Pêche continentale en Afrique de l’Ouest : cinq pays en première ligne pour la sécurité alimentaire

L’enjeu n’est pas seulement économique


Les points clés :

  • Le Niger, le Burkina Faso et le Mali tirent plus de 90 % de leur approvisionnement en poissons de la pêche continentale, rendant le secteur vital pour leur sécurité alimentaire.

  • En 2022, l’Afrique produit ~3,3 millions de tonnes de poissons issus de la pêche continentale, ce qui représente près de 29 % des captures continentales mondiales.

  • Le rapport de la Banque africaine de développement plaide pour des investissements urgents dans la restauration des habitats aquatiques et l’intégration de la pêche dans la gestion plus large de l’eau pour préserver ce secteur pour des millions de personnes.


Dans une région souvent associée prioritairement à la pêche maritime, la pêche continentale prend des contours essentiels pour de nombreux États d’Afrique de l’Ouest. Le dernier rapport de la Banque africaine de développement, intitulé “Revue des pêcheries continentales africaines” (22 septembre 2025) met en lumière le rôle stratégique de cette pêche qui, bien que modeste en matière d’exportations ou de haute valeur, est vitale pour l’alimentation locale, les économies rurales et la résilience face aux chocs.

Le présent classement des cinq pays ouest-africains qui dépendent le plus de la pêche continentale (Niger, Burkina Faso, Mali, Bénin, Nigeria) montre qu’au-delà des mers, ce sont les eaux douces, fleuves, lacs, mares, retenues d’eau, qui constituent le socle halieutique pour des millions. L’enjeu n’est pas seulement économique, mais social, culturel et environnemental.

Analyse pays par pays : dépendance, potentiel et défis

Niger

Le Niger, pays enclavé du Sahel, illustre parfaitement la dépendance quasi-totale à la pêche continentale : en 2022, les captures étaient de ~47 670 tonnes, représentant près de 99 % de la production halieutique nationale. Le potentiel d’eaux de surface est estimé à plus de 410 000 hectares, répartis entre le fleuve Niger, ses affluents et le lac Tchad. Environ 700 000 personnes vivent directement de la pêche dans ce contexte. Les défis incluent une aquaculture presque inexistante, la faible infrastructure de valorisation, la gestion de la saisonnalité (l’étiage), et les contraintes environnementales.

Burkina Faso

Au Burkina Faso, les captures de la pêche continentale en 2022 étaient de ~30 044 tonnes, pour une offre totale de marché intérieur estimée à ~30 938 tonnes, soit environ 97 % de l’offre locale. Le pays dispose d’un potentiel d’eaux de surface de plus de 200 000 hectares, comprenant fleuves, rivières et de nombreuses retenues d’eau (barrages). Le secteur emploie plusieurs dizaines de milliers de personnes, dont une proportion non négligeable de femmes. Toutefois, les rendements, la transformation, la distribution, notamment vers les marchés urbains, demeurent faibles, et les infrastructures de conservation ou de chaîne froid sont peu développées.

Mali

Le Mali produit en 2022 ~110 366 tonnes de poissons d’eau douce, ce qui représente environ 93 % de son offre intérieure estimée à ~119 000 tonnes. Avec des fleuves majeurs comme le Niger et la sénégambie (fleuve Sénégal, Bani, affluents), lacs, mares et plaines inondables, le potentiel est élevé. Le nombre d’acteurs engagés est important : environ 150 000 pêcheurs en capture directe, et on estime à ~500 000 le nombre total d’emplois le long de la filière (transformateurs, marché local, petit commerce).

Bénin

Au Bénin, la dépendance aux eaux douces est plus modérée. En 2022, les captures continentales représentaient ~29 575 tonnes, soit environ 36 % de l’offre totale du pays (~80 655 tonnes). Le pays possède un réseau hydrographique important (~130 000 hectares d’eaux douces), avec fleuves (Ouémé, Mono, Niger, Couffo), lagunes, marais et retenues d’eau. Le secteur emploie plus de 200 000 personnes (directement ou indirectement). Les défis incluent l’aquaculture faible, la concurrence de la pêche maritime, la faible capacité de transformation locale, et l’accès au financement.

