Forum Invest à Dakar : Dangote lorgne une montée en puissance industrielle et minière au Sénégal
Les points clés :
Aliko Dangote s’engage à renforcer ses investissements au Sénégal lors du Forum Invest, saluant l’orientation vers la transformation locale.
Dangote Cement Sénégal dispose d’une capacité de 1,5 à 1,6 million de tonnes par an, avec un site intégré à Pout (Thiès).
En 2024, le groupe avait déjà annoncé un investissement d’1 milliard de dollars dans le phosphate sénégalais, dans la perspective de diversifier ses activités au-delà du ciment.
Le lundi 6 octobre 2025, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a reçu en audience Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique. Ce déplacement s’inscrit dans le cadre du Forum Invest in Sénégal (7-8 octobre), où Dangote a salué « l’engagement du Sénégal à bâtir une économie souveraine, innovante et tournée vers la transformation locale ». L’homme d’affaires nigérian ne vient pas les mains vides : déjà présent dans le pays via sa cimenterie, il souhaite consolider ses partenariats et pousser plus loin ses investissements dans des secteurs stratégiques. Cette démarche met en exergue la volonté de Dakar d’attirer des investisseurs africains, de valoriser ses ressources naturelles et d’ancrer une stratégie industrielle à long terme.
Le ciment comme pilier : l’empreinte de Dangote au Sénégal
L’une des pierres angulaires de la présence de Dangote au Sénégal est sa cimenterie située à Pout, dans la région de Thiès, environ 60 kilomètres de Dakar. Cette usine, mise en service au milieu des années 2010, dispose d’une capacité de production de 1,5 million de tonnes par an, selon le site officiel du groupe Dangote.
D’autres sources spécialisées dans l’industrie indiquent une capacité de 1,6 million de tonnes par an pour Dangote Cement Sénégal (DCS). Cette divergence s’explique par des expansions ponctuelles ou des ajustements dans les chiffres selon les années. En tout cas, cette usure robuste lui permet de servir non seulement le marché national sénégalais mais aussi d’exporter dans les pays voisins.
Le site intégré de Pout est classé parmi les installations industrielles les plus modernes du secteur au Sénégal. Il fonctionne avec une chaîne complète, de la carrière à la distribution. Toutefois, son installation n’a pas été exempte de controverses : des allégations de contournement du processus d’études environnementales ont été soulevées à l’ouverture du projet.
La cimenterie joue un rôle économique significatif : emplois directs et indirects, achats locaux, contribution fiscale, et stimulation des industries de la construction. Le gouvernement sénégalais y voit l’un des symboles d’un privé africain qui investit localement plutôt que d’importer massivement. Le Forum Invest in Sénégal offre une tribune pour magnifier cette dimension.
Le virage vers le phosphate : diversification et potentiel
Le ciment n’est pas le seul champ d’investissement visé par Dangote au Sénégal. En février 2024, il avait annoncé un investissement de plus d’un milliard de dollars dans le développement du secteur phosphate local. Cette décision intervient dans un contexte favorable : le Sénégal dispose de réserves phosphate estimées à plus d’un milliard de tonnes, selon certaines études. Le projet envisagé inclut non seulement l’extraction mais aussi la transformation locale, avec l’ambition de produire des fertilisants.
Cette stratégie est en ligne avec la vision actuelle du pouvoir sénégalais, qui cherche à transformer ses ressources naturelles sur place plutôt que d’exporter les matières premières. Le partenariat Dangote, en cumulant ciment, phosphate, transformation et infrastructures, peut renforcer la trajectoire industrielle de longue haleine de Dakar.
L’intégration du phosphate aux pans industriels du groupe permet aussi de mutualiser les besoins en énergie, logistique, infrastructures portuaires et acheminement, ce qui peut créer des synergies notables entre les filières.
Le Forum Invest in Sénégal : catalyseur d’opportunités
Le Forum Invest, qui se tient les 7 et 8 octobre 2025, est présenté comme une plateforme centrale pour connecter projets publics, investisseurs, technologies et opportunités. Le thème « Connecting opportunities, building the future » met en exergue l’interface entre les ambitions du pays et les capitaux privés qu’il cherche à attirer.
