UEMOA : Aboubakar Nacanabo à la tête du Conseil des ministres, la présidence tournante revient au Burkina Faso

L’alternance confirme le respect des textes (Crédit image : Actu Niger)

Les points clés :

  • Le ministre burkinabè de l’Économie et des Finances, Aboubakar Nacanabo, a été élu président du Conseil des ministres statutaire de l’UEMOA le 6 octobre 2025.

  • Il succède à l’Ivoirien Adama Coulibaly, dans le cadre d’une rotation biennale prévue par l’article 11 du traité de l’UEMOA.

  • Cette désignation met fin à plusieurs mois de blocage sur la présidence tournante, notamment après la fuite des ministres de l’AES lors d’une session à Lomé.


Après plusieurs mois de tensions et d’incertitudes institutionnelles, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a enfin une nouvelle présidence pour son Conseil des ministres. Lors de sa troisième session ordinaire tenue le 6 octobre 2025 à Dakar, les ministres des États membres ont porté Aboubakar Nacanabo, ministre burkinabè de l’Économie et des Finances, à la tête du Conseil pour un mandat de deux ans. Cette décision constitue une reprise du cycle normal de la présidence tournante et marque une victoire de l’Alliance des États du Sahel (AES), coalition regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, sur la Côte d’Ivoire, dont l’Ivoirien Adama Coulibaly occupait la fonction précédemment. L’alternance confirme le respect des textes et l’apaisement des divergences internes, mais offre surtout un défi de cohésion à l’épreuve entre des États aux profils et contraintes variés.

Le cadre légal : l’article 11 du traité et la rotation

La présidence du Conseil des ministres de l’UEMOA, ou Conseil statutaire, est organisée par l’article 11 du traité modifié de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), intégré dans le texte UEMOA. Selon cet article, la présidence est exercée à tour de rôle par l’un des ministres chargés des finances des États membres, pour une durée de deux ans. Le président convoque et préside les réunions, veille à la préparation des rapports, aux propositions de décision et assure le suivi des mesures adoptées.

Le site officiel de l’UEMOA confirme que le Conseil se réunit tous les trimestres en sessions ordinaires et que la présidence du Conseil tourne tous les deux ans.

Cette règle, conçue pour assurer l’équité entre les États membres et la légitimité institutionnelle de l’Union, a parfois été testée dans les faits, comme lorsque la Côte d’Ivoire a tardé à passer le flambeau ou a contesté des candidatures en dehors de sa propre rotative.

Les tensions de Lomé : crise et sortie de l’AES

La transition n’a pas été fluide. Lors de la session du 11 juillet 2025 à Lomé, les propositions de désignation du Burkina Faso à la présidence furent rejetées par certains États membres, notamment la Côte d’Ivoire, sous motifs de stabilité institutionnelle. À cette occasion, les ministres des Finances des États de l’Alliance des États du Sahel (AES) (Burkina, Mali, Niger) ont quitté la session, dénonçant une violation des textes statutaires.

Le refus de consensus avait mis l’Union en situation d’impasse institutionnelle, avec un maintien par défaut de la présidence ivoirienne, malgré un mandat arrivé à terme. Cette impasse a alimenté des critiques sur l’influence inégale de certains États et la perturbation de la gouvernance de l’UEMOA.

La désignation de Nacanabo met fin à ce blocage, et symbolise une réaffirmation du principe de rotation et une retouche à l’équilibre interne entre les membres.

Profil de Aboubakar Nacanabo : un choix symbolique et stratégique

Aboubakar Nacanabo, né le 13 octobre 1979 à Abidjan, est ministre de l’Économie, des Finances et de la Prospective du Burkina Faso depuis octobre 2022, dans le contexte de la transition dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré. Il est reconnu pour son expertise en fiscalité internationale, ayant occupé des responsabilités dans le Réseau Africain des Experts en Fiscalité Internationale (REAFI) et dans des forums de taxation transfrontalière.

Sa nomination à la présidence du Conseil des ministres statutaire de l’UEMOA est interprétée comme une marque de confiance dans la vision du Burkina Faso pour impulser une intégration régionale plus équitable, mais aussi comme un test de son ambition de leadership régional.

