Eurobonds africains : les spreads au plancher depuis 2019, le continent retrouve le chemin des marchés

Toute amélioration est fragile


Les points clés :

  • Le spread moyen des eurobonds africains (écart de rendement avec les bons du Trésor américain) est tombé à ~388 points de base début octobre 2025, au plus bas depuis 2019.

  • Cette amélioration des conditions d’emprunt s’explique par la détente de l’inflation, la stabilisation des monnaies africaines et les premiers signaux de baisse des taux mondiaux.

  • Dans ce contexte, plusieurs États africains se repositionnent : l’Angola lance un eurobond de 1,5 milliard USD, le Nigeria planifie des émissions jusqu’à 2,3 milliards USD, et la RDC prépare un eurobond inaugural pour 2026.


Depuis la pandémie de COVID-19 et les chocs macroéconomiques mondiaux (inflation, hausse des taux directeurs, volatilité des devises), les emprunts souverains africains avaient vu leur prime de risque exploser. Il n’était pas rare que des spreads dépassent les 1 000 points de base, rendant l’accès aux marchés internationaux coûteux, voire hors de portée, pour de nombreux États. Ces conditions avaient forcé plusieurs pays à suspendre leurs émissions ou à recourir à des financements domestiques plus coûteux.

Mais en 2025, ce paysage change radicalement. L’indice Cbonds Africa Sovereign USD T-Spread, qui calcule l’écart pondéré des eurobonds africains vis-à-vis des T-Bills américains, affiche ~388 bps début octobre 2025. Ce niveau est le plus bas observé depuis 2019, un signe manifeste de reprise de confiance des investisseurs. Bloomberg confirme que, dès juillet 2025, aucun pays africain ne présentait de spread à quatre chiffres, une première depuis 2015.

Cette décrue du coût de financement ne résulte pas d’un miracle, mais d’une combinaison favorable : l’inflation mondiale ralentit, les banques centrales entament voire anticipent des cycles de réduction de taux, et certaines monnaies africaines cessent leur dépréciation excessive. Dans ce contexte de « chasse aux rendements », les marchés émergents, dont l’Afrique, retrouvent un attrait.

Les agences de notation ont aussi commencé à récompenser les efforts macro-économiques. En 2025, Fitch et Moody’s ont relevé la note du Nigeria, S&P a retiré le Ghana de la catégorie défaut, et l’Afrique du Sud bénéficie d’une perspective positive. Cette dynamique améliore la perception du risque souverain et encourage les investisseurs à réengager des capitaux.

Des pays réémettent et d’autres se préparent

Profitant de cette fenêtre favorable, certains États clefs du continent repensent leur stratégie de financement externe. L’Angola lance une nouvelle émission eurobond de 1,5 milliard USD, sa première depuis 2022, avec des rendements préliminaires autour de 9,75 % à 5 ans et 10,50 % à 10 ans. Cette opération s’inscrit dans une stratégie de financement 2025 estimée à 6 milliards USD via divers instruments de dette.

Le Nigeria n’est pas en reste. Selon Reuters, le gouvernement nigérian envisage d’émettre jusqu’à 2,3 milliards USD de nouveaux emprunts internationaux en 2025, en misant sur une amélioration de son positionnement macro-économique pour obtenir des conditions intéressantes.

La République démocratique du Congo (RDC), qui jusqu’ici était absente du segment eurobond, prépare une émission inaugurale pour 2026. Ce retour potentiel montre que même les pays les plus fragiles voient dans cette fenêtre une opportunité de diversifier leurs sources de financement.

Dans la première moitié de 2025, plusieurs nations ont déjà émis avec succès. Selon le rapport « Africa Sovereign Credit Rating Review » de l’APRM, Bénin a levé 500 millions USD à 8,625 %, avec une sursouscription, tandis que Gabon a procédé à un placement privé de 570 millions USD à 12,7 %. Ces opérations illustrent l’appétit des marchés pour les titres africains dans le bon contexte.

Limites, risques et conditions de durabilité

Toute amélioration est fragile. Le réajustement du spread repose sur des conditions externes : taux mondiaux, appréciation du dollar, dynamique inflationniste. Si les taux de la Fed ou d’autres grandes banques remontent brusquement, les spreads pourraient repartir à la hausse, surtout pour des économies vulnérables.

L’un des points de vigilance majeurs est la volatilité des matières premières, sur lesquelles reposent de nombreux États africains (pétrole, minerais, cacao, etc.). Une baisse des prix affaiblit les recettes d’exportation, détériore la balance de paiement, et accroît la pression sur le coût du service de la dette.

La crédibilité de la politique économique domestique joue aussi : une inflation mal maitrisée, des déficits non consolidés ou des trajectoires de dette non soutenables peuvent rebattre les cartes. Les marchés restent sensibles aux signaux négatifs : retards de réformes, instabilité politique, ou surprises budgétaires peuvent effrayer.

Un autre risque est la durée de l’engagement. Certaines émissions peuvent contenir des clauses coûteuses (garanties, covenants, rappels anticipés) ou des taux trop élevés, dans ce cas, le gain de confiance initial pourrait se retourner en charge à moyen terme.

Enfin, le danger de surendettement ou de surcroît de refinancement à court terme subsiste. Certains des nouveaux emprunts peuvent servir à rembourser des eurobonds arrivant à échéance plutôt qu’à financer des investissements productifs. Le rapport de l’APRM note que les émissions de 2025 incluaient souvent des éléments de reprofilage ou de refinancement.

Comparaisons internationales & le cas Maroc

Dans ce contexte, certains cas africains en zone de confiance témoignent du potentiel d’un bon positionnement de crédit. Le Maroc, par exemple, vient d’être rétrogradé à BBB- (investment grade) par S&P Global, devenant ainsi le seul émetteur souverain africain de eurobonds à ce niveau. Cette requalification témoigne de la discipline macro, de réformes structurelles et de la crédibilité acquise.

Ce repositionnement marque un précédent : un rang plus élevé auprès des agences de notation se traduit souvent par des coûts de financement moindres, une plus grande marge de manœuvre et un effet d’entraînement sur les émetteurs africains qui veulent monter en qualité.

Pourquoi est-ce important ?

Parce que ce resserrement historique des spreads transforme la donne de l’accès au capital pour les États africains. Quand emprunter coûtait une prime de risque exorbitante, seules quelques nations solides disposaient de marges de manœuvre. Aujourd’hui, le terrain redevient praticable pour des pays davantage fragiles, à condition qu’ils montrent sérieux, transparence et stabilité.

Pour l’Afrique de l’Ouest, cela signifie une opportunité de refinancer des eurobonds à maturité, financer des projets d’infrastructure (routes, énergies, telecom), accélérer la transition verte dans de meilleures conditions. Des pays comme le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, ou la Côte d’Ivoire pourraient en profiter pour relancer des emprunts externes avec des coûts moindres si leur crédibilité est renforcée.

Mais un piège guette : ce regain est précaire. Si les conditions mondiales basculent (rehaussement des taux, choc externalisé), les investisseurs peuvent reculer. Seuls les États qui respectent leurs promesses, réduction des déficits, consolidation de dettes, réformes structurelles, en sortiront renforcés. Autrement, ce retournement pourrait être brutal.

Ce moment est un test pour l’Afrique : saisir l’ouverture sans se précipiter, construire de la dette productive plutôt que de l’endettement spéculatif, et faire de ce retour sur les marchés un moteur durable de croissance plutôt qu’un piège.

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