GGAA 2025 à Nairobi : l’Afrique prend la tête du débat mondial sur l’élevage, le climat et la sécurité alimentaire


Les points clés :

  • L’Afrique héberge un tiers du bétail mondial, source de près de 0,8 Gt d’émissions annuelles liées à l’élevage, selon les organisateurs de la conférence GGAA 2025.

  • La conférence GGAA (Greenhouse Gas & Animal Agriculture), pour la première fois tenue sur le continent, rassemble plus de 500 scientifiques, décideurs et experts, pour débattre de solutions africaines ciblées.

  • Des stratégies combinées (sélection génétique, meilleure nutrition animale, gestion du fumier) montrent des réductions possibles de 20 à 50 % des émissions, tout en augmentant la productivité.


Jusque récemment, les débats sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à l’élevage ont souvent été dominés par des modèles intensifs venus d’Europe ou d’Amérique du Nord. En accueillant la 9ᵉ conférence GGAA à Nairobi (5-9 octobre 2025), l’Afrique, pour la première fois, revendique une place centrale dans cette discussion. Le choix de cette localisation n’est pas anecdotique : il symbolise l’importance que le continent accorde désormais à l’insertion de ses systèmes d’élevage dans le débat climatique international.

Les organisateurs (ILRI et NIBIO) affirment que l’Afrique abrite un tiers du bétail mondial, que dans certains pays l’élevage contribue jusqu’à 80 % du PIB national, et que le secteur génère environ 0,8 gigatonne d’émissions annuelles. Ces chiffres, repris dans la couverture médiatique africaine, accentuent la mobilisation régionale autour d’un secteur souvent sous-représenté dans les visions climatiques globales.

Ce positionnement ouvre une opportunité : définir des solutions de réduction des GES qui tiennent compte des réalités africaines, systèmes pastoraux, petits exploitants, faibles intrants, contraintes financières, plutôt que d’imposer des modèles importés inadaptés.

L’état des lieux scientifique : émissions et intensité

L’élevage est un contributeur majeur aux émissions agricoles. Dans les systèmes africains, la source principale de GES est le méthane d’origine entérique (fermentation digestive), suivi des émissions liées au fumier et aux intrants. Une recherche récente de l’ILRI souligne que l’intensité des émissions (émissions par unité de produit) dans certains élevages de petite échelle en Afrique peut se rapprocher de niveaux observés dans les exploitations européennes (2,1 à 5,0 kg de CO₂-eq par litre de lait), ce qui nuance l’idée selon laquelle les systèmes africains seraient systématiquement plus “propres”.

Un rapport du programme Africa’s Livestock Catalytic Potential indique que le secteur contribue en moyenne entre 30 et 80 % du PIB agricole national, souvent autour de 35 % dans de nombreux pays, et que dans les systèmes pastoraux, jusqu’à 55 % des revenus des ménages proviennent du bétail. Les défis pour l’élevage africain sont multiples : la rareté d’intrants de qualité, la pauvreté des services vétérinaires, des systèmes de sélection génétique peu développés, un faible financement public, et des politiques agricoles souvent centrées sur les cultures plutôt que sur l’élevage.

Une autre donnée importante : à l’heure actuelle, les systèmes africains produisent environ 18 % des émissions mondiales de méthane liées au bétail, avec le bétail représentant 70 % de ces émissions en Afrique subsaharienne. Ce défi est d’autant plus pressant que sans intervention, ces émissions pourraient tripler d’ici 2050.

Il existe aujourd’hui des initiatives en Afrique pour sélectionner des races bovines à émissions réduites. Par exemple, l’ILRI a lancé en 2025 un projet de 3,35 millions USD pour « Accelerating Reduced Emissions in Indigenous Breeds in Africa » qui combine génomique, suivi des émissions (exhalomique), et renforcement des centres de sélection.

Les innovations et les solutions présentées à la GGAA 2025

La conférence de Nairobi sert de vitrine pour des avancées technologiques adaptées aux conditions africaines, ainsi que pour des politiques publiques innovantes. Le programme officiel du GGAA 2025 souligne plusieurs axes prioritaires : quantification des GES, modélisation, solutions de terrain et intégration des politiques nationales.

Parmi les pistes présentées figure la sélection génomique : identifier des animaux à faible émission de méthane et les introduire dans les systèmes de reproduction nationaux. La méthodologie “exhalomique”, mesurant directement la concentration de méthane dans l'air expiré par les bovins, permet un suivi en temps réel. Ces innovations offrent la perspective d’une réduction jusqu’à 20-25 % par litre de lait produit dans certaines conditions.