Nigeria

Le Nigeria présente la plus forte production en volume : en 2022, les captures continentales furent d’environ 354 531 tonnes, bien que cela ne représente que ~36 % de l’offre totale (~1,04 million tonnes) qui combine pêche maritime, aquaculture et captures continentales. Le Nigeria dispose d’un vaste potentiel intérieur : fleuves Niger, Bénoué, affluents, grands lacs naturels ou réserves artificielles. Le secteur emploie environ 613 800 personnes, dont ~27 % de femmes. Ici, la pêche continentale joue un rôle vital dans l’alimentation locale, particulièrement dans les zones terrestres éloignées de la côte, et pour les communautés autour des lacs et fleuves.

Potentiel, contraintes structurelles et opportunités

La Revue des pêcheries continentales africaines de la BAD insiste sur l’importance des habitats aquatiques (zones humides, rives, plaines inondables) et souligne que ces dernières sont souvent dégradées, envahies ou mal gérées. Restaurer ces habitats, renforcer les systèmes d’alerte (crues, étiages), et améliorer la collecte de données sont des priorités.

L’aquaculture reste une promesse, mais reste marginale dans beaucoup de ces pays. Le rapport note que beaucoup d’Etats ont un potentiel d’eau de surface inutilisé, mais que les obstacles logistiques, financiers et institutionnels freinent son développement.

La demande croissante de poisson dans les zones urbaines, la volatilité des prix des produits importés, et les menaces climatiques (sécheresse, changements des régimes de pluie, étiage prolongé) rendent la pêche continentale non seulement un outil de subsistance, mais aussi une composante stratégique de la sécurité alimentaire et de la souveraineté nutritionnelle.

Des facteurs de risque incluent le surpêche, la pollution, la perte de biodiversité, la concurrence sur l’eau avec l’agriculture, la réduction des habitats naturels par l’usage des terres, la rareté de la gestion intégrée de l’eau, le manque de voies de stockage et de valorisation, les déficits de formation technique, l’absence de dispositifs de crédit adaptés ou de partenariats public-privé solides.

Pourquoi est-ce important ?

Parce que la pêche continentale représente un pilier silencieux mais incontestable de la sécurité alimentaire pour des millions de personnes en Afrique de l’Ouest. Dans les pays enclavés ou semi-enclavés (Niger, Burkina Faso, Mali), elle est souvent la seule source locale raisonnable de protéines animales. Elle stabilise les marchés alimentaires locaux, réduit la dépendance aux importations, et joue un rôle crucial dans la résilience socio-économique en zone rurale.

Du point de vue économique, elle génère des emplois, tant dans la capture que dans la transformation, la commercialisation, la distribution, souvent dans des zones où les alternatives économiques sont limitées. Elle permet de conserver de la valeur ajoutée localement, à condition que la chaîne de traitement soit appuyée.

Au plan environnemental, la pêche continentale artisanale, quand elle est bien gérée, utilise peu d’intrants, peu d’énergie, et s’appuie sur des pratiques traditionnelles souvent plus durables que la pêche industrielle. C’est un levier de la lutte contre la pauvreté, surtout pour les femmes, notamment en zones rurales.

Cependant, pour qu’elle continue de jouer ce rôle, des efforts sont nécessaires : restauration des habitats aquatiques, renforcement de la gouvernance de l’eau, formation, équipement, financement, politiques nationales cohérentes, et intégration avec les stratégies de développement rural. Les pays comme le Niger ou le Burkina, ou le Mali, devraient encourager l’essor de l’aquaculture quand possible pour diversifier la production.

Enfin, dans le contexte des changements climatiques, avec des sécheresses plus fréquentes, des étiages plus sévères, une variabilité accrue, la pêche continentale peut être un amortisseur des chocs alimentaires si elle est préservée et investie. Dans une zone UEMOA par exemple, cela pourrait contribuer à la souveraineté alimentaire, à une meilleure équilibrage des déficits alimentaires entre zones côtières et internes, et à la stabilisation des prix du poisson.

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