Bakary Séga Bathily, Directeur général de l’APIX (Agence de promotion des investissements et des grands travaux), a déclaré que le Sénégal se positionne comme une porte d’entrée en Afrique, capable d’attirer capitaux, technologies et expertises à travers son hub logistique et ses politiques incitatives.
Avant l’ouverture du Forum, la Banque mondiale a fait part de sa volonté de jouer un rôle visible dans l’arène, ce qui contribue à rehausser la crédibilité internationale de l’événement. Le choix d’inviter des grands noms comme Dangote participe à cette stratégie de repositionnement régional et continental : montrer que l’Afrique investit en Afrique.
Le Forum intégrera des panels sur l’énergie, les ressources stratégiques, le mapping industriel, les nouvelles technologies, notamment l’IA, et offrira un espace de matchmaking entre porteurs de projet et investisseurs.
Enjeux, défis et risques anticipés
Même si les annonces sont ambitieuses, plusieurs défis pourraient limiter la pleine réalisation de cette vision. D’abord, la compétitivité énergétique reste une barrière majeure : les coûts de production de ciment et de matériaux lourds dépendent fortement du coût de l’électricité ou du combustible, une variable sur laquelle un investisseur étranger doit négocier des garanties.
La logistique et les capacités portuaires seront également mises à l’épreuve, surtout si Dangote intensifie ses exportations. Le Sénégal devra s’assurer que ses infrastructures de transport (routes, chemins de fer, ports) sont alignées avec les flux industriels.
La question de la gouvernance locale, de la conformité environnementale, de la transparence dans les contrats d’investissement sera scrutée. Tout projet industriel à grande échelle génère des préoccupations quant à l’impact sur les communautés riveraines, la gestion de l’eau, les déplacements de populations ou les émissions polluantes. Dans le cas de la cimenterie de Pout, des critiques ont déjà été exprimées quant à l’impact sur les ressources en eau ou les déplacements de villageois. 
Ensuite, l’intégration réussie des filières, ciment + phosphate + transformation, exige une planification rigoureuse, une intégration verticale maîtrisée, des compétences locales solides, et une gestion des risques industriels (prix des matières premières, devises, cycles de marché).
Il faudra aussi que l’État sénégalais assure une stabilité réglementaire, un environnement fiscal prévisible, des incitations (exonérations, garanties) et un dialogue permanent avec les investisseurs. Toute remise en question juridique, changement de régime, ou imposition inattendue pourrait faire fuir des capitaux.
Pourquoi est-ce important ?
Parce que cette alliance entre le Sénégal et une figure industrielle africaine comme Dangote est bien plus qu’un simple contrat ponctuel : elle symbolise une rupture dans la logique du développement africain. En misant sur des investissements issus du continent, le Sénégal affiche l’ambition de maîtriser ses chaînes de valeur et de réduire la dépendance aux capitaux étrangers extra-africains.
Au niveau ouest-africain, cette démarche contribue à la démonstration que des investisseurs africains majeurs peuvent ouvrir des plages d’investissement d’envergure sur le continent, en jouant la carte des ressources naturelles locales et des synergies d’infrastructure. Si Dangote parvient à combiner ciment, phosphates et industries connexes, cela peut inspirer d’autres États (Mali, Côte d’Ivoire, Ghana, Bénin) à proposer des partenariats industriels crédibles.
Pour l’économie sénégalaise, les retombées sont multiples : création d’emplois locaux (directs, indirects), croissance industrielle, recettes fiscales, stimulation du secteur de la construction, transfert technologique. Le développement d’une industrie du phosphate local pourrait générer un effet d’entraînement dans l’agriculture (engrais), réduire les importations, et renforcer la sécurité alimentaire.
Mais le pari est risqué : seul un cadre stable, une exécution diligente, un contrôle environnemental strict et une participation inclusive des communautés feront de cette vision un succès durable. Si le Sénégal réussit ce tournant, il pourrait devenir un hub industriel régional, une vitrine du « Made in Africa », et un point d’attraction pour les investisseurs africains et étrangers conscients du potentiel local.