La gestion du fumier est un autre levier fort : des systèmes circulaires, qui limitent les émissions jusqu’à 90 %, tout en valorisant les résidus comme fertilisant ou biogaz, sont à l’étude et ont été présentés. Les chercheurs estiment que, combiné à une meilleure alimentation et des soins vétérinaires, réduction des maladies pouvant réduire les émissions jusqu’à 12 %, ces leviers peuvent être synergétiques.

Des sessions scientifiques abordent la microbiologie du rumen (génomique microbienne), la modélisation des émissions, la digitalisation et les outils de comptabilité carbone (monitoring, plateformes de reporting, traçabilité).

Enfin, la conférence vise à forger des cadres politiques pour intégrer l’élevage aux contributions nationales (NDC) dans la lutte contre le changement climatique, et rendre les financements climat accessibles aux petits producteurs. Le professeur Appolinaire Djikeng, directeur général de l’ILRI, insiste : l’objectif n’est pas de choisir entre sécurité alimentaire et réduction des émissions, mais de concilier les deux par une productivité accrue. (texte fourni)

Enjeux, défis et risques à anticiper

Malgré le foisonnement de solutions, plusieurs défis freinent leur adoption. Le premier est financier : beaucoup de producteurs à petite échelle sont contraints financièrement, sans accès au crédit ou aux subventions, et la rentabilité des nouvelles technologies peut prendre du temps. Le déficit d’investissements publics dans l’élevage (extension, santé animale, infrastructures de stockage) est régulièrement souligné dans les rapports africains.

La question de l’adoption technologique est cruciale : des solutions adaptées au contexte (coût faible, robustes, faciles à entretenir) sont indispensables ; sinon, les innovations risquent de rester cantonnées aux laboratoires. Le manque de capacités techniques locales (techniciens de terrain, centres de références) est un frein structurel.

L’appropriation sociale est aussi un enjeu : les pratiques traditionnelles, les croyances, les barrières sociales (genre, accès aux ressources), le rapport aux technologies devront être pris en compte dans les projets de diffusion.

La mesure et la vérification des émissions (M&V) constitue un crible important : pour crédibiliser les interventions, il faut des standards fiables, des données homogènes, des protocoles robustes. L’ILRI travaille déjà à renforcer les inventaires nationaux et la modélisation avec la méthode Tier 2 selon les IPCC.

Enfin, l’environnement externe reste volatil : la pression sur les terres, le changement climatique (stress thermique, sécheresse, variabilité des pluies), les conflits pour l’eau ou le pâturage peuvent entraver l’efficacité des pratiques climato-intelligentes.

Pourquoi est-ce important ?

Parce que l’enjeu dépasse la seule réduction des émissions : il touche à la sécurité alimentaire, à l’emploi rural, à la résilience climatique, à l’équité mondiale. L’Afrique porte une part significative du cheptel mondial, mais jusqu’à présent avait une voix marginale dans les forums climatiques dominés par les systèmes intensifs. En « amenant le débat à domicile » avec GGAA 2025, le continent impose que ses réalités, petites exploitations, pâturages extensifs, contraintes locales, soient prises en compte.

Pour l’économie ouest-africaine, c’est une opportunité stratégique. Les systèmes d’élevage sont souvent au cœur des zones rurales pauvres, dans le Sahel, dans les zones transfrontalières entre pays, et tout gain de productivité ou de durabilité se traduit directement par des revenus accrus, une alimentation plus stable (lait, viande, lait transformé), une meilleure santé nutritionnelle. Si l’on parvient à réduire les émissions par unité produite, le coût environnemental de l’élevage baissera, ce qui rendra le secteur plus viable dans les transitions écologiques.

De plus, les innovations mises à l’épreuve à Nairobi (sélection génétique, exhalomique, fumier circulaire) peuvent devenir des leviers adaptables aux contextes ouest-africains. Les pays de la zone UEMOA ou de la CEDEAO peuvent intégrer ces solutions dans leurs stratégies nationales de développement agricole et de climat.

Enfin, dans le contexte mondial de la finance climat, le positionnement africain renforcé peut ouvrir l’accès à des fonds d’atténuation et d’adaptation dédiés au secteur élevage, souvent délaissé jusqu’ici. Les discussions politiques à GGAA 2025 pourront déboucher sur des partenariats pour financer des filières bas-émissions, renforcer les centres de recherche, structurer les chaînes de valeur, intégrer l’élevage dans les contributions nationales (NDC) de façon crédible.

En somme, GGAA 2025 n’est pas une conférence parmi d’autres : c’est une manche-clé pour que l’élevage africain prenne le virage climatique sans perdre sa mission sociale et économique. Si les propositions concrètes sont mises en œuvre, ce pourrait être un tournant pour un élevage plus intelligent, plus juste et plus résilient.

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