humanitaires, meilleure allocation des dépenses publiques, fort impact des investissements dans l’infrastructure hydrique.

Sur le plan régional, cela marque un pas vers l’intégration et la solidarité climatique : aucun pays du Sahel ne peut gérer seul la sécheresse, les bassins versants sont partagés, les pluies et les eaux souterraines ne respectent pas les frontières. Un Centre régional permet d’harmoniser les approches, de mutualiser les ressources, de diffuser les meilleures pratiques, et de répondre collectivement.

Enfin, dans une ère où les bailleurs et les marchés exigent de plus en plus des réponses crédibles au changement climatique, la création du CREA positionne l’Afrique de l’Ouest comme acteur non seulement de victime, mais de solution, avec des compétences, une innovation locale, un pilotage réfléchi. Si le projet est bien mené, il pourrait servir de modèle non seulement pour d’autres régions sahéliennes, mais aussi pour les zones vulnérables à la sécheresse sur le continent notamment la Corne de l’Afrique, l’Est, etc.

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