Il hérite d’un double défi : maintenir les acquis institutionnels de l’Union et gérer les aspirations au rééquilibrage provenant des États sahéliens, souvent moins bien dotés, confrontés aux crises sécuritaires et économiques.

Enjeux pour l’UEMOA : cohésion, réforme du CFA et politique monétaire

La présidence du Conseil des ministres joue un rôle essentiel dans l’orientation stratégique de l’UEMOA : elle oriente les décisions sur la convergence économique, la politique fiscale commune, les réformes monétaires (notamment la réforme du franc CFA), et les relations avec la BCEAO, la BOAD, le CREPMF ou la Commission de l’Union. (Traité UEMOA)

Le dossier du franc CFA est emblématique : la réforme du CFA (modernisation, nom, parité, autonomie éventuelle) reste un sujet explosif, politiquement et économiquement sensible. Certains États, en particulier les pays sahéliens, exigent davantage de marges de manœuvre, tout en préservant la stabilité monétaire. Le nouveau président devra concilier ces aspirations divergentes.

Sur le plan monétaire régional, les différends antérieurs ont porté sur les orientations de la politique de la BCEAO, la gestion des réserves, les taux directeurs, l’assouplissement ou le durcissement monétaire selon les conditions économiques de chaque membre. Nacanabo devra naviguer entre les intérêts divergents des États plus solides économiquement (Côte d’Ivoire, Sénégal) et ceux plus vulnérables (Burkina, Niger).

La cohésion institutionnelle sera un autre défi : assurer que les États plus fragiles ne soient marginalisés, renforcer la mutualisation des politiques de relance ou de soutien, tout en préservant la discipline budgétaire et la convergence.

Potentiels effets et perspectives

Si Nacanabo parvient à restaurer la confiance entre États membres, à relancer le processus de convergence et à encourager une plus grande solidarité entre les économies, l’UEMOA pourrait sortir renforcée. Une présidence plus équilibrée peut favoriser les investissements intrarégionaux, une meilleure harmonisation fiscale et réglementaire, ainsi qu’une plus forte identité monétaire commune.

Le repositionnement du Burkina Faso à ce poste peut aussi redonner de l’espoir aux pays sahéliens quant à leur rôle dans la gouvernance de l’Union, en réduisant le sentiment de domination par les économies les plus puissantes. Symboliquement, cela peut encourager une réaffirmation régionale plus autonome dans les prises de décision.

Mais les risques sont réels. Si la présidence échoue à surmonter les fractures internes, l’Union pourrait replonger dans des blocages institutionnels, des retards dans les réformes monétaires ou fiscales, ou des tensions entre États membres. L’absence de consensus risquerait de nuire à la crédibilité de l’UEMOA auprès des bailleurs, investisseurs et citoyens.

Pourquoi est-ce important ?

La présidence du Conseil des ministres de l’UEMOA n’est pas un simple poste protocolaire : elle est le pivot de l’orientation stratégique, de l’équilibre institutionnel et de la légitimité de l’Union. En confiant cette présidence à Aboubakar Nacanabo, les États de l’UEMOA réaffirment deux principes : le respect des textes (rotation) et l’inclusion des États sahéliens dans le jeu du pouvoir régional.

Pour l’économie ouest-africaine, ce changement peut débloquer des réformes longtemps retardées : harmonisation fiscale, convergence budgétaire, réinterrogation du rôle de la BCEAO, modernisation monétaire. Un leadership crédible peut renforcer la confiance des investisseurs, améliorer l’intégration intra-zone et stimuler la croissance partagée.

Pour les pays sahéliens, c’est une victoire symbolique et potentiellement stratégique : être à la table de décision, peser sur les choix, obtenir des compromis plus favorables aux défis spécifiques (sécurité, fragilité, déficit infrastructurel). Si le nouveau président place la solidarité et l’équité au cœur de son mandat, il pourrait contribuer à réduire la fracture entre les économies plus fortes et celles plus vulnérables.

Ce moment est un test : le nouveau président devra transformer le retour au consensus en impulsion pour des actions concrètes. Si la présidence de Nacanabo produit des résultats visibles, relance de la convergence, progrès sur le franc CFA, approches partagées, alors l’UEMOA pourra retrouver une dynamique d’intégration crédible. Sinon, la menace de divisions et de désintégration pourrait reprendre le dessus.

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