Togo : la 5G toujours en embuscade


Les points clés :

  • Seul 1 % des téléphones actifs au Togo sont compatibles 5G, contre 39 % en 4G.

  • Le nombre d’abonnés mobiles est passé de 7,69 milliards (sic) à 7,99 millions entre fin 2024 et mi-2025, mais beaucoup de terminaux sont obsolètes.

  • Les investissements des opérateurs télécoms ont reculé de 34 % sur un an, freinés par l’absence de cadre clair sur le spectre, l’IoT et le cloud, ce qui retarde l’adoption de la 5G.


Le Togo se trouve à un carrefour numérique. D’un côté, le pays multiplie les programmes et stratégies pour faire du numérique, auquel la 5G fait partie, un vecteur de développement. De l’autre, la réalité du marché, les profils d’équipement des utilisateurs et les contraintes infrastructurelles placent de sérieux freins à cette ambition. Cette contradiction mérite une analyse approfondie.

Le rapport trimestriel de l’Autorité de Régulation des Communications électroniques et des Postes (ARCEP)‑Togo montre que seulement 1 % des téléphones actifs dans le pays sont compatibles 5G. Pour contextualiser, 39 % des appareils sont en 4G, 16 % en 3G et 44 % en 2G. Cela met en lumière la lente progression technologique chez les utilisateurs togolais. La pénétration mobile est élevée (le nombre de connections mobiles s’élève à 7,53 millions en début 2025, soit environ 78,2 % de la population). Cependant, la grande majorité de ces connexions ne disposent pas de smartphones compatibles 5G, ce qui limite l’impact potentiel de la prochaine génération de réseau.

Le marché des smartphones compatibles se heurte à des obstacles concrets. Le coût des équipements est élevé par rapport aux revenus moyens des ménages togolais, cités dans le texte à environ 70 000 FCFA mensuels, ce qui exclut une large partie de la population de la 5G. De plus, le marché « gris » des terminaux non identifiés explose : l’ARCEP indique un taux de terminaux non homologués de 66 % au deuxième trimestre 2025 (après 60,9 % au premier trimestre). Cette proportion montre l’ampleur du défi de l’homologation et de la qualité des équipements. S’y ajoute le fait que beaucoup d’opérateurs mobiles, notamment YAS Togo et Moov Africa Togo, concentrent encore leurs investissements sur la 4G (abonnés 4G : progression de 38 % en 2024 et de 10 % au premier trimestre 2025, avec près de 2,9 millions d’utilisateurs). Cette mise en perspective indique que la 5G reste marginale.

Autre levier critique : l’infrastructure et le cadre réglementaire. Le texte évoque que le spectre radio n’est pas entièrement libéré ni mutualisé, que l’écosystème IoT ou cloud est encore embryonnaire, et que les investissements des opérateurs ont reculé de 34 % en un an. Ces constats rejoignent les analyses externes : par exemple, l’article d’Ecofin Agency indique que bien que la 5G apparaisse dans les rapports de l’ARCEP, son empreinte est minime et la transition numérique reste inégale. Par ailleurs, les efforts réglementaires ne sont pas négligeables : en janvier 2025, l’ARCEP a réduit les prix de gros de la fibre sombre de 60 % pour stimuler l’expansion haut-débit. Mais cela ne suffit pas à combler le retard vis-à-vis de la technologie 5G.

Il faut aussi considérer la dimension économique de la connectivité : les statistiques digitalisées montrent que l’internet mobile haut-débit (3G/4G/5G) représente un taux de pénétration de 65,93 % à fin 2024 selon l’ARCEP. Cela dit, être « connecté » ne signifie pas nécessairement disposer d’un appareil ou d’un réseau 5G. Les données de marché confirment que l’internet haut-débit n’est qu’à 50,53 % de pénétration, signe que la marge de progression reste large. L’écart entre disponibilité technique et usage effectif est po­ssiblement lié à l’équipement, aux coûts, à l’éducation numérique ou encore à la couverture géographique.

La feuille de route nationale évoquée dans le texte, qui fixe la période 2025-2030, prévoit un accent sur la fibre optique, l’harmonisation du spectre avec les normes de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’encadrement des importations de terminaux. Ce plan est cohérent avec la vision de long terme, mais attend sa mise en œuvre concrète, et surtout sa traduction en usage et impact économiques pour les citoyens.

Pourquoi est-ce important ?

D’un point de vue ouest-africain, la situation du Togo illustre de façon marquante le défi de la transition numérique dans la sous-région. Alors que la 5G est souvent présentée comme le moteur de la prochaine vague de croissance (IoT, villes intelligentes, industrie 4.0, data centres), son adoption effective dépend non seulement de l’infrastructure réseau mais aussi de l’équipement des usagers, de la couverture géographique, de l’éco-système industriel local et de la régulation.

Le fait que le Togo, avec un taux de pénétration mobile de plus de 78 % et des efforts réglementaires, peine à déployer la 5G à grande échelle, est révélateur. Cela montre que pour beaucoup de pays ouest-africains, la fracture n’est plus seulement « accès à l’internet » mais « qualité, modernité et équipement de l’internet ». Si la majorité des usagers restent en 2G ou 3G, les usages avancés, les services à forte valeur ajoutée et la compétitivité numérique du continent restent freinés.

De plus, la transformation numérique a des répercussions directes sur la compétitivité économique, l’attraction d’investissements et la participation aux chaînes de valeur mondiales. Si un pays ne parvient pas à faire basculer son parc de terminaux et son infrastructure vers les générations supérieures, il risque de rester à la marge des économies digitales mondiales. Pour le Togo, cela signifie que l’ambition de devenir « laboratoire africain de la transformation digitale » (comme annoncé par la ministre du numérique) reste encore à construire.

Enfin, ce cas invite à repenser la stratégie d’industrialisation numérique en Afrique de l’Ouest : l’équipement, la régulation, le spectre, l’infrastructure fibre, la gouvernance des importations, et la formation numérique doivent être traités de façon synchronisée. Le Togo devra transformer son retard actuel en vecteur de stratégie, en ciblant d’abord des usages productifs (agriculture connectée, logistique, villes intelligentes) qui justifient la 5G avant un déploiement généralisé. Ce chemin stratégique pourrait inspirer d’autres pays de la sous-région confrontés à des défis similaires.

En somme, la lenteur de la 5G au Togo ne doit pas être vue comme un simple retard technologique, mais comme un révélateur des dimensions multi-facettes de la “révolution numérique” en Afrique de l’Ouest, celle qui se construit appareil par appareil, mégabit par mégabit, et pas seulement antenne par antenne